Dommages de travaux publics et aménagement des berges : la démonstration du préjudice anormal et spécial est nécessaire ! (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats)   Aux termes d’une décision du 25 mai 2016, le Conseil d’Etat a rappelé que lorsqu’un tiers avait subi un dommage de travaux publics, la responsabilité sans faute de l’administration ne pouvait être engagée qu’en présence d’un préjudice anormal et spécial, dûment établi. (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692)   Les faits de l’espèce étaient les suivants. Durant un hiver, une partie des eaux de l’Oise s’est déversée accidentellement dans un étang à la suite d’une rupture de la digue le séparant de la rivière. En application d’une convention du 30 août 1986, conclue entre les anciens propriétaires du plan d’eau et le syndicat intercommunal pour l’aménagement de l’Oise moyenne et de ses affluents, chargé de l’entretien du cours d’eau, des travaux de rétablissement du cours initial du lit de l’Oise ont été entrepris. En 2009, l’étang a changé de propriétaire. En 2010, le syndicat a supprimé un barrage sur la rivière qui devait réguler le niveau de l’étang. Le nouveau propriétaire de l’étang a demandé au syndicat de remédier aux désordres résultant de cette intervention car elle aurait eu pour effet d’abaisser le niveau de l’eau de l’étang et d’aggraver en conséquence le phénomène de sédimentation. Le nouveau propriétaire a également demandé à être indemnisé des préjudices subis du fait des travaux publics ainsi réalisés. Le 13 mai 2014, le tribunal administratif d’Amiens, saisi par le nouveau propriétaire, a retenu la responsabilité du syndicat à hauteur de la moitié des préjudices subis par le nouveau propriétaire et ordonné une expertise afin de les évaluer. Le 21 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Douai a confirmé ce jugement (CAA Douai, 21 juillet 2015, n°14DA01182). Elle a retenu, contrairement au tribunal administratif d’Amiens, que le nouveau propriétaire avait la qualité de tiers par rapport aux ouvrages publics constitués par les aménagements des berges de l’Oise et aux travaux publics entrepris sur ces ouvrages, et non celle d’usager de ces mêmes ouvrages. Elle en a déduit que la responsabilité du syndicat ne pouvait être engagée qu’à raison, non d’une faute de sa part, mais du caractère anormal et spécial du préjudice subi. Saisi d’un pourvoi principal par le syndicat et d’un pourvoi incident par le nouveau propriétaire, le Conseil d’Etat a censuré cet arrêt. En effet, il a considéré que « si la cour a retenu l’existence d’un lien de causalité entre les travaux entrepris par le syndicat et les préjudices subis par [le nouveau propriétaire], elle s’est abstenue de préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour estimer que le préjudice subi par [lui] revêtait un caractère anormal et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute du syndicat ; qu’en statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation et commis une erreur de droit ». (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692) Cette décision du Conseil d’Etat est intéressante, à la fois sur ce qu’elle dit expressément et sur ce qu’elle sous-entend implicitement.   En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que la responsabilité sans faute de l’administration du fait d’ouvrages publics ou de travaux publics ne peut être engagée que : d’une part, s’il existe un lien de causalité entre l’action de l’administration et le préjudice et que, d’autre part, si le préjudice présente un caractère anormal et spécial. L’abandon du caractère anormal et spécial du préjudice avait été envisagé (CAA Douai, 22 décembre 2008, n° 07DA01467) mais semblait avoir rapidement été abandonné (CAA Marseille, 15 décembre 2008, n°07MA01949) même si une décision récente a pu semer le doute (CAA Marseille, 13 février 2015, n°13MA02037). Le Conseil d’Etat revient donc sur une conception traditionnelle de la responsabilité sans faute de l’administration.     En deuxième lieu, le Conseil d’Etat souligne qu’il est impératif de démontrer en quoi le préjudice est anormal et spécial. Les juridictions du fond ne peuvent se borner à l’affirmer sans apporter aucun élément en ce sens. Il s’agit du motif pour lequel il censure la Cour administrative d’appel. Le caractère anormal et spécial du préjudice ne peut se déduire simplement des faits. Le Conseil d’Etat avait récemment sanctionné une Cour qui n’avait pas recherché si des pluies exceptionnelles constituaient un évènement de force majeure de nature à exonérer l’administration de sa responsabilité (Conseil d’État, 6ème SSJS, 22 octobre 2015, n°371894).   Le Conseil d’Etat exige donc une véritable vérification part les juridictions du fond des conditions d’engagement de la responsabilité sans faute.   En troisième et dernier lieu, le Conseil d’Etat semble valider le fait que les nouveaux propriétaires de l’étang soient des tiers par rapport aux travaux publics entrepris sur les aménagements des berges. La question aurait pu se poser de savoir s’ils n’avaient pas, en réalité, la qualité d’usagers ce d’autant plus qu’une controverse existait entre les juges de première instance et d’appel. En première instance, les premiers juges ont retenu la responsabilité pour faute du syndicat en raison d’un défaut d’entretien normal des aménagements affectant les berges et abords de l’Oise, lequel ne concerne que les usagers de ces ouvrages publics, et non la responsabilité sans faute dont seuls peuvent se prévaloir les tiers aux ouvrages ou travaux publics. En revanche, en appel, la Cour a retenu que « la modification de la configuration des lieux, déjà intervenue lors de l’acquisition de l’étang par la SCI du…. en 2009, résultant de l’écoulement de l’Oise à travers l’étang depuis la rupture de la digue, a eu pour conséquence d’établir une interdépendance entre ce cours d’eau et l’étang, de telle sorte que la SCI du … pourrait être regardée comme ayant la qualité d’usager par rapport aux ouvrages publics constitués par les aménagements des berges de la rivière, il résulte toutefois des écritures de première instance de la SCI du Bien Tombé que celle-ci n’invoquait que les préjudices résultant de la réalisation des opérations d’enlèvement du barrage de bastaings effectuées en 2010, qui constituent des travaux publics à l’égard desquels elle a la qualité de tiers » (CAA Douai, 21 juillet 2015, n°14DA01182). Elle a donc retenu…

Remblaiement de plan d’eau: le propriétaire n’est pas totalement libre d’y procéder (rép. Min. 3 septembre 2013)

Une réponse ministérielle en date du 03 septembre 2013 (réponse ministérielle publiée au JO le 03/09/13 page 9236 suite à la question n°21044 de M. Yves Nicolin) apporte des précisions sur la réglementation encadrant le remblayage des plans d’eau présents sur des terrains privés. Le ministre de l’écologie était interrogé sur le fait de savoir sous quelles conditions un propriétaire de terrain sur lequel se trouve un étang, non relié à un cours d’eau et servant de réserve d’eau pour un hameau, pouvait, de sa propre initiative et sans autorisation préalable, assécher et remblayer le dit plan d’eau. Le ministre de l’écologie dans sa réponse raisonne en plusieurs temps : Il rappelle tout d’abord que les plans d’eaux seulement alimentés par des eaux pluviales et de ruissellement ou des eaux de sources, ne donnant pas naissance à un cours d’eau au-delà des limites d’une propriété, constituent un mode spécial d’aménagement des eaux privées. Il souligne ensuite que le propriétaire du fonds sur lequel reposent ces eaux en a la libre disposition conformément aux articles 641 et 642 du code civil. Toutefois, il apporte un bémol puisque la vidange d’un plan d’eau, tout comme sa création sont, selon les seuils fixés par la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement, peuvent être soumises au régime d’autorisation ou de déclaration institués par l’article L. 214-3 du même code. En effet, ces eaux constituent une interface entre les eaux souterraines et les cours d’eau et ne peuvent qu’être soumises à la police administrative spéciale de l’eau et des milieux aquatiques en raison du principe de gestion équilibrée, énoncé par l’article L. 211-1 du code de l’environnement. Afin de répondre à la question posée par le député, le ministre de l’écologie rappelle au visa de ce qui vient d’être susmentionné que, conformément à l’alinéa 3 de l’article 642 du code civil et à la jurisprudence afférente, le propriétaire d’une source ne peut enlever aux habitants agglomérés d’une commune, d’un village ou d’un hameau, les eaux qui leur sont nécessaires (Cf. Cass. civ. 3e , 2 juillet 1997, pourvoi n° 95-13.457, Epoux Brulé c/ Gavet et autres). De fait, le ministre rappelle que « la vidange de plans d’eau privés et a fortiori le remblayage de ces plans d’eau ne sauraient donc être autorisés dans la mesure où cela affecterait la fourniture en eau potable d’un hameau ». La réponse ministérielle apporte donc des précisions intéressantes sur la liberté de principe dont dispose le propriétaire d’un terrain sur lequel se trouve un plan d’eau (non relié à un cours d’eau) tout en rappelant les contraintes imposées par le Code de l’environnement qui oblige ledit propriétaire à veiller au respect desdites dispositions spéciales. Les particularités de la législation sur l’eau associées aux règles de droit privé (énonçant une liberté certaine) démontrent l’insécurité juridique pouvant exister pour les propriétaires de plans d’eau, profanes du droit. Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat