La production d’électricité éolienne : une raison impérative d’intérêt public majeur ?

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Lorsque la dérogation de destruction d’espèce naturelle protégée est sollicitée pour un projet entrant dans le cadre du champ d’application de l’autorisation environnementale, cette dernière tient lieu de la dérogation faune-flore. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues pour l’autorisation environnementale et les dispositions procédurales relatives à la dérogation faune-flore ne sont alors pas applicables (Cf. les art. L. 181-1, L. 181-2, I, 5° et R. 411-6 du code de l’environnement). S’agissant des parcs éoliens, la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA de NANTES, 5ème chambre, 05/03/2019, 17NT02791- 17NT02794, Inédit au recueil Lebon) apporte d’importantes précisions sur le contrôle du juge administratif quant aux conditions auxquelles un parc éolien peut bénéficier d’une telle dérogation (ici sur la base d’un arrêté intervenu avant l’entrée en vigueur de l’autorisation environnementale). Par arrêté du 4 février 2015, le préfet du Morbihan a accordé à la SAS Les Moulins du Lohan, en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, l’autorisation de déroger aux interdictions mentionnées à l’article L. 411-1 du même code de capture, d’enlèvement, de transport, de perturbation intentionnelle, de destruction de spécimens d’espèces protégées et de destruction d’habitats d’espèces protégées, en vue de l’exploitation d’un parc éolien sur le territoire de la commune des Forges. Saisi par la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France (SPPEF) et plusieurs riverains du projet éolien, ainsi que par l’association ” Bretagne vivante – SEPNB “, le tribunal administratif de Rennes a, par jugement du 7 juillet 2017 annulé cet arrêté. En appel le Ministre et l’opérateur éolien obtiennent l’annulation du jugement et le rétablissement en vigueur de l’arrêté de dérogation. Des dérogations au régime de protection stricte de certaines espèces peuvent être apportées sous certaines conditions : il n’existe pas d’autre solution satisfaisante pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire ; précisons que la possibilité de recourir à une tierce expertise a été introduite par l’article 68 de loi Biodiversité (L. n° 2016-1087 du 8 août 2016) ; la dérogation ne doit pas nuire pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; Par ailleurs la dérogation doit poursuivre l’un des buts suivants énoncés aux paragraphes a) à e) de l’article L.411-2, 4° du code de l’environnement : dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ; dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ; à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; Or dans son arrêt du 3 mars dernier, la CAA de Nantes rappelle « qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Ce sont effectivement pour le Conseil d’Etat trois conditions « cumulatives » qui sont ainsi requises (Conseil d’État, 9 oct. 2013, n°366803,  Inédit au recueil Lebon ;  CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353). Or s’agissant des aménagements projet travaux ou activités à finalité purement économique, leur demande de dérogation doit en pratique être justifiée par « une raison impérative d’intérêt public majeur » pour laquelle la jurisprudence est extrêmement exigeante quant à cette dernière (le projet de  centre commercial et de loisirs dit ” Val Tolosa ” en Haute-Garonne et la création de plus de 1 500 emplois potentiels viennent d’en faire les frais : CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353) Sachant que selon le juge administratif l’intérêt public qui s’attache à un projet « ne suffit pas » à remplir cette condition du droit communautaire (cf. G. Audrain-Demey, Aménagement et dérogation au statut des espèces protégées : la « raison impérative d’intérêt public majeur » au cœur du contentieux, Dr. env. n° 274, janv. 2019, p. 15) et que rares sont les espèces à retenir la qualification de la « raison impérative » (Pour une extension d’ISDN participant de la continuité du service public  CAA Marseille, 7ème ch., 12 juill. 2016, n° 16MA00072 : – Pour le projet d’aéroport de notre Dame des Landes : CAA Nantes, 14 nov. 2016, n° 15NT02386). Ainsi une retenue d’eau, une carrière, un contournement routier, un center parc ne peuvent en tant que tel prétendre à la qualification en l’état de la jurisprudence des juges du fonds. Au demeurant dans son arrêt du 24 juillet dernier (n°414353), le Conseil d’Etat a pris le soin de préciser que la nature des atteintes et leur compensation ne devait pas peser dans la qualification de la raison impérative d’intérêt public majeur : « En raison du caractère cumulatif des conditions posées à la légalité des dérogations permises par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, les motifs par lesquels la cour administrative d’appel a ainsi jugé que l’autorisation attaquée ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur justifient nécessairement, à eux seuls, le…

Droits d’antériorité et continuité écologique : le Conseil d’Etat fait passer le poisson

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par un arrêt du 22 octobre 2018, le Conseil d’Etat a apporté des précisions salutaires sur les délais à prendre en compte en matière de respect des obligations au titre de la continuité écologique pour les ouvrages situés sur un cours d’eau, en particulier s’agissant de la réalisation de dispositifs de circulation de poissons migrateurs. Les faits étaient simples : le Préfet du Bas-Rhin a, par arrêté préfectoral du 17 avril 2012, prescrit à l’exploitant d’une centrale hydroélectrique la mise en œuvre de différentes mesures relatives au débit réservé et à la continuité écologique. Parmi ces prescriptions figurait la réalisation d’une passe à poissons, dont un arrêté préfectoral du 26 mars 2013 portant prescriptions complémentaires a fixé le délai de réalisation de cet aménagement au 1er octobre 2013. Ce dernier arrêté a fait l’objet d’un recours de la part de l’exploitant, rejeté par le Tribunal administratif de Strasbourg, dont le jugement fut confirmé par la Cour administrative d’appel de Nancy, conduisant le requérant à former un recours en cassation devant le Conseil d’Etat. Si l’un des moyens soulevés devant le Conseil d’Etat tendait à l’irrégularité de la procédure d’adoption de l’arrêté préfectoral portant prescriptions complémentaires, l’intérêt de l’affaire réside essentiellement dans les modalités de mise en œuvre de la réalisation d’une passe à poissons, en particulier sur les délais dans lesquels cette prescription doit être respectée. En l’espèce, le Conseil d’Etat a apporté des précisions relatives à la question des délais applicables pour la réalisation d’une passe à poissons au regard de deux dispositions. La première est l’ancien article L. 232-6 du code rural (devenu ensuite l’article L. 432-6 du code de l’environnement, dont la rédaction est identique, et aujourd’hui abrogé). Cet article disposait que dans certains cours d’eau dont la liste est fixée par décret, tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant notamment la circulation des poissons migrateurs. Les ouvrages existants devaient être mis en conformité dans un délai de 5 ans à compter de la publication d’une liste d’espèces migratrices par bassin ou sous-bassin pour lesquels un dispositif devait être mis en place afin d’assurer leur circulation. La seconde est l’article L. 214-17 du code de l’environnement dans sa version alors applicable, issu de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques. Selon cette disposition, les ouvrages situés sur une liste de cours d’eau dans lesquels il est nécessaire d’assurer la circulation des poissons migrateurs doivent être gérés, entretenus et équipés selon des règles définies par l’autorité administrative. L’article précise que le régime précité s’applique, pour les « ouvrages existants régulièrement installés », à l’issue d’un délai de cinq ans après la publication des listes de cours d’eau concernés par arrêté ministériel. Le Conseil d’Etat va apporter les précisions suivantes sur l’articulation entre ces deux articles : « 9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement cité au point 6, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires, que si un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I du même article L. 214-17 est accordé aux exploitants d’ ” ouvrages existants régulièrement installés ” pour mettre en œuvre les obligations qu’il instaure, ce délai n’est pas ouvert aux exploitants d’ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l’article L. 232-6 du code rural, devenu l’article L. 432-6 du code de l’environnement, qui n’auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation. Ces ouvrages existants ne peuvent ainsi être regardés comme ” régulièrement installés “, au sens du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, et sont donc soumis aux obligations résultant du I de cet article dès la publication des listes qu’il prévoit ». Pour le Conseil d’Etat, un ouvrage n’ayant pas respecté le délai de cinq ans pour se mettre en conformité au titre de ses obligations en matière de circulation de poissons migrateurs issues de l’article L. 232-6 du code rural ne peut être considéré comme un « ouvrage existant régulièrement installé » au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement et ainsi bénéficier du délai de 5 ans pour se mettre en conformité dans le cadre de cette disposition. Cette solution n’est pas sans rappeler celle qui voulait que les droit d’antériorité ne pouvait bénéficier à une installation nouvellement classées que si elle avait été régulièrement sous l’empire de l’ancienne législation qui lui était applicable avant le décret de classement (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 30/01/2013, n° 347177). En l’espèce, l’exploitant de l’ouvrage était soumis aux obligations de l’ancien article L. 232-6 du code rural puisque le cours d’eau sur lequel il était situé figurait sur les listes établies au titre de cette disposition depuis le 24 décembre 1999. En l’occurrence, un dispositif de circulation des poissons migrateurs devait donc avoir été installé sur l’ouvrage par l’exploitant dans un délai de 5 ans, soit depuis le 25 décembre 2004. Or, l’exploitant n’a jamais construit ce dispositif. Ainsi, à la date de publication de l’arrêté ministériel classant le cours d’eau sur lequel est situé l’ouvrage au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, l’exploitant ne s’était pas mis en conformité au regard de l’ancien article L. 232-6 du code rural. Il ne pouvait donc être considéré comme un « ouvrage existant régulièrement installé » et bénéficier ainsi du délai de cinq ans pour se mettre en conformité en vertu de l’article L. 214-17. Les obligations issues de cet article lui étaient dès lors applicables à compter de la date de classement du cours d’eau, soit le 1er janvier 2013. A compter du 1er janvier 2013, le préfet pouvait donc prescrire à l’exploitant la mise en œuvre d’une passe à poissons opérationnelle avant le 1er octobre 2013, sans que celui-ci ne puisse bénéficier du délai de 5 ans prévu par l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE « TARN-ET-GARONNE » A UNE CONVENTION DE PROJET URBAIN PARTENARIAL (P.U.P)

Par maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Marseille relatif à un contentieux d’un  Projet Urbain Partenarial (P.U.P.) mérite de retenir l’attention (téléchargeable ici : CAA Nantes, 23 juillet 2018, n° 17NT00930). Instituée par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 et codifiée aux articles L. 332-11-3 et L. 332-11-4 du code de l’urbanisme, la convention de Projet Urbain Partenarial (P.U.P) est une forme de participation d’urbanisme destinée au financement d’équipements publics autres que les équipements propres. Cette convention est conclue entre, d’une part, le ou les propriétaires, aménageurs et / ou constructeurs et d’autre part, la personne publique compétente en matière d’urbanisme (i.e. commune ou établissement public de coopération intercommunale) ou bien le Préfet, dans le cadre des opérations d’intérêt national. Sa conclusion n’est autorisée que dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document en tenant lieu et plus précisément, dans les zones urbaines (U) et les zones à urbaniser (AU). Par ailleurs, il convient de rappeler que la conclusion d’une convention de P.U.P a pour effet de faire échapper les constructions réalisées dans le périmètre qu’elle délimite du champ d’application de la taxe d’aménagement pendant un délai fixé par la convention, qui ne peut excéder dix ans (cf. C. urbanisme, L. 332-11-4). Pour les opérateurs privés, l’intérêt de signer une convention de P.U.P réside dans la possibilité d’obtenir plus rapidement la réalisation d’équipements publics difficiles à financer a posteriori par la seule taxe d’aménagement (TA) et si cette convention peut faire avancer plus rapidement son projet (cf. circulaire du 18 juin 2013 relative à la réforme de la fiscalité de l’aménagement, annexe 2). Il a été jugé par la Cour administrative d’appel de Marseille que si une convention de P.U.P peut être conclue en vue du financement de tout ou partie des équipements publics nécessaires à la réalisation d’un projet de construction, sa conclusion ne peut légalement intervenir postérieurement à la délivrance de la ou des autorisations d’urbanisme autorisant la réalisation de ce projet. A défaut, la convention est entachée d’un vice d’une particulière gravité (cf. CAA Marseille 27 mai 2016, Mme C. A, req. n° 15MA01414, considérant n° 14). Par ailleurs, cette même Cour a jugé que la convention de P.U.P, qui peut être passée avec le bénéficiaire d’un permis, n’est pas, par sa nature même, soumises aux règles de mise en concurrence et de publicité (cf. CAA Marseille, 17 octobre 2013, n° 12MA02696). Il convient néanmoins de rappeler que le juge n’est pas lié par la qualification du contrat donnée par les parties, de sorte qu’une convention faussement intitulée de P.U.P encourt un risque de requalification en marché public si elle remplit les critères de cette qualification (cf. par exemple CE, 5 juin 2009, Société Avenance-enseignement et santé, n° 298641). Dans notre affaire, le conseil de la communauté urbaine Le Mans Métropole avait, par une délibération à objet composite, d’une part, approuvé le projet de convention P.U.P conclu avec la société Benermans pour l’aménagement d’un parc d’activités commerciales situé sur son territoire et autorisé son président à signer la convention et d’autre part, approuvé le programme des équipements publics. La convention de P.U.P a été signée le 27 novembre 2014. La SCI Val de Sarthe, tiers à l’opération, a sollicité de la part du Tribunal administratif l’annulation de la délibération du 20 novembre 2014 et de la convention de P.U.P conclue entre l’EPCI et la société Benermans le 27 novembre 2014. Elle a saisi la Cour d’une requête d’appel à l’encontre du jugement ayant rejeté sa demande Concernant la légalité de la délibération du 20 novembre 2014, la Cour a estimé  que les parties s’étaient engagées, pour la commune, à réaliser d’importants travaux de voirie d’un montant de 1 554 724 euros dans un délai de 18 mois à compter de la prise d’effet des obligations des parties, et pour la société Benermans, à participer à l’opération via un apport de terrains non-bâtis et au versement d’une contribution financière de 1 436 668 euros. Le juge a constaté que  cette même société avait été exonérée du paiement de la taxe d’aménagement dans le périmètre de la convention pour une durée de 10 ans. Or selon la Cour « eu égard à son objet et au caractère exorbitant de l’exonération de taxe d’aménagement figurant à son article 6, cette convention doit être regardée comme revêtant le caractère d’un contrat administratif » (cf. considérant 7 de l’arrêt). Le juge d’appel a donc considéré que la convention de P.U.P, qui n’est pas un contrat administratif par détermination de la loi, était  un contrat administratif au regard des critères dégagés par la jurisprudence, et plus précisément, au regard du critère de la clause exorbitante du droit commun (cf. Conseil d’Etat, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, rec. Lebon, n° 30701). Dès lors, et par application de la désormais célèbre jurisprudence « Département de Tarn-et-Garonne » (cf. Conseil d’Etat, 4 avril 2014, n° 358994, Publié au recueil Lebon), la SCI Val de Sarthe était seulement recevable à contester, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, la délibération litigieuse en tant qu’elle approuvait le programme des équipements publics. En effet, dans l’arrêt précité, le Conseil d’Etat a fixé le principe selon lequel : « indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles (…); que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat ; que ce…

Principe de précaution et fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques (CE, 7 mars 2018, n°399727)

Par Me Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats L’association Robin des Toits avait sollicité du Premier ministre qu’il procède à l’abaissement des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, prévues par le décret n°2002-775 du 3 mai 2002. Saisi du recours de cette association tendant à l’annulation du refus du Premier ministre de procéder à cet abaissement, le Conseil d’Etat a rejeté néanmoins cette demande par un arrêt du 7 mars 2018 (CE, 7 mars 2018, n°399727). Cette décision suscite l’intérêt notamment en ce qu’elle décline la méthodologie d’application du principe de précaution – invoqué par l’association – à la fixation des valeurs limites d’exposition en matière de champs électromagnétiques. Ce sujet délicat est en effet l’un des domaines dans lesquels l’application du principe de précaution est régulièrement sollicitée, en raison de l’évolution des connaissances scientifiques et de la mouvance du cadre de protection de la santé humaine en la matière. La Haute Assemblée détaille ainsi la méthode que doit suivre l’autorité compétente de l’Etat pour la fixation des valeurs limites précitées : « Considérant que, s’agissant de la fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, l’autorité compétente de l’Etat doit rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, la réévaluation de ces valeurs par application du principe de précaution ; que, pour remplir cette obligation, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt de l’opération, les mesures de précaution dont l’opération est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives ; qu’il appartient au juge, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution »[1] Cette rédaction n’est pas sans rappeler une décision précédemment rendue par le Conseil d’Etat, déjà sur le thème de l’application du principe de précaution en matière d’ondes électromagnétiques, à propos de la construction de la ligne Très-Haute-Tension (THT) « Cotentin-Maine » (CE, 12 avril 2003, Association Coordination interrégionale STOP THT et autres, req. n° 342409). Si les considérants de principe de ces deux décisions sont presque identiques, on s’étonnera toutefois des termes employés par la Haute Assemblée dans l’arrêt le plus récent. En effet, dans son arrêt de 2013, le Conseil d’Etat estimait que des procédures d’évaluation du risque devaient être mises en œuvre par les autorités publiques dans le cas où existaient des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque pour l’environnement ou pour la santé (Cf. considérant n°37 de l’arrêt). Dans l’arrêt de 2018, la rédaction employée suggère que c’est précisément la mise en place de procédures d’évaluation qui doit permettre d’identifier un tel risque. Selon le Conseil d’Etat, l’évaluation du risque doit désormais être l’un des outils permettant d’identifier le risque et ne doit pas intervenir a posteriori, une fois le risque identifié. Dans la décision commentée, la Haute Assemblée constate d’abord que des procédures d’évaluation des risques ont été mises en œuvre, par la mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences exercée par l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et par le contrôle du respect des valeurs limites d’exposition effectué par l’Agence nationale des fréquences (Cf. considérant n°4 de l’arrêt ). Ensuite, le Conseil d’Etat constate que les mesures de précaution entourant la fixation des valeurs limites d’exposition au public des champs électromagnétiques sont suffisantes, à la lumière de l’état des connaissances scientifiques engagées à ce jour, lesquelles ne plaident pas en faveur de l’abaissement des valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°5 de l’arrêt). Ainsi : les conclusions des nombreuses recherches scientifiques consacrées aux effets non thermiques des ondes radioélectriques, dont plusieurs études internationales, n’ont pas mis en évidence d’effet athermique de ces ondes sur l’homme entraînant des conséquences sanitaires délétères, en l’absence de mise en évidence de tels effets, le Conseil de l’Union européenne n’a pas révisé sa recommandation du 12 juillet 1999 relative à l’exposition du public aux champs électromagnétiques (Cf. Recommandation du Conseil n° 1999/519/CE du 12/07/99 relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 GHz), J.O.C.E n° L 199 du 30 juillet 1999) préconisant les valeurs limites qui ont été reprises par le Premier ministre dans le décret du 3 mai 2002 ; les rapports d’expertise collective publiés par l’ANSES en 2009 et 2013 n’ont pas préconisé la révision de ces valeurs limites ; la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants a certes engagé une révision de ses propres conclusions concernant les hautes fréquences mais, comme l’a indiqué la Commission européenne, il convient d’attendre les conclusions de ces travaux pour examiner à nouveau la pertinence des valeurs limites d’exposition. Le Conseil d’Etat en conclut qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, et dans l’attente des résultats des travaux engagés, il ne peut être considéré que le Premier ministre a commis une erreur d’appréciation en s’abstenant de modifier à la baisse les valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°6 de l’arrêt.). On remarquera toutefois que le Conseil d’Etat prend le soin de souligner que des travaux ont été engagés et que leurs résultats sont attendus. Cela pourrait-il suggérer qu’en fonction de leur contenu, ces conclusions seront susceptibles d’entraîner la modification des seuils d’exposition actuellement fixés et que le refus de procéder en ce sens pourra, cette fois, constituer une…

Energie: Le contrat ayant pour objet la vente des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE) n’est pas un contrat de la commande publique et n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un référé contractuel (Conseil d’Etat, 7 juin 2018, n°416664)

Par Me Thomas RICHET – Green Law Avocats De manière inédite, et par un arrêt rendu le 7 juin 2018, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité pour un concurrent évincé d’effectuer un référé contractuel à l’encontre d’un contrat ayant pour objet la vente, par un syndicat d’énergie, des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE). Mis en place il y a 12 ans, le dispositif des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie, lesquels doivent promouvoir l’efficacité énergétique auprès des consommateurs d’énergie (ménages, collectivités territoriales ou professionnels). Le 1er janvier 2018, le dispositif est entré dans sa 4ème période d’obligation pour une durée de 3 ans. Il s’agit d’un levier financier pour les entreprises et les collectivités, dites obligées, dans le cadre de de leurs projets de maîtrise de l’énergie puisqu’elles peuvent céder les CEE à titre onéreux à des intermédiaires. Il peut ainsi s’agir de sociétés de courtage ou de structures délégataires subrogées dans les droits des « obligés ». Le cadre juridique est en pleine évolution (voir notre analyse déjà publiée sur le sujet). Dans l’affaire tranchée par la Haute juridiction, un contrat ayant pour objet la vente, par un syndicat d’énergie, des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie (CEE) a été conclu entre le syndicat intercommunal pour le recyclage et l’énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM) et la société Capital Energy. Concurrente évincée à l’attribution de ce contrat, la société Geo France Finance a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles d’un référé contractuel, sur le fondement de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative, pour en solliciter l’annulation. Pour rappel, peuvent notamment faire l’objet d’un référé contractuel les contrats  « ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. » (Cf. Article L. 551-13 du Code de justice administrative précité). Le juge des référés du Tribunal a rejeté le référé de la société Geo France Finance par une ordonnance n° 1707752 du 4 décembre 2017. Le Conseil d’Etat, saisi en cassation contre l’ordonnance précitée, devait donc tout d’abord s’assurer de la possibilité, en l’espèce, d’effectuer un tel référé contractuel. Pour ce faire, la question de la qualification juridique du contrat conclu entre le SIREDOM et la société Capital Energy était donc un préalable nécessaire. Sur ce point le Conseil d’Etat apporte une réponse complète : « ce contrat, qui ne comporte ni exécution de travaux, ni livraison de fournitures, ni prestation de services de la part du cocontractant, n’a pas pour objet de satisfaire un besoin du SIREDOM au moyen d’une prestation en échange d’un prix ; que la circonstance que les recettes ainsi acquises par le SIREDOM puissent être affectées au financement des travaux d’adaptation du centre intégré de traitement des déchets conclu avec la société Eiffage est sans incidence sur l’objet du contrat en litige, qui est distinct du marché de conception-réalisation portant sur les travaux d’adaptation du centre ; que ce contrat n’étant pas un marché public, il ne revêt pas un caractère administratif par détermination de la loi ; qu’il ne fait pas non plus participer la société cocontractante à l’exécution du service public et ne comporte pas de clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il a, en conséquence, le caractère d’un contrat de droit privé » (considérant 5 de l’arrêt). Le contrat conclu entre le syndicat d’énergie et la société Capital Energy n’étant pas un contrat de la commande publique, il ne pouvait pas faire l’objet d’un référé contractuel sur le fondement de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative. Le pourvoi de la société évincée a donc été rejeté.