Arrêtés couvre-feu pour prévenir les troubles de voisinage : contrôle étroit du juge

 Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Souvent les riverains se sentent démunis face aux troubles de voisinages dont ils sont victimes en milieux urbains et dans des zones où le vouloir vivre ensemble semble très difficile au quotidien. Pour y remédier certains élus locaux ont décidé de mobiliser leur pouvoir de police administrative en prenant des arrêtés « couvre-feu ». Ils ne sont pas forcément illégaux mais comme l’appelé le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ils font l’objet d’un contrôle juridictionnel étendu. Ainsi, le jour du 230e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a d’abord été l’occasion pour le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement des dispositions de l’article L.521-1 CJA, de préciser les règles applicables en matière de concours entre polices administratives générales au sein de communes où la police est étatisée (TA Cergy-Pontoise ord. 26 août 2019, Ligue des droits de l’homme, n° 1910034 et n° 1910057). Des arrêtés « couvre-feu » pris par les maires de Meudon et Sèvres Au début de l’été 2019, les maires de deux communes de la banlieue ouest de Paris avaient proscrit par arrêté les rassemblements « non liés à des manifestations ou fêtes publiques » à certaines heures de la soirée ou de la nuit, et sur des secteurs délimités de leurs communes respectives : le maire de Meudon avait interdit, sur un périmètre restreint de sa commune et pour une période d’un an courant à compter du 10 juin 2019, les regroupements de personne non liés à des rassemblements autorisés ; à Sèvres, le maire n’avait empêché ce type de réunion que jusqu’au 30 septembre 2019, sur une petite portion de son territoire communal, mais sur une plage horaire plus importante. La Ligue des droits de l’homme a alors intenté une action en référé-suspension devant le juge administratif. La requérante estimait que les actes administratifs édictés par les deux édiles, à défaut d’être « nécessaires et adaptés », portaient en tout état de cause une atteinte « disproportionnée » à deux grandes libertés publiques : la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion des personnes susceptibles de circuler sur le territoire concerné. Outre le vice d’incompétence du maire pour édicter de telles dispositions – nous y reviendrons – le périmètre géographique et l’amplitude horaire présents dans les deux arrêtés étaient contestés. La reconnaissance de la compétence du maire pour réprimer les troubles du voisinage dans les communes où la police est étatisée Dans les deux espèces, le juge des référés a, prima facie, reconnu l’existence d’une situation d’urgence, nécessaire au vu des dispositions de l’article L.521-1 CJA pour qu’il fasse usage de ses pouvoirs. Les deux ordonnances du 26 août 2019 ont ensuite permis au juge administratif de préciser l’étendue des compétences du maire en matière de police administrative générale dans des communes où la police est étatisée. Le magistrat statuant en référé a opéré une combinaison entre l’article L.2212-2 et l’article L.2214-4, deux textes de la partie législative du Code général des collectivités territoriales relatifs aux pouvoirs de police du maire (L.2212-2) et du Préfet (L.2214-4) en matière de répression des troubles à l’ordre public. « Dans les communes où la police est étatisée, le maire est compétent pour réprimer les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les troubles du voisinage, le représentant de l’Etat étant pour sa part compétent pour réprimer les autres atteintes à la tranquillité publique au sens des dispositions du 2° de l’article L.2212-2 CGCT ». La reconnaissance de la compétence du maire reposait donc sur la qualification par le juge des actes proscrits au sein des arrêtés : seule la qualification de troubles de voisinage portant atteinte à la tranquillité publique pouvait emporter compétence municipale, écartant au passage la compétence légale du Préfet par le jeu de la combinaison des deux dispositions précitées. C’est chose faite dans les deux espèces « eu égard aux atteintes à la tranquillité publique que vise à prévenir l’arrêté attaqué, qui doivent être regardées comme consistant en des troubles du voisinage, le moyen tiré de l’incompétence du maire de Sèvres (Meudon) ne peut être regardé comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ». On remarquera que la qualification de trouble de voisinage est particulièrement motivé dans les deux ordonnances. S’agissant de la commune de Sèvres, l’Ordonnance relève  que « à Sèvres, le tribunal constate « ces troubles ont donné lieu à des plaintes de riverains faisant état de rassemblements de plusieurs personnes en soirée et jusque dans la nuit, caractérisés notamment par du tapage nocturne, des mouvements de scooter, de la consommation de substance illicites, des stationnements illégaux, des déjections et des dégradations de véhicules particuliers, et, le cas échéant, des repas sauvages. S’agissant du centre d’art et de culture, situé aux abords d’un secteur résidentiel, ces troubles se manifestent notamment de nuit et en dehors même de toute activité du centre. Ces plaintes sont matérialisées, sur une période incluant la fin de l’hiver et le printemps 2019, par des interventions auprès du maire de particuliers, deux mains courantes de riverains (rue du Val et rue Hélène Loiret), par quatre mains courantes des services de la police municipale (rue du Val, place Jules Janssen et rue Basse de la Terrasse), et par une restitution d’une réunion d’un comité de quartier. A cet égard, il ressort de ces pièces que la police municipale de Meudon est intervenue, sur signalement de particuliers, avec des résultats inégaux et sans pouvoir verbaliser les intéressés, en l’absence de prérogative en ce sens, les services de la police d’Etat ne pouvant donner suite dans tous les cas à ces interventions, ou intervenant avec retard par rapport au signalement des faits, en raison notamment de la diminution de leurs effectifs dans les Hauts-de-Seine. S’agissant de la rue du Cerf, une tentative de médiation avec les personnes intéressées, organisée en avril 2019, n’a pas abouti. Aucun équipement en caméras de vidéo-surveillance n’existe dans les secteurs concernés eu…

Serres agrivoltaïques : leur simple couverture ne remet pas en cause la destination agrirole

Par Maître Sébastien BECUE, avocat of counsel (Green Law Avocats) Un arrêt récent du Conseil d’Etat en matière de erres agrivoltaïques doit retenir l’attention (CE, 12 juil. 2019, n°422542) La question semblait déjà réglée pour la plupart des juridictions du fond : la pose de panneaux photovoltaïques en toiture de serres, dès lors qu’il est démontré que ces serres servent réellement un projet agricole, ne remet pas en cause le caractère agricole des serres. C’est le cas même lorsque l’électricité produite par la couverture solaire est destinée à l’injection sur le réseau public de distribution (voir pour exemples : CAA Bordeaux, 14 nov. 2013, n°12BX00465 ; CAA Lyon, 25 mars 2014, n°11LY23465 ; CAA Marseille, 6 juin 2017, n°16MA00267 ; CAA Lyon, 21 mai 2019, n°18LY01639). On sait qu’il est devenu aujourd’hui très difficile de réaliser un projet de centrale solaire au sol sur des terres agricoles, depuis que l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme prévoit que mêmes les constructions d’intérêt collectif/général – catégorie à laquelle appartiennent les centrales solaires – doivent être compatibles avec l’exercice d’une activité agricole sur le terrain d’implantation. La réalisation de serres agrivoltaïques permet de respecter l’objectif de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles, puisque le sol se trouvant sous serre reste utilisé à des fins strictement agricoles. Néanmoins, certains projets créent parfois un doute chez l’autorité compétente : est-ce que le pétitionnaire ne se sert pas de son projet agricole comme d’un prétexte pour en réalité réaliser un projet de production d’électricité solaire en zone agricole ? Dans l’espèce soumise au Conseil d’Etat, le PLU limitait comme souvent l’implantabilité en zone agricole aux seules « constructions ou installations nécessaires à l’exploitation agricole ». La Cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir retenu que le pétitionnaire a bien démontré dans son dossier, expertise agronomique à l’appui, que les serres permettent à la fois d’améliorer sa production maraichère et de lui fournir un revenu complémentaire « profitable au développement économique de l’exploitation agricole », décide néanmoins d’annuler le permis de construire, « eu égard [aux] dimensions » de la serre (CAA Bordeaux, 25 mai 2018, n°16BX00192). On devine que la Cour a estimé en creux qu’en l’espèce l’ampleur des serres pourrait avoir été motivée par une volonté autre qu’agronomique. D’une part il s’agit d’un projet d’importance : 2 hectares de serres d’une hauteur de 5 mètres ; d’autre part la Cour relève que le coût de réalisation des serres est entièrement pris en charge par une société qui percevra le revenu tiré de la vente d’électricité. Peu importe, répond le Conseil d’Etat avant d’annuler l’arrêt d’appel : la Cour ne pouvait reconnaître le caractère « nécessaire à l’exploitation agricole » des serres puis simplement considérer que les serres perdraient ce caractère par la seule présence de panneaux en toiture (CE, 12 juil. 2019, n°422542). L’objectif de la règle est bien de préserver l’utilisation agricole du terrain et non d’empêcher la réalisation d’autres activités sur ces constructions ; le considérant clair retenu par le Conseil d’Etat ne s’applique pas qu’aux activités de production d’énergie, et que d’autres types d’activités peuvent être envisagées au sein de constructions nécessaires à l’exploitation agricole : « La circonstance que des constructions et installations à usage agricole puissent aussi servir à d’autres activités, notamment de production d’énergie, n’est pas de nature à leur retirer le caractère de constructions ou installations nécessaires à l’exploitation agricole au sens des dispositions précédemment citées, dès lors que ces autres activités ne remettent pas en cause la destination agricole avérée des constructions et installations en cause » Le débat est donc recentré sur le seul fait que la construction ait ou non un usage agricole avéré. Pour minimiser les risques de refus, la solution généralement recommandée aux porteurs de projet est l’intégration dans le dossier de demande de permis de construire d’une démonstration précise de l’intérêt agronomique des serres pour les cultures qu’elles abritent. Rappelons enfin qu’il ne faut pas oublier que d’autres règles urbanistiques (notamment d’esthétique ou d’intégration paysagère) sont susceptibles d’être opposées aux projets de serres solaires…

définition d’un ouvrage constituant un obstacle à la continuité écologique

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Un décret n° 2019-827 du 3 août 2019 (téléchargeable ici), pris en application des articles L. 214-17 et L. 214-18 du code de l’environnement, modifie diverses dispositions du même code relatives à la notion d’obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l’aval des ouvrages en rivière (JORF n°0181 du 6 août 2019, texte n° 2). Il intéressera en particuliers les exploitants d’ouvrages de type seuil ou barrage de prise d’eau en lit mineur de cours d’eau. Ce texte entre en vigueur au lendemain de sa publication et précise, à l’article R. 214-109 du code de l’environnement, la définition des ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique et dont la construction ne peut être autorisée sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17. Il crée par ailleurs un nouveau cas de cours d’eau au fonctionnement atypique, prévus à l’article L. 214-18, pour lesquels le respect des planchers au 10è ou au 20è du module n’est pas pertinent, visant les cours d’eau méditerranéens à forte amplitude naturelle de débit, aux étiages très marqués. L’ancien article R. 214-109 du Code de l’environnement créé par un décret du 14 décembre 2007 précise la notion de continuité écologique au sens des dispositions des articles L.214-17 à L. 214-19. Un obstacle est au sens de cet ancien article, un ouvrage qui ne permet pas la libre circulation des espèces, qui empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments, interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques, affecte substantiellement l’hydrologie des réservoirs biologiques. L’article R. 214-109 du Code de l’environnement est réécrit de façon à préciser la notion d’obstacle à la continuité écologique. L’article R. 214-109 intègre désormais dans sa définition de nouveaux ouvrages faisant obstacle à la continuité écologique. Il s’agit des « ouvrages qui affectent substantiellement l’hydrologie des cours d’eau, à savoir la quantité, la variabilité, la saisonnalité des débits et la vitesse des écoulements. Entrent dans cette catégorie, les ouvrages qui ne laissent à leur aval immédiat que le débit minimum biologique prévu à l’article L.214-18, une majeure partie de l’année ». Le volet réglementaire modifié par ce nouvel alinéa propose une définition plus étendue de l’ouvrage faisant obstacle à la continuité écologique des cours d’eau. Le décret précise aussi que les ouvrages qui ne peuvent pas être reconstruits seront assimilés à des ouvrages faisant obstacle à la continuité écologique dans les deux cas suivants ; si « l’ouvrage est abandonné ou ne fait plus l’objet d’un entretien régulier, et est dans un état de dégradation tel qu’il n’exerce plus qu’un effet négligeable sur la continuité écologique » et si « l’ouvrage est fondé en titre et sa ruine est constatée en application de l’article R. 214-18­1 ». Le décret crée en outre un nouveau cas de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique, tel que précisé à l’article L. 214-18 du Code de l’environnement. Les ouvrages dans ce type de cours d’eau devront néanmoins respecter les règles relatives à un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage. La modification par le décret de l’article R. 214-111 du Code de l’environnement concerne quant à elle des précisions techniques et la définition du cours d’eau méditerranéen dans les départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, du Var, des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, du Gard, de l’Hérault, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, de la Drôme, de l’Ardèche ou de la Lozère. La parution de ce décret pourrait produire un contentieux relatif à la continuité écologique et aux ouvrages hydroélectrique en ruine. S’il semble acquis que les dispositions réglementaires obligent le magistrat à vérifier caractéristiques d’un ouvrage pour s’assurer qu’il met en œuvre la continuité écologique (v. CE, 11 déc. 2015, nº 367116, Association France Énergie Planète), la formulation opéré par le décret laisse à penser que la perturbation occasionnée par le non-entretien d’un ouvrage en ruine disqualifie « le droit d’eau » réservé à un ouvrage situé sur le cours d’eau. Des questionnements quant à la qualification de ruine et d’ouvrage faisant obstacle à la continuité écologique sont à prévoir compte tenu de la jurisprudence récente du Conseil d’État du 24 avril 2019 (v. Conseil d’État 2019, 24 avril 2019, n° 420764). Ainsi, dans ce cas un ouvrage hydraulique faisant obstacle à la continuité écologique et ayant une brèche dans sa structure sera-t-il toujours considéré comme n’étant pas une ruine ? La requalification d’un tel ouvrage au regard de la réécriture de l’article R214-109 du Code de l’environnement pourrait être envisagée dans le cadre d’une exploitation hydroélectrique des cours d’eau et de l’abandon de certains ouvrages. L’appréciation prétorienne nous semble dans ce cas pour le moment insuffisante.

La production d’électricité éolienne : une raison impérative d’intérêt public majeur ?

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Lorsque la dérogation de destruction d’espèce naturelle protégée est sollicitée pour un projet entrant dans le cadre du champ d’application de l’autorisation environnementale, cette dernière tient lieu de la dérogation faune-flore. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues pour l’autorisation environnementale et les dispositions procédurales relatives à la dérogation faune-flore ne sont alors pas applicables (Cf. les art. L. 181-1, L. 181-2, I, 5° et R. 411-6 du code de l’environnement). S’agissant des parcs éoliens, la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA de NANTES, 5ème chambre, 05/03/2019, 17NT02791- 17NT02794, Inédit au recueil Lebon) apporte d’importantes précisions sur le contrôle du juge administratif quant aux conditions auxquelles un parc éolien peut bénéficier d’une telle dérogation (ici sur la base d’un arrêté intervenu avant l’entrée en vigueur de l’autorisation environnementale). Par arrêté du 4 février 2015, le préfet du Morbihan a accordé à la SAS Les Moulins du Lohan, en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, l’autorisation de déroger aux interdictions mentionnées à l’article L. 411-1 du même code de capture, d’enlèvement, de transport, de perturbation intentionnelle, de destruction de spécimens d’espèces protégées et de destruction d’habitats d’espèces protégées, en vue de l’exploitation d’un parc éolien sur le territoire de la commune des Forges. Saisi par la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France (SPPEF) et plusieurs riverains du projet éolien, ainsi que par l’association ” Bretagne vivante – SEPNB “, le tribunal administratif de Rennes a, par jugement du 7 juillet 2017 annulé cet arrêté. En appel le Ministre et l’opérateur éolien obtiennent l’annulation du jugement et le rétablissement en vigueur de l’arrêté de dérogation. Des dérogations au régime de protection stricte de certaines espèces peuvent être apportées sous certaines conditions : il n’existe pas d’autre solution satisfaisante pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire ; précisons que la possibilité de recourir à une tierce expertise a été introduite par l’article 68 de loi Biodiversité (L. n° 2016-1087 du 8 août 2016) ; la dérogation ne doit pas nuire pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; Par ailleurs la dérogation doit poursuivre l’un des buts suivants énoncés aux paragraphes a) à e) de l’article L.411-2, 4° du code de l’environnement : dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ; dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ; à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; Or dans son arrêt du 3 mars dernier, la CAA de Nantes rappelle « qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Ce sont effectivement pour le Conseil d’Etat trois conditions « cumulatives » qui sont ainsi requises (Conseil d’État, 9 oct. 2013, n°366803,  Inédit au recueil Lebon ;  CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353). Or s’agissant des aménagements projet travaux ou activités à finalité purement économique, leur demande de dérogation doit en pratique être justifiée par « une raison impérative d’intérêt public majeur » pour laquelle la jurisprudence est extrêmement exigeante quant à cette dernière (le projet de  centre commercial et de loisirs dit ” Val Tolosa ” en Haute-Garonne et la création de plus de 1 500 emplois potentiels viennent d’en faire les frais : CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353) Sachant que selon le juge administratif l’intérêt public qui s’attache à un projet « ne suffit pas » à remplir cette condition du droit communautaire (cf. G. Audrain-Demey, Aménagement et dérogation au statut des espèces protégées : la « raison impérative d’intérêt public majeur » au cœur du contentieux, Dr. env. n° 274, janv. 2019, p. 15) et que rares sont les espèces à retenir la qualification de la « raison impérative » (Pour une extension d’ISDN participant de la continuité du service public  CAA Marseille, 7ème ch., 12 juill. 2016, n° 16MA00072 : – Pour le projet d’aéroport de notre Dame des Landes : CAA Nantes, 14 nov. 2016, n° 15NT02386). Ainsi une retenue d’eau, une carrière, un contournement routier, un center parc ne peuvent en tant que tel prétendre à la qualification en l’état de la jurisprudence des juges du fonds. Au demeurant dans son arrêt du 24 juillet dernier (n°414353), le Conseil d’Etat a pris le soin de préciser que la nature des atteintes et leur compensation ne devait pas peser dans la qualification de la raison impérative d’intérêt public majeur : « En raison du caractère cumulatif des conditions posées à la légalité des dérogations permises par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, les motifs par lesquels la cour administrative d’appel a ainsi jugé que l’autorisation attaquée ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur justifient nécessairement, à eux seuls, le…

Compteur Linky : quel propriétaire public ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Green Law Avocats Par un arrêt rendu le 28 juin 2019 qui sera mentionné au Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a mis fin à la controverse juridique entourant la propriété des compteurs « Linky », née avec l’opposition de plusieurs communes à l’implantation de ces dispositifs dits « communicants ». Le déploiement à grande échelle de ces compteurs par la société ENEDIS et ses sous-traitants se heurte depuis plusieurs années à l’opposition d’un certain nombre de citoyens et collectivités territoriales. Au regard des nombreux griefs invoqués à l’encontre de ces installations (émission de champs électromagnétiques nocifs pour la santé humaine, utilisation des données personnelles, risque incendie, surfacturation…), cette bataille juridique se déroule tant devant les tribunaux de l’ordre judiciaire que devant le prétoire du juge administratif. Devant le juge judiciaire, de nombreuses actions ont déjà été intentées en référé, aux fins d’obtenir l’interdiction préalable de pose des compteurs ou leur démantèlement lorsque ceux-ci ont déjà été installés. Ces différentes tentatives se sont jusqu’ici majoritairement conclues par des échecs, à l’exception de certaines ordonnances de référé interdisant la pose ou ordonnant le démantèlement des compteurs au domicile de personnes diagnostiquées électro-hypersensibles (EHS). On notera sur ce dernier point les ordonnances rendues par le juge des référé des Tribunaux de Grande Instance (TGI) de Grenoble (à deux reprises : TGI Grenoble, Ord., 17 novembre 2016 ; TGI Grenoble, Ord., 20 septembre 2017), de Toulouse (TGI Toulouse, Ord., 12 mars 2019, n°19/00026) ou encore très récemment de Foix (TGI Foix, Ord., 25 juin 2019). Le juge des référés de Bordeaux s’est montré quant à lui plus frileux en recommandant l’installation d’un dispositif de filtre autour de compteurs afin de protéger les personnes EHS des ondes émises (TGI Bordeaux, Ord., 23 avril 2019). Quant aux litiges portés devant les tribunaux administratifs, ils concernent essentiellement des délibérations de conseils municipaux ou des arrêtés municipaux destinés à encadrer – et le plus souvent interdire – le déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire communal. L’exemple le plus médiatisé est sans conteste celui de la commune de Bovel (Ille-et-Vilaine), objet de l’arrêt du Conseil d’Etat ici commenté. Par deux délibérations en date des 17 mars et 23 juin 2017, la commune de Bovel avait d’abord refusé l’élimination des compteurs électriques existants et leur remplacement par des dispositifs « Linky », et ensuite maintenu cette position en rejetant le recours gracieux intenté par le Préfet d’Ille-et-Vilaine. Le préfet a alors contesté ces deux délibérations devant le Tribunal administratif de Rennes, lequel a procédé à leur annulation par jugement du 7 décembre 2017 (TA Rennes, 7 décembre 2017, n° 1502392). En appel, la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé ce jugement (CAA Nantes, 5 octobre 2018, n°18NT00454). Elle a considéré que le conseil municipal de la commune n’avait tout simplement pas la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire communal dans la mesure où ces compteurs ne relevaient pas de sa propriété, mais de celle syndicat mixte départemental d’énergie d’Ille-et-Vilaine, à qui la commune avait transféré sa compétence d’organisation du service public de distribution d’électricité. En effet, selon la Cour, il résulte des dispositions combinées des articles L. 322-4 du code de l’énergie et L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales que la propriété des ouvrages publics de distribution d’électricité, dont font partie les compteurs communicants « Linky », est attachée à la qualité d’autorité organisatrice du réseau public de distribution d’électricité, qualité dont était revêtu en l’espèce le syndicat mixte départemental. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat valide entièrement l’interprétation retenue par la Cour administrative d’appel. Cette décision aura incontestablement des impacts notables sur la lutte menée à l’encontre des compteurs « Linky ». En effet, en premier lieu, de nombreuses communes ont transféré leurs compétences en matière de gestion du réseau public de distribution d’électricité à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte. Avec cette décision qui tranche définitivement la question du propriétaire des compteurs, ces communes se voient dépossédées d’un motif juridique permettant d’encadrer leur déploiement. D’autant que le contrôle de la pose des compteurs ne peut efficacement avoir lieu par l’exercice, par le Maire, de ses pouvoirs de police générale afin d’assurer la sécurité et la salubrité publiques qui seraient susceptibles d’être menacées par l’installation de ces dispositifs sur le territoire communal. En effet, les juridictions administratives saisies considèrent généralement qu’aucun trouble à l’ordre public n’est établi (voir pour un exemple CAA Nantes, 5 octobre 2018, Commune de Cast, n°17NT01495). En second lieu, avec cet arrêt, le propriétaire des compteurs « Linky » est désormais clairement identifié, et l’on peut supposer que cela conduise à déplacer une partie du contentieux jusqu’ici majoritairement dirigé vers le concessionnaire ENEDIS vers les personnes publiques détenant la propriété des compteurs, afin de solliciter de leur part l’interdiction préalable des compteurs, l’injonction de pose avec prescriptions (par exemple un filtre) voire le démantèlement des dispositifs déjà implantés. La décision de l’autorité concédante pouvant, ensuite, faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif.