Suspension de l’abattage des requins par le TA de Nouvelle-Calédonie

Suspension de l’abattage des requins par le TA de Nouvelle-Calédonie

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

L’on sait que la justice administrative (Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, 1ère chambre, 27 octobre 2022, n° 2100436 a rejeté la requête d’ “Ensemble pour la planète” qui demandait l’annulation de la délibération prise en octobre 2021 et retirait les “tigres” et “bouledogues” de la listes des espèces protégées en province Sud.

Le 14 septembre 2023 par l’ordonnance téléchargeable, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a suspendu un arrêté pris par la présidente de la province Sud le 17 avril 2023, portant autorisation d’exercer une activité de pêche au sein d’aires de gestion durable, considérées comme des zones protégées. Cette ordonnance doit retenir l’attention.

Suspension de l’abattage des requins par le TA de Nouvelle-Calédonie

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats) L’on sait que la justice administrative (Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, 1ère chambre, 27 octobre 2022, n° 2100436 : disponible sur Doctrine) a rejeté la requête d’ “Ensemble pour la planète” qui demandait l’annulation de la délibération prise en octobre 2021 et retirait les “tigres” et “bouledogues” de la listes des espèces protégées en province Sud. Le 14 septembre 2023 par l’ordonnance ci-dessous téléchargeable, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a suspendu un arrêté pris par la présidente de la province Sud le 17 avril 2023, portant autorisation d’exercer une activité de pêche au sein d’aires de gestion durable, considérées comme des zones protégées. Cette ordonnance doit retenir l’attention. En l’espèce, la Maire de la commune de Nouméa avait sollicité auprès de la présidente de la province Sud une dérogation au Code de l’environnement applicable à la Nouvelle-Calédonie, afin d’autoriser des campagnes de prélèvements des requins tigres et des requins bouledogues au sein des aires de gestion durable que sont l’îlot Maître, l’îlot Canard et de la Pointe du Kuendu. L’association « Ensemble pour la Planète » a alors formé un référé suspension contre arrêté pris par la présidente de la province Sud le 17 avril 2023, se prévalant d’une atteinte irréversible à ses intérêts ainsi qu’à un intérêt public. Le Tribunal retient l’intérêt à agir de l’association en se fondant sur ses statuts de celle-ci. L’article 2 qui énonce en effet que l’association « Ensemble pour la Planète » a pour objet principal la protection et la conservation de l’environnement, notamment les espèces vivantes. Le juge des référés prend en compte les conséquences « irréversibles » sur l’environnement et sur les populations de requins concernées ainsi que les intérêts que « Ensemble pour la Planète » entend défendre comme critères d’évaluation de la condition d’urgence. Cette considération semble ici primer l’intérêt public tenant pour l’administration en la sécurité publique et à la nécessité de réduire le nombre de requins en l’absence de solution scientifique certaine. On peut penser que cette considération avancée au fond par la défense a aussi été développée pour soutenir un bilan des urgences favorable au maintient de l’arrêté attaqué (même si l’ordonnance ne le précise pas expressément). Si c’est bien le cas cette ordonnance fait un bilan des urgences sous-pesant vie humaine et survie d’une espèce animale… voila qui ne peut manquer d’interpeler. Reste que seul un accès au dossier permettrait d’apprécier la façon dont ce bilan a pu en l’espèce être fait du point de vue des risques d’attaques mortelles pour l’homme et bien entendu à ce stade et en l’état de l’instruction. Sachant que quels que soient le doutes scientifiques du juge des référés (cf. infra) sur l’état de la population des requins tigres et bouledogues pouvant, il est scientifiquement acquis que leur attaque peut être mortelle pour l’homme. En l’espèce, l’urgence est d’autant plus remplie que les campagnes de prélèvements par pêche menées par la commune de Nouméa se poursuivent jusqu’à la fin de l’année, considération aggravée par le caractère imminent de la prochaine d’entre elles (18 septembre 2023). Concernant le doute sérieux sur la légalité de la décision, le Tribunal retient deux des moyens soulevés par l’association. Le premier tient à ce que les campagnes de prélèvements ne différencient pas les requins pêchés ni par leur taille ni par leur appartenance aux espèces concernées par l’arrêté, quand bien même ces activités seraient restreintes aux seules aires de gestion durable qui, on le rappelle, constituent des zones protégées. En outre, l’arrêté de la présidente de la province Sud est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il n’existe aucune étude scientifique précise relative aux populations de requins tigres et de requins bouledogues ni à l’impact de leurs prélèvements sur l’environnement.

Dérogation « espèces protégées » et « intérêt public majeur » : suspension d’un projet par le CE

  Par Me Jérémy Taupin – Green Law Avocats (jeremy.taupin@green-law-avocat.fr) En droit, l’article L. 411-1 du code de l’environnement instaure un régime de protection de certaines espèces animales et végétales, qu’il est interdit de détruire, d’altérer ou de dégrader. L’article L. 411-2 du même code prévoit toutefois que des dérogations à cette interdiction peuvent être délivrées par le Préfet, « à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle », notamment pour « des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Bien évidemment ces dérogations tentent à permettent la réalisation de projets d’infrastructure ou d’aménagement de toute nature mais seulement s’ils remplissent cette condition drastique. Par une décision en date du 28 décembre 2018 (CE, req. n°419918) le Conseil d’Etat est venu préciser l’office du juge des référés dans le cadre du contrôle de cette exigence. En l’espèce, un arrêté préfet de la Dordogne en date du 29 janvier 2018 portant autorisation unique au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement avait permis l’engagement des travaux de construction d’une déviation routière de 3,2 kilomètres, de deux ponts et d’un pont rail autour du village de Beynac-et-Cazenac. L’objectif affiché de ces travaux était de contourner le centre-ville afin de résorber les bouchons qui paralysent, l’été, cette commune située au bord de la Dordogne. Le projet d’aménagement avait également nécessité l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée, dérogation intégrée à l’arrêté du 29 janvier 2018 (voir notre série d’articles sur le blog sur l’autorisation environnementale). Dans sa décision n°419918, la Haute Juridiction annule les ordonnances n° 1800972 et n° 1801192 des 3 et 10 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux par lesquelles ce même juge avait rejeté les demandes de suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 29 janvier 2018. En effet, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 411-1 et -2 du code de l’environnement précités (voir notre précédent article sur le blog au sujet de la motivation des dérogations à l’interdiction de destruction d’une espèce protégée), le Conseil d’Etat estime que le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises en jugeant que le moyen tiré de ce que le projet de route de contournement du bourg de Beynac ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, n’était pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d’Etat à clairement mis en avant dans sa décision la balance des intérêts en présence. Le juge des référés au Conseil d’Etat relève d’abord que la liste des espèces protégées affectées par le projet était importante, puisqu’elle comportait quatre espèces de mammifères semi-aquatiques et terrestres, dix-neuf espèces de chiroptères, quatre-vingt douze espèces d’oiseaux, neuf espèces de reptiles et amphibiens, quatre espèces d’insectes et une espèce de poisson. La route de contournement dont l’arrêté contesté autorisait la réalisation se situait également dans des zones faisant en outre, d’une part, l’objet d’un classement en zone Natura 2000 et, d’autre part, l’objet de protection en vertu d’un arrêté de protection du biotope. Le Conseil d’Etat souligne encore qu’il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés que le bénéfice attendu de cette déviation « apparaît limité en l’état de ce dossier » eu égard, en premier lieu, à la circonstance que l’accroissement de la circulation automobile à Beynac pendant la période estivale est essentiellement dû au nombre important de touristes qui se rendent dans cette commune pour la visiter, et en second lieu, aux travaux déjà réalisés par cette commune, qui ont permis de réduire l’encombrement de la route qui la traverse grâce à un élargissement de la voie existante rendu notamment possible par la mise en place d’un contournement pour les piétons. Cette décision intéressera donc notamment : les porteurs de projet, à qui il incombe de démontrer efficacement au sein de leurs dossiers que la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées répond bien à un intérêt public majeur ; mais également l’administration, qui devra très précisément motiver les décisions rendues dans ce domaine (voir en ce sens X. Braud, La consistance de la motivation d’une dérogation à la protection des espèces, note sous TA Toulouse, 10 juill. 2014 et TA Rennes, 17 oct. 2014, Dr envir. n° 231, févr. 2015. ; Dérogation «Espèces protégées » et raisons impératives d’intérêt public majeur : des précisions et des interrogations, note sous CAA Douai, 15 oct. 2015, n° 14DA02064, RJE n° 1/2016, mars 2016). Précisons que si cette décision du Conseil d’Etat suspend l’exécution de l’arrêté et donc les travaux de réalisation du projet d’aménagement, pourtant déjà bien avancés, l’affaire doit encore être jugée sur le fond par le tribunal administratif de Bordeaux.