REFORME DU CODE DE L’EXPROPRIATION : DÉJÀ UNE CIRCULAIRE !

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Nous sommes en 2015 après Jésus-Christ. Toute la législation française fait l’objet d’une tendance à la simplification du droit… Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles circulaires résiste encore et toujours à l’envahisseur ! La loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 a habilité le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens. L’article 5 de cette loi a notamment autorisé le Gouvernement à procéder par ordonnance à la modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique afin « d’y inclure des dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de donner compétence en appel à la juridiction de droit commun ». Il était également précisé que le Gouvernement pouvait « apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet. » Enfin, il pouvait « étendre, le cas échéant avec les adaptations nécessaires, l’application des dispositions ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna. » La refonte du code de l’expropriation s’est opérée grâce à la publication de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de son décret d’application n° 2014-1635 du 26 décembre 2014. A peine cette réforme est-elle entrée en vigueur que, dès le 19 janvier 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, avait déjà pris une circulaire pour présenter le nouveau code de l’expropriation pour cause d’utilité publique aux juridictions judiciaires. Après avoir rappelé la genèse de la réforme du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les objectifs et les principes de la recodification, la circulaire expose les principales modifications intéressant le contentieux judiciaire. A cet effet, la circulaire présente le livre II relatif à la « juridiction de l’expropriation, transfert judiciaire de propriété et prise de possession » et le livre III relatif à l’ « indemnisation ». En présence d’un doute sur l’interprétation d’une nouvelle disposition, il sera donc possible de l’examiner à la lumière de cette circulaire. La circulaire mentionne également les dispositions qui ont été abrogées par ce code ou qui n’ont pas été expressément reprises. Par ailleurs, elle donne des précisions quant à son application ultra-marine. Enfin, elle se prononce sur l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. A cet égard, elle énonce que les procédures en cours restent régies par les dispositions qui leur étaient applicables au moment de l’introduction de l’instance. En revanche, elle précise que la procédure d’appel pouvant être ultérieurement introduite sera soumise aux dispositions nouvelles. La circulaire ajoute, en outre, que certaines ordonnances de désignation des juges de l’expropriation, prises avant le 1er janvier 2015, demeurent valables pour la durée de la désignation des juges de l’expropriation. Ces précisions n’étaient pas utiles dans la mesure où l’article 7 de l’ordonnance du 6 novembre 2014 précisait notamment que « Les contentieux […] judiciaires engagés sur le fondement des dispositions de l’ancien code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, en cours au jour de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, demeurent régis par les dispositions de l’ancien code de l’expropriation pour cause d’utilité publique jusqu’à dessaisissement de la juridiction saisie ». La circulaire se termine alors sur le fait que le changement de numérotation dans le code d’une règle qui n’a pas été modifiée au fond ne cause aucun grief. En conséquence, excepté l’éclairage apporté par cette circulaire sur les dispositions des livres II et III du nouveau code de l’expropriation du code de l’expropriation, cette circulaire ne présente que peu d’intérêt. En outre, cette circulaire intervient non pas pour préciser un texte sur lequel il existerait déjà des incertitudes quant à l’interprétation mais pour présenter un texte qui vient juste d’entrer en vigueur. Dès lors, dans un contexte de simplification du droit, est-il pertinent de prendre des textes de « présentation » d’autres textes ? Cela ne participerait-il pas, au contraire, à complexifier l’état du droit ? De plus, n’existe-t-il pas un adage selon lequel « Nul n’est censé ignorer la loi », ce qui pourrait dispenser le Gouvernement de prendre des circulaires pour présenter des textes qui ont pourtant fait l’objet d’une publication au Journal Officiel ? Par ailleurs, était-il adroit d’adresser cette circulaire aux juridictions judiciaires ? Il nous semble, qu’au contraire, cela leur pourrait leur faire outrage, celles-ci étant, en principe, parmi les mieux informées de l’état du droit… Peut-être que les autorités expropriantes auraient été plus intéressées par la publication de cette circulaire… Pour conclure, rappelons qu’à force de trop chanter, le barde Assurancetourix, finit systématiquement bâillonné au pied d’un arbre lors du banquet final des aventures d’Astérix… Nous ne souhaitons nullement bâillonner les auteurs des circulaires qui, parfois, nous sont d’une précieuse aide. Toutefois, en l’espèce, l’ordre juridique français aurait, à notre sens, pu faire l’économie de cette circulaire qui risque d’avoir un effet contreproductif en complexifiant encore la compréhension du droit de l’expropriation.

Mise à distance des éoliennes pour les générations futures : suspense au Parlement

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Tous les jours, les médias répètent qu’il faut abandonner l’énergie nucléaire et les énergies fossiles, qu’il faut multiplier le recours aux énergies renouvelables, que le projet de loi sur la transition énergétique doit constituer une avancée fondamentale pour l’environnement, qu’il est nécessaire d’agir pour le climat et qu’à cette fin, la 21ème conférence sur le climat qui se déroulera fin 2015 à Paris doit être un succès… Dans un contexte où les préoccupations environnementales reviennent manifestement sur le devant de la scène, le Sénat semble pourtant en avoir décidé autrement en mettant un frein au développement de l’énergie éolienne terrestre. Pourtant, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte présenté au nom de M. Valls par Mme Royal affichait initialement des objectifs ambitieux. Ainsi, l’exposé de ses motifs précisait notamment que : « Le projet de loi fixe les objectifs, trace le cadre et met en place les outils nécessaires à la construction par toutes les forces vives de la nation – citoyens, entreprises, territoires, pouvoirs publics – d’un nouveau modèle énergétique français plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif. Il vise à engager le pays tout entier dans la voie d’une croissance verte créatrice de richesses, d’emplois durables et de progrès. Une croissance qui lutte contre le réchauffement climatique, combat le chômage et réduit la facture énergétique de la France, qui s’élève à près de 70 milliards d’euros au détriment de notre balance commerciale et de nos finances publiques. Une croissance non prédatrice qui protège la biosphère et nous permet de vivre en harmonie avec ses écosystèmes dont nous sommes partie intégrante. Une croissance qui valorise de nouvelles technologies et permet de conquérir de nouveaux marchés dans le domaine des énergies renouvelables et des transports propres. […] Ce texte exprime la conviction que la France dispose de puissants atouts pour réussir une mutation énergétique qui n’est pas une contrainte à subir mais une chance à saisir. » Son article 38 devait notamment procéder au toilettage et à la clarification de diverses dispositions du code de l’énergie. Ce projet de loi a été déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale et, dans un premier temps, examiné par elle. Le texte adopté par l’Assemblée Nationale le 14 octobre 2014 a ajouté après cet article 38 un article 38 bis A concernant l’implantation des éoliennes au regard des documents d’urbanisme et un article 38 bis concernant le moment auquel doit s’apprécier la compatibilité d’une installation classée avec les documents de planification d’urbanisme. Il n’était toutefois nullement question de modifier la distance d’implantation entre les habitations et les éoliennes. Dans un second temps, le projet de loi dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale a été transmis au Sénat. Avant d’être examiné en séance plénière, le projet de loi a été transmis à une commission chargée de l’étudier, de proposer des modifications (amendements) et d’élaborer le « texte de la commission ». Un amendement a été déposé sur le texte de la Commission par plusieurs sénateurs dont M. Germain. Cet amendement visait à ajouter un nouvel article après l’article 38 bis A afin d’imposer une distance de 1000 mètres entre les habitations et les éoliennes industrielles, contre 500 mètres actuellement. Aux termes de cet amendement, la deuxième phrase du cinquième alinéa de l’article L.553-1 du code de l’environnement devait désormais être rédigée ainsi : « La délivrance de l’autorisation d’exploiter est subordonnée à l’éloignement des installations d’une distance de 1000 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définies dans les documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication de la même loi. » L’exposé des motifs de cet amendement faisait état du fait que la distance de 500 mètres actuellement retenue était « largement sous-évaluée ». A cet égard, l’exposé des motifs se faisait l’écho des protestations « rapportées quasiment rapportées quotidiennement dans la presse régionale, de la part de populations rurales ou périurbaines qui manifestent leur désarroi. Les recours sont presque systématiques. » Pour justifier l’insuffisance de la distance actuelle, étaient aussi invoqués « une atteinte substantielle au droit de propriété et au droit de jouissance des riverains », l’impact sur la santé et la dévalorisation des biens immobiliers. Cet amendement avait donc pour objectif de concentrer les éoliennes industrielles dans les zones inhabitées et ce, afin de « préserver le point de départ des vocations écologistes : la beauté de la nature et de nos paysages qui participent de notre exception culturelle ». Cet amendement a été discuté en séance publique le 17 février dernier. M. Germain, qui défendait l’amendement, a alors justifié sa position par les considérations suivantes : « En définitive, c’est un sujet de biodiversité : nous souhaitons protéger le périurbain et le rural. Évidemment, l’urbain de passage qui voit au loin ces éoliennes les trouve belles et majestueuses. C’est vrai ! Mais, pour ceux qui vivent à côté, ces éoliennes géantes sont parfaitement intolérables, sans parler de la dévalorisation de leurs biens immobiliers. » M. Nègre, au nom de la Commission du développement durable, a déplacé le débat en soulignant un point très intéressant sur les distances entre les éoliennes et les habitations : Il a ainsi énoncé : « J’ai ainsi découvert que l’Académie nationale de médecine a recommandé en 2006 une distance de protection de 1 500 mètres et que la Royal Society of Medecine a mis en évidence un impact des éoliennes sur la santé perceptible jusqu’à 10 000 mètres de distance. J’ai également appris que le land de Bavière a décidé, après réflexion, que la distance par rapport à l’éolienne devait être égale à la hauteur de celle-ci multipliée par dix. […] Au Danemark, la distance doit être égale à trois fois la hauteur totale de l’éolienne.[…] En revanche, en Espagne, il n’existe pas de distance minimale, c’est étudié au cas par cas. Aux États-Unis, les comtés de Californie ont instauré des distances variant de une à quatre…

Future déclaration I.C.P.E. : feu le récépissé papier ! (projet de décret)

Par David DEHARBE (Green Law Avocat) Le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a mis en ligne et soumet à consultation publique en vertu de l’article L120-1 du code de l’environnement, un projet de décret (téléchargeable via ce lien) visant à simplifier la procédure de déclaration des I.C.P.E. et à totalement la dématérialiser par voie électronique au 1er janvier 2016. Cette consultation est ouverte du 26 février 2015 au 19 mars 2015 (Consultation publique du Medde, “CSPRT du 24 mars 2015 : réforme de la dématérialisation de la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)”, du 26 février 2015). Objet de la consultation : la télédéclaration pour les installations de classe D Le présent projet s’inscrit dans le cadre de la dématérialisation de la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E.) qui est l’une des mesures de simplification décidée par le Gouvernement lors du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 2 avril 2013. La date opérationnelle de mise en place est fixée au 1er janvier 2016. Ce projet doit faciliter les échanges entre les entreprises et les administrations, réduire les délais de procédures et permettre la constitution d’une base de données nationale unique des installations classées relevant du régime de la déclaration. Il comporte deux volets complémentaires : – une adaptation de la procédure de déclaration des installations classées relevant du régime de la déclaration, objet du présent projet de décret modifiant diverses dispositions du code de l’environnement concernant la procédure de déclaration des installations classées pour la protection de l’environnement relevant du régime de la déclaration, – une dématérialisation du processus de déclaration (télédéclaration), avec la mise à disposition d’un outil national harmonisant la procédure et assurant un rôle pédagogique auprès des déclarants. Prenons bien la mesure de la masse de documents qui seront ainsi à termes dématérialisés : aujourd’hui la France comporte environ 440 000 installations soumises à déclaration pour un bon millier d’inspecteurs I.C.P.E.. Le projet de décret comporte notamment les dispositions suivantes : – la mise en œuvre de la procédure dématérialisée à compter du 1er janvier 2016 et la suppression de la possibilité de déclaration « papier » à compter du 1er janvier 2021 ; – la mise en place de formulaires homologués (Cerfa) ; – la délivrance immédiate d’une preuve de dépôt de la déclaration par voie électronique. Cette preuve de dépôt informe le déclarant des prescriptions générales applicables à l’installation ; – la mise à disposition des arrêtés de prescriptions générales sur le site internet de la préfecture ; – la mise à disposition de la preuve de dépôt de la déclaration sur le site internet de la préfecture pendant une durée minimale de 3 ans – une procédure de télédéclaration pour l’édiction de prescription spéciales aux installations de classe D ; – une procédure de télédéclaration pour le changement d’exploitant de classe D. La “preuve de dépôt immédiate” remplacera le “récépissé” On remarquera surtout que ce nouveau dispositif imposerait au préfet un délai de 15 jours à compter de la date de délivrance de la preuve de dépôt pour « demander des compléments » au télédéclarant (nouveau dernier alinéa de l’article R.512-48). La possibilité de solliciter d’énigmatiques « compléments » est dangereuse. Sur quoi portent ces compléments ? Seraient-ils à comprendre comme s’ajoutant à la liste des documents exigibles au titre du formulaire qui doit préciser par un arrêté ministériel les éléments requis du télédéclarant ? Sachant que le projet décret ne liste plus limitativement les pièces actuellement exigées par l’actuel article R. 512-47 du code l’environnement. Rappelons que selon le droit en vigueur, « Lorsqu’il estime que la déclaration est en la forme irrégulière ou incomplète, le préfet invite le déclarant à régulariser ou à compléter sa déclaration ». Et la compétence du Préfet est ici liée : selon la jurisprudence non seulement le Préfet ne peut exiger une pièce non requise par l’article R512-47 mais de surcroit le Préfet ne peut refuser un récépissé motif pris de ce que l’installation ne serait pas en mesure de respecter ses prescriptions générales ICPE ou même celles d’urbanisme (CAA Nancy, 25 juill.2014, n°13NC01649, MEDDE, AJDA novembre 2014, p.222 – cf. également : CAA Marseille 7 février 2012, Association avenir d’Alet, req. n° 09MA04671 et CAA Nancy 26 juin 2012, M.B, req. n° 11NC00636). Ce qui importe c’est le caractère complet de la déclaration pour une activité dont la rubrique relève d’un tel classement : comme le rappelle le Conseil d’Etat « le préfet est tenu de refuser de donner récépissé d’une déclaration irrégulière ou incomplète » (CE, 23 mars 1990, n° 62644, M. et Mme Montagne). En fait on peut sans doute se rassurer sur l’intention des auteurs du décret par la délivrance « immédiate » de la preuve de dépôt accompagnée des prescriptions techniques générales d’origine préfectorales et/ou ministérielles. Sans doute la demande de « complément » doit-elle être accompagnée d’un accusé réception assorti des prescriptions, sauf à ce que le classement ou sa rubrique soient en eux-mêmes contestés par l’administration. Mais le danger de demandes abusives de compléments pouvant anticiper un débat sur le respect des prescriptions n’est pas non plus à exclure… On soulignera enfin que le futur  II de l’article R. 512-50 du code de l’environnement avalise l’hypothèse que certaines installations déclarées puissent être régies par le régime de la la déclaration au sein d’un même établissement comportant une installation classée soumise à autorisation, ceci au-delà de l’effet attractif du régime aggravant posé en principe par l’article R512-32 (c. env.)  : “les dispositions des arrêtés relatifs aux prescriptions générales prévus à l’article L.512-10 sont applicables aux installations classées soumises à déclaration incluses dans un établissement qui comporte au moins une installation soumise au régime de l’autorisation dès lors que ces installations ne sont pas régies par l’arrêté préfectoral d’autorisation”. Toutes ces questions trouveront une réponse après la consultation publique et plus précisément à compter du 1er janvier 2016, date d’entrée du…

QPC et réforme du code de l’expropriation : le cas de la consignation

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le droit de l’environnement a recours ou s’intéresse au mécanisme de l’expropriation, qu’il s’agisse de protéger le voisinage (dans le cadre des P.P.R.T. par ex.), certains milieux (3% des acquisitions du conservatoire du littoral par ex.) ou tout simplement d’aménager (on pense évidemment à la prise en compte de l’environnement dans l’appréciation juridictionnelle du bilan coût/avantages du contrôle de légalité de la D.U.P.). Ainsi l’environnementaliste ne peut ignorer le droit de l’expropriation et le présent blog se devait de porter une plus grande attention à ce mécanisme. Force est ainsi de constater qu’en matière d’expropriation de récentes QPC ont fait évoluer le droit positif. Lors d’une expropriation, le transfert de propriété du bien exproprié intervient au prononcé de l’ordonnance d’expropriation. Néanmoins, l’autorité expropriante ne peut prendre possession des lieux tant qu’elle n’a pas versé à la partie expropriée une juste et préalable indemnité. En cas de désaccord, l’indemnité peut être consignée au bénéfice de l’exproprié. Le mécanisme de la consignation a fait l’objet de multiples réformes afin de se mettre en conformité avec la Constitution depuis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il semblerait qu’après deux QPC et deux modifications du code de l’expropriation, ce soit désormais chose faite. Reprenons successivement les différentes étapes de ce processus. 1) L’article L.15-2 du code de l’expropriation, dans sa version en vigueur à l’époque de la création de la QPC, disposait : « L’expropriant peut prendre possession, moyennant versement d’une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l’indemnité fixée par le juge. » 2) Aux termes d’une décision 2012-226 QPC du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel a jugé la rédaction de cet article contraire à la Constitution au motif que : « si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l’article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l’indemnité au jour de la dépossession ; qu’en cas d’appel de l’ordonnance du juge fixant l’indemnité d’expropriation, les dispositions contestées autorisent l’expropriant à prendre possession des biens expropriés, quelles que soient les circonstances, moyennant le versement d’une indemnité égale aux propositions qu’il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus ; que, par suite, les dispositions contestées des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique méconnaissent l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité » (Conseil constitutionnel, 6 avril 2012, décision 2012-226 QPC). Notons à cet égard que le Conseil constitutionnel a tenté, dans sa décision, de guider le législateur afin qu’il rédige un article conforme à la Constitution. En effet, il a précisé que le législateur pouvait déterminer les « circonstances particulières » dans lesquelles la consignation valait paiement. Il a également mentionné que l’article L. 15-2 du code de l’expropriation était contraire à la Constitution dans la mesure où, dans sa version alors en vigueur, il autorisait l’expropriant à prendre possession des biens expropriés, « quelles que soient les circonstances », moyennant le versement d’une indemnité égale aux propositions qu’il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus. 3) Dès lors, l’article L. 15-2 du code de l’expropriation a été modifié pour remédier à cette inconstitutionnalité. Il a alors disposé qu’ « En cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation, l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution, celui-ci peut être autorisé par le juge à consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Cette consignation vaut paiement. La prise de possession intervient selon les modalités définies à l’article L. 15-1. » Les modifications de cet article étaient substantielles par rapport à la version censurée par le Conseil constitutionnel. En premier lieu, la consignation n’est plus autorisée « quelles que soient les circonstances » mais uniquement en cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, sur autorisation du juge et « lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation, l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution ». En deuxième lieu, cette autorisation n’est pas obligatoirement délivrée par le juge : ce dernier dispose d’un pouvoir d’appréciation au regard des faits de l’espèce. Enfin, en troisième et dernier lieu, si le juge autorise une consignation, il pourra ordonner la consignation de tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Ce n’est plus l’autorité expropriante qui décide du montant consigné mais le juge. 4) En dépit de ces modifications, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une nouvelle QPC concernant la rédaction de l’article L. 15-2 du code de l’expropriation modifié. Deux motifs d’inconstitutionnalité étaient invoqués : – D’une part, selon la société requérante, le nouvel article méconnaissait l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en permettant au juge d’autoriser l’expropriant, en cas d’appel du jugement fixant le montant de l’indemnité d’expropriation, à n’en verser qu’une partie à l’exproprié et à consigner le surplus pour prendre possession du bien exproprié. Plus précisément, la société requérante critiquait le caractère insuffisamment précis de la condition permettant au juge d’autoriser l’expropriant à prendre possession du bien exproprié sans verser au préalable à la personne expropriée l’intégralité du montant de l’indemnité d’expropriation fixée par le juge de l’expropriation. – D’autre part, il était soutenu que le législateur portait également atteinte au principe d’égalité devant la loi prévu par l’article 6 de la Déclaration de 1789 en permettant de traiter de manière différente les personnes expropriées selon leur situation économique et financière. 5) Avant que les Sages du Conseil constitutionnel ne se prononcent, une…

Contentieux I.C.P.E. éolien : premier jugement, premières tendances

La loi Grenelle 2 (Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) a inséré l’article L. 553-1 dans le code de l’environnement. Cette nouvelle disposition soumet désormais les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 a créé une nouvelle rubrique (n° 2980) soumettant les éoliennes industrielles au régime d’autorisation. L’instruction des dossiers de demande d’autorisation au titre de la législation sur les ICPE a été longue et souvent laborieuse, les premiers arrêtés d’autorisation d’exploiter des éoliennes ont finalement été pris et, cinq ans après la loi Grenelle 2, les premiers jugements sur ces arrêtés sont enfin rendus. Le jugement du Tribunal administratif de Caen (TA caen 4 déc. 2014 n° 1301339), objet du présent commentaire, est l’une de ces premières décisions – à notre connaissance, c’est sans la toute la première. En l’espèce, par un arrêté du 17 janvier 2013, le Préfet de l’Orne a délivré à la société Centrale éolienne les Hauts-Vaudois une autorisation d’exploiter onze éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Montgaroult et Sentilly. De nombreux requérants dont l’association de défense des Monts ont saisi le Tribunal administratif de Caen d’une demande d’annulation de cet arrêté. Aux termes d’un jugement du 4 décembre 2014 (TA Caen, 4 décembre 2014, n°1301339, Association Défense Des Monts et autres), les juges du fond ont rejeté la requête en écartant chacun des moyens qui étaient invoqués devant eux. Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne un premier aperçu de l’appréciation du juge sur les différents moyens susceptibles d’être invoqués à l’encontre d’un recours dirigé contre un arrêté d’autorisation d’exploiter des éoliennes industrielles. Douze moyens étaient invoqués en l’espèce. Il conviendra d’examiner uniquement les moyens propres à la législation sur les ICPE qui présentent un intérêt particulier. 1) Sur le vice de procédure tiré de la méconnaissance du 7° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa version alors applicable : « I.-A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (…) 7° Dans le cas d’une installation à implanter sur un site nouveau, l’avis du propriétaire, lorsqu’il n’est pas le demandeur, ainsi que celui du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, sur l’état dans lequel devra être remis le site lors de l’arrêt définitif de l’installation ; ces avis sont réputés émis si les personnes consultées ne se sont pas prononcées dans un délai de quarante-cinq jours suivant leur saisine par le demandeur ». En l’espèce, l’opérateur éolien a bien sollicité l’avis des maires des communes concernées par l’implantation d’éoliennes sur l’état dans lequel le site devra être remis lors de l’arrêt définitif de l’installation. Néanmoins, ces courriers n’ont pas été joints à la demande d’autorisation. Pour examiner le caractère substantiel ou non de ce vice de procédure, le Tribunal administratif de Caen fait une application du principe dégagé dans la décision Danthony du Conseil d’Etat et vérifie si cette omission a nui à l’information du public et de l’autorité administrative ou a été de nature à exercer une influence sur la décision (CE, 23 décembre 2011, n°335033, Publié au recueil Lebon). Tel n’a pas été le cas en l’espèce, ce qui conduit le Tribunal administratif de Caen à écarter le moyen. 2) Sur le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par les articles R. 512-6 et R. 512-8 du code de l’environnement En matière ICPE, le dossier de demande d’autorisation doit comprendre une étude d’impact dont le contenu est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement Différents arguments étaient invoqués à l’encontre de cette étude d’impact mais la réponse apportée par le Tribunal à certains des arguments est parfois particulièrement intéressante. • L’insuffisance de l’étude d’impact sur l’incidence du projet sur les chiroptères Les requérants soutenaient que les impacts des éoliennes sur les chiroptères avaient été insuffisamment étudiés. Le Tribunal administratif de Caen est très prolixe sur cet argument et étaye fortement sa réponse. Après avoir rappelé les études réalisées pour apprécier les impacts du projet sur les chauves-souris et après avoir détaillé l’ensemble des mesures prises pour limiter les impacts du projet sur les populations de chiroptères, le Tribunal administratif de Caen souligne que l’arrêté attaqué impose, en outre, à l’exploitant des mesures de prévention et de compensation qui ne seront levées qu’en cas de constat d’absence de mortalité des chauves-souris. La réponse très détaillée à cet argument témoigne du caractère sensible de cette question dans cette affaire. Il est vrai, qu’en l’espèce, les recommandations du groupe Eurobats sur les distances à respecter entre une éolienne et les haies et boisements les plus proches n’étaient pas respectées. Pour justifier néanmoins du caractère suffisant de l’étude d’impact, le juge administratif n’a donc pas hésité à se référer aux mesures de prévention et de compensation contenues dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Bien que cette référence au contenu de l’arrêté soit, en principe, sans incidence sur le caractère suffisant de l’étude d’impact, il s’agit d’un indice témoignant, en tout état de cause, de la prise en compte de cette problématique par le Préfet. • L’insuffisance de l’étude d’impact concernant la prise en compte d’un radar Météo-France Les requérants prétendaient que des mesures particulières concernant un radar météorologique situé à proximité devaient être envisagées et chiffrées dans l’étude d’impact. Néanmoins, Météo-France a émis un avis favorable au projet assorti de recommandations quant à la hauteur totale des aérogénérateurs et la longueur des pales que le projet respectait. Par suite, cet argument tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact a été écarté. Cette position témoigne une fois encore du poids accordé aux avis de Météo-France. Alors qu’un avis défavorable est souvent bloquant pour les projets éoliens, un avis favorable peut, à l’inverse, difficilement être remis en cause. Cette opacité…