Construction: Garantie décennale, assurance obligatoire et dommages aux existants : la tentative de clarification du Sénat par le projet de loi ELAN adopté le 25 juillet 2018

Par Me Valentine SQUILLACI- Avocat (GREEN LAW AVOCATS) Il y a maintenant un an, la Cour de Cassation a créé la surprise sur une question juridique intéressant le domaine de la construction. La Haute juridiction retenait alors que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 confirmé par Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323) En d’autres termes, la garantie décennale n’est donc plus uniquement due par le constructeur d’un ouvrage mais par toute personne intervenant sur un ouvrage pour y installer un élément d’équipement, dissociable ou non (installateur d’une pompe à chaleur, d’une cheminée …) et s’étend aux dommages affectant l’ouvrage existant, dès lors qu’ils rendent ce dernier impropre à sa destination. Afin de tenter de limiter leur garantie dans une telle hypothèse, les assureurs de responsabilité décennale ont invoqué les dispositions de l’article L243-1-1 II) du Code des assurances qui excluent du champ de l’assurance obligatoire les « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » Créant à nouveau la surprise, la Cour de Cassation s’est alors fondée quelques mois plus tard sur une application littérale du texte et a considéré que ces dispositions « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant » (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120).   La Cour de Cassation considère donc aujourd’hui que les dommages aux existants (incorporés ou non) sont couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale dès lors qu’ils résultent de l’installation d’un équipement sur existant, et non de la construction d’un ouvrage. Cette position de la Cour de Cassation crée en pratique deux séries de difficultés : D’une part, les simples installateurs d’équipements qui ignorent être désormais tenus à la garantie décennale s’exposent à des poursuites pénales, le défaut de souscription d’une telle assurance étant un délit en application de l’article L243-3 du Code des assurances ; D’autre part, du point de vue des assureurs, le prisme des dommages couverts au titre de l’assurance obligatoire est significativement élargi puisqu’il s’étend désormais aux désordres ayant pour origine un élément d’équipement dissociable d’origine ou installé sur existant. On imagine donc que le lobby des assureurs a activement œuvré pour obtenir une réponse législative à cette « dérive » jurisprudentielle… C’est ainsi que le 25 juillet 2018 le Sénat a adopté le « Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (disponible ici), dit « ELAN », qui prévoit notamment une nouvelle rédaction de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances en ces termes : « II. – Les assurances obligatoires prévues aux articles L. 241‑1, L. 241‑2 et L. 242‑1 ne sont pas applicables et ne garantissent pas les dommages, aux existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » La modification est subtile et il n’est pas certain qu’elle sera de nature à modifier la position de la Cour de Cassation… Bien que cette dernière n’ait pas expliqué pourquoi, selon elle, les dispositions de l’article L.243-1-1 II) du Code des assurances « ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », on peut imaginer que c’est dans la mesure où ce texte évoque un « ouvrage neuf ». Or, cette référence n’a pas été supprimée par le Sénat. Il convient donc de suivre attentivement le travail de la commission mixte paritaire qui a été convoquée après la première lecture du texte par les deux assemblées.

Garantie décennale: un système de climatisation par pompe à chaleur constitue un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil et la garantie peut s’appliquer (Cass, 24 sept.2014)

Dans un arrêt en date du 24 septembre 2014, la Cour de cassation (C.cass, civ, 3ème, 24 septembre 2014 n°13-19615) est venue préciser qu’un système de climatisation par pompe à chaleur constitue un ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du Code civil de sorte que la garantie décennale doit pouvoir s’appliquer. Rappelons que la responsabilité décennale est prévue par l’article 1792 du Code civil qui dispose : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ». L’article 1792-2 du Code civil ajoute que : « La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un bâtiment mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert ». Il résulte de ces dispositions que les dommages allégués doivent présenter un caractère de gravité suffisant pour que la garantie décennale puisse être mise en jeu. Une jurisprudence abondante rappelle que les juges du fond doivent prendre soin d’observer ce caractère de la gravité des dommages (C.Cass. 3e civ., 8 oct. 1977, n° 95-20.903 : JurisData n° 1997-003989 et Cass. 3e civ., 19 nov. 1997, n° 95-15.811) pour éviter la censure de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 20 mai 1998, préc. – Cass. 3e civ., 27 mai 1999, n° 97-17.520 : RD imm. 1999, p. 406, obs. Ph. Malinvaud).  Il convient de distinguer deux types de dommages au titre de la garantie décennale : Les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage (C.civ, art. 1792, al. 1er). La jurisprudence fournit de nombreux exemples à cet égard (C.Cass. 3e civ, 12 mars 1986, n° 84-14.486 : défaut d’étanchéité provoquant des infiltrations à l’intérieur des appartements ; C. Cass. 3e civ., 4 févr. 1986 : une fissure large et traversante ; C.Cass. 3e ci., 14 nov. 1984 : glissement de terrain déstabilisant l’assise d’une construction). Les dommages rendant l’immeuble impropre à sa destination : la référence à la notion de destination de l’immeuble permet alors la mise en œuvre de la garantie décennale. De fait, de nombreux dommages qui n’affectent pas la solidité de l’immeuble peuvent néanmoins être pris en compte au titre de la garantie décennale. Ces désordres peuvent résulter de la défaillance  soit des éléments de construction de l’immeuble (isolation par exemple) soit des éléments d’équipement. En l’espèce, il s’agissait de cette deuxième catégorie de dommages dont était saisie la Cour de cassation. Une société entendait faire jouer la garantie décennale eu égard aux désordres sur une climatisation par pompe à chaleur installée dans son immeuble. La Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel qui n’avait pas accueilli la demande de garantie et rappelle: « … que pour débouter la société Maison Malleval de ses demandes formées sur l’article 1792 du code civil, l’arrêt retient que s’agissant d’un ouvrage conçu au sein d’un bâtiment de commerce et bureaux afin de rafraîchir l’air ambiant, il doit être considéré en raison de son importance et de son emprise sur le sous-sol comme constituant un élément d’équipement, que, compte tenu du fait qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage autonome mais d’un simple élément d’équipement, l’impropriété à destination ne se conçoit pas au niveau de l’élément d’équipement lui-même mais bien à celui de l’ouvrage desservi dans son ensemble et que la société Maison Malleval ne dit pas en quoi un certain rafraîchissement de l’air ambiant était nécessaire au bon fonctionnement de sa surface de vente en rez-de-chaussée et de ses bureaux ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’installation d’un système de climatisation par pompe à chaleur immergée au fond d’un puits en contact avec la nappe phréatique sur un ouvrage existant constitue un ouvrage dont l’impropriété à destination s’apprécie indépendamment de l’immeuble pris dans son ensemble, la cour d’appel a violé les textes susvisés». Cet arrêt de la Cour de cassation confirme que l’enjeu de la qualification d’’ouvrage’ est fondamental.  En cas de désordres, il permet à la victime d’obtenir la responsabilité du constructeur de l’ouvrage dès constat du désordre. En revanche, en l’absence de désordres affectant un ouvrage au sens juridique du terme, la victime de désordres devra rechercher et démontrer une faute, un préjudice, le lien de causalité entre les deux : soit une démonstration classique du droit de la responsabilité contractuelle, parfois difficile à démontrer en matière immobilière. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat