ANTENNES RELAIS SUR LE DOMAINE PUBLIC NON ROUTIER

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le contentieux relatif aux antennes relais n’a pas fini de donner du grain à moudre. En effet, par une décision du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat a précisé, s’agissant du domaine public non routier, les prérogatives des autorités gestionnaires en la matière (Conseil d’Etat, 27 mai 2020, n° 430972). Le conseil communautaire d’agglomérations Lorient Agglomération avait fixé les conditions d’installation des antennes de téléphonie mobile sur les réservoirs de stockage d’eau potable par une délibération du 3 février 2015. Par un recours devant le Tribunal administratif de Rennes et devant la Cour administrative d’appel de Nantes, la société Orange demandait l’annulation de cette délibération. Les deux juridictions ayant rejeté son recours, la société Orange s’est pourvue en cassation. Le Conseil d’Etat a notamment eu à répondre à la question de savoir si les autorités gestionnaires du domaine public non routier ont la faculté ou l’obligation d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques. En effet, dans sa délibération, le conseil communautaire avait décidé de ne pas renouveler, à leur échéance, les conventions en vertu desquelles était autorisée l’occupation des réservoirs de stockage d’eau potable par des antennes de téléphonie mobile. Ce refus n’était pas tiré de l’incompatibilité de cette occupation avec l’affectation de ces dépendances domaniales ou avec les capacités disponibles, mais de la volonté de conclure de nouvelles conventions d’occupation tenant compte des conditions techniques et financières nouvelles prévues par cette délibération. C’est le code des postes et des communications électroniques qui régit l’occupation du domaine par les exploitants de réseaux. Ainsi son article L. 45-9 dispose que : « Les exploitants de réseaux ouverts au public bénéficient d’un droit de passage, sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, à l’exception des réseaux et infrastructures de communications électroniques, et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l’article L. 48, dans les conditions indiquées ci-après. Les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier peuvent autoriser les exploitants de réseaux ouverts au public à occuper ce domaine, dans les conditions indiquées ci-après. (…) ». Notons que la définition d’un réseau ouvert au public est donnée par l’article L. 32 du code des postes et des télécommunications, défini comme « tout réseau de communications électroniques établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de communications électroniques ou de services de communication au public par voie électronique ». En l’espèce le Conseil d’Etat a considéré que : « il résulte de ces dispositions que si les exploitants de réseaux ouverts au public bénéficient d’un droit de passage sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, à l’exception des réseaux et infrastructures de communications électroniques, les autorités gestionnaires du domaine public non routier ont seulement la faculté, et non l’obligation, d’y autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques, dans le respect des prérogatives qu’elles tiennent de leur qualité de gestionnaire de ce domaine. Par suite, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le conseil communautaire de la communauté d’agglomération Lorient Agglomération avait légalement pu décider, par la délibération en litige, de ne pas renouveler, à leur échéance, les conventions en vertu desquelles était autorisée l’occupation des réservoirs de stockage d’eau potable par des antennes de téléphonie mobile, alors même que le motif de ce refus ne serait pas tiré de l’incompatibilité de cette occupation avec l’affectation de ces dépendances domaniales ou avec les capacités disponibles, mais de la volonté de conclure de nouvelles conventions d’occupation tenant compte des conditions techniques et financières nouvelles prévues par cette délibération ». Ainsi il convient de distinguer deux situations : – sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, les exploitants de réseaux ouverts au public disposent d’un droit de passage ; – s’agissant de l’occupation du domaine public non routier, les exploitants de réseaux ouverts au public ne disposent pas d’un droit de passage, les autorités en question n’ont pas l’obligation mais une simple faculté d’autoriser. Le Conseil d’Etat a donc interprété le verbe « peuvent » comme une faculté de l’autorité et non une obligation s’agissant de son domaine public non routier, pour lequel elle garde tout pouvoir de décision malgré l’extension des domaines que peuvent occuper les exploitants de réseaux suite  à la loi n°2009-179 du 7 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés. Rappelons que l’accès des opérateurs au domaine public est un aspect essentiel de l’ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques, notamment le droit de l’Union européenne doit être respecté en la matière. L’article L. 45-9 précité est en effet issu de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, qui transpose l’article 11 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive “cadre”).

Antennes relais : le Conseil d’Etat prive même le maire de l’information de précaution !

Par un arrêt remarqué en date du 23 octobre 2013 « société O. » (CE, 23 octobre 2013, Société O., n° 360481), le Conseil d’Etat vient apporter d’intéressantes précisions sur les documents que le maire peut exiger d’un opérateur téléphonique qui souhaite construire des antennes relais sur le territoire de sa commune. Il en ressort que le maire ne peut exiger d’un opérateur une information dite de précaution au stade de l’instruction d’une déclaration préalable lorsque celle-ci n’est pas prévue par les textes (en dehors de tout texte). L’information de précaution est une manifestation du principe de précaution en ce qu’elle doit éclairer l’édile municipal sur les risques liés à l’implantation d’antennes relais lorsqu’il agit en qualité d’autorité compétente en matière d’urbanisme. Les faits étaient simples. Le maire d’Issy-les-Moulineaux (92) avait, par arrêté, fait opposition à la déclaration préalable de travaux d’implantation de deux antennes relais par la société O. aux motifs « qu’une école et deux crèches se situent dans un rayon de 100 mètres autour du relais, que l’estimation du niveau maximum du champ [électromagnétique] reçu sous la forme d’un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne est absente du dossier [de déclaration préalable] ». Accessoirement, le maire soutenait que d’un point de vue paysager, les antennes ne s’intégraient pas à l’environnement urbain. En première instance, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetait le recours de la société sur le fondement de l’article L. 96-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) en relevant que l’autorité compétente en matière d’urbanisme pouvait s’opposer à la déclaration préalable si l’opérateur ne lui avait pas fourni les éléments permettant de l’assurer que le projet n’est pas susceptible de violer le principe de précaution. En cassation, le Conseil d’Etat annule le jugement du TA ainsi que l’arrêté d’opposition à déclaration préalable de travaux. Pour ce faire, le Conseil d’Etat censure d’une part l’interprétation faite par le TA de l’article L. 96-1 du CPCE (I) et d’autre part, la haute juridiction, réglant l’affaire au fond, constate l’absence d’éléments au dossier justifiant l’application du principe de précaution par le maire (II). L’arrêt « société O. » confirme que l’implantation d’antennes relais de la téléphonie mobile est insoluble dans le principe de précaution (III). I – La nouvelle piste de l’information fait “pschitt” Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle que dans la version de l’article 96-1 CPCE applicable à la date de l’arrêté attaqué : « Toute personne qui exploite, sur le territoire d’une commune, une ou plusieurs installations radio-électriques est tenue de transmettre au maire de cette commune, sur sa demande, un dossier établissant l’état des lieux de cette ou de ces installations […] ». Ces dispositions visent donc à obliger, sur demande du maire, les exploitants d’antennes relais en exploitation, à transmettre des informations sur l’état des lieux des installations. En l’espèce, le maire considérait incomplet le dossier qui ne comprenait pas l’estimation du niveau maximum du champ électromagnétique reçu sous  forme d’un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne sur le sujet. Toutefois, le Conseil d’Etat juge qu’au stade de l’instruction du dossier, le maire ne peut exiger d’autres documents que ceux prévus par le code de l’urbanisme même lorsque l’application du principe de précaution est en jeu. Les juges du Palais Royal font ici application du principe qu’ils ont pu dégager selon lequel le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique de dépasser son champ de compétence (trois arrêts du même jour : CE, Ass, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, req. n° 326492 ; Commune de Pennes-Mirabeau, req. n°329904 ;  SFR, req. n°s 341767 et 341768). II – L’absence d’éléments circonstanciés tendant à établir l’existence de risques même incertains Dans un deuxième temps, pour régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat reprend son considérant de principe dégagé dans un autre arrêt (CE, 30 janvier 2012, société O., req. n° 344992) selon lequel : « S’il appartient, à l’autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme, les dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d’évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d’être mises en œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d’une autorisation d’urbanisme en l’absence d’éléments circonstanciés sur l’existence, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus d’autorisation » Rappelant, s’il le fallait encore, que le principe de précaution est opposable à l’implantation d’antennes relais (voir en ce sens : CE, 19 juillet 2010, Association du quartier des Hauts de Choiseul, req. n° 328687), la haute juridiction considère qu’aucun élément du dossier de déclaration préalable soumis au maire d’Issy-les-Moulineaux n’est susceptible d’établir l’existence d’un risque pour les riverains pouvant résulter de l’exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes relais. Enfin, le Conseil d’Etat relève que le droit d’accès aux informations environnementales consacré à l’article 7 de la Charte de l’environnement « n’habilite pas, par elle-même, le maire d’une commune à exiger le production de documents non prévue par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur, ni à instaurer une procédure, elle-même non prévue par les textes en vigueur ». Cette précision utile tend à neutraliser l’invocation directe de la Charte de l’environnement par un maire qui exige, au stade de l’instruction d’un dossier de déclaration préalable, des éléments qu’il ne peut légalement requérir pour fonder sa décision. A titre subsidiaire, le Conseil d’Etat estime que l’implantation des antennes relais dans un « environnement urbain » exclut du champ de visibilité de monuments d’intérêts historiques et paysagers n’est pas de nature « à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants ». III – Insolubilité du principe de précaution en matière d’antennes relais : solution nouvelle ou continuité jurisprudentielle ? Alors que les sages du Palais Royal ont récemment fixé finement « la méthodologie du principe de précaution » (« La méthodologie du principe de précaution fixée par le Conseil d’Etat » in Droit de l’environnement, n° 216, pp….