Pas dévaluation environnementale pour le PPRN ?

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Dans un contexte de sécurisation des documents d’urbanisme, le Tribunal administratif de Poitiers considère par un jugement du 17 octobre 2019, que les plans de prévention des risques naturels (PPRN) ne sont pas soumis à évaluation environnementale après examen au cas par cas (TA Poitiers, 19 octobre 2019, n°1801913, 1801952.docx). L’absence de saisine par le Préfet de l’autorité environnementale compétente pour procéder à cet examen est alors insusceptible de fonder l’annulation d’un PPRN. En l’espèce, le PPRN de la commune de La Couarde sur Mer a été approuvé en 2018 par le Préfet de la Charente-Maritime. À la suite d’évènements tempétueux, à l’instar de la tempête Xynthia en 2010 qui a provoqué de nombreux dégâts sur les côtes Atlantiques, les services de l’État ont procédé à la révision du document réglementaire du PPRN afin de l’adapter à la meilleure connaissance des phénomènes d’érosion littorale, de submersion marine et des incendies de forêt. La révision du PPRN a cependant entraîné le classement en zone rouge Rs3 du secteur du Fonds des airs, constitué d’une cinquantaine de parcelles sur lesquelles sont installés un nombre important de caravanes, de mobil-homes et les locaux sanitaires qui leurs sont dédiés. La zone Rs3 correspond aux zones naturelles soumises aux submersions marines. Ainsi, cette zone est frappée d’une inconstructibilité de principe. Les occupants du secteur du Fonds des Aires ont donc entendu contester le PPRN afin d’obtenir la modification du zonage. Pour ce faire, les requérants ont notamment fait valoir que « la décision dispensant d’une évaluation environnementale le plan de prévention des risques naturels de la commune de La Couarde sur Mer est entachée d’un vice de procédure dès lors qu’elle émane du préfet de la Charente-Maritime qui a également pris la décision approuvant le plan en litige ». Faisant suite à la jurisprudence du Conseil d’État, le Tribunal administratif de Poitiers rejette ce moyen en considérant que les PPRN « ont été placés par le législateur hors du champ d’application de l’évaluation environnementale » et ce, en dépit des prescriptions textuelles en vigueur à ce jour. En 2014, le Conseil d’État excluait toute évaluation environnementale pour les PPRN en ce qu’ils visent la protection des populations contre les risques naturels, alors même que ces plans sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (CE, 29 janvier 2014, n°356085). Ici, le Conseil d’État s’était appuyé sur l’article 3 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. Cet article dispose que ne sont pas soumis à évaluation environnementale, « les plans et programmes destinés uniquement à des fins de défense nationale et de protection civile ». À noter que cette solution se justifie en ce que le Conseil d’État s’était basé sur le droit applicable à la date de l’arrêté attaqué (en 2006). Or, à cette époque, les PPRN n’étaient expressément soumis à aucune évaluation environnementale (décret n° 2005-613 du 27 mai 2005 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2004-489 du 3 juin 2004 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement). Mais, la loi « Grenelle II » et son décret d’application, puis la loi « ELAN » en 2018 ont complété le champ d’application de l’évaluation environnementale. Ainsi, il ressort des textes en vigueur que les PPRN sont désormais soumis à la procédure d’évaluation environnementale au cas par cas (voir en ce sens l’article R. 122-17, II, 2° du code de l’environnement : « les PPRT et PPRN font partie des plans et programmes susceptibles de faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas »). Cependant, le Tribunal administratif de Poitiers rejette toute possibilité pour l’autorité administrative de soumettre un PPRN à évaluation environnementale après examen au cas par cas, et ce au visa de l’article L. 122-4, V du code de l’environnement qui transpose l’article 3 de la directive du 27 juin 2001. Cet article dispose que « les plans et programmes établis uniquement à des fins de défense nationale ou de protection civile ainsi que les plans et programmes financiers ou budgétaires ne sont pas soumis à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale ». Pour le juge administratif, la circonstance que les PPRN visent la protection des populations contre les risques naturels suffit à les sortir du champ d’application de l’évaluation environnementale. Néanmoins, ce principe général de non-soumission à évaluation environnementale des plans et programmes destinés à la protection civile n’est pas sensé s’appliquer aux PPRN en ce que ces derniers sont expressément soumis à évaluation environnementale. Ainsi, l’interprétation de l’article L. 122-4 du code de l’environnement par le Tribunal administratif de Poitiers va à l’encontre des dispositions de l’article R. 122-17 du même code. Ce faisant le Tribunal ne fait jamais que rendre sa primauté au droit communautaire au demeurant transposé par la loi nationale sur un texte réglementaire contraire. Mais cette interprétation introduit également une incohérence jurisprudentielle au regard du champ d’application des procédures d’évaluation environnementale pour les documents de planification. Il convient ici de se rapporter au régime juridique des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Les PPRT « ont pour objet de délimiter les effets d’accidents susceptibles de survenir dans les installations [classées pour la protection de l’environnement] et pouvant entraîner des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques […] » (art. L.515-5 du code de l’environnement). Les PPRN ont quant à eux pour objet de réglementer l’utilisation des sols en fonction des risques naturels auxquels ils sont exposés. Ces deux documents visent donc la protection des populations soumises à un risque. Ils bénéficient du même régime juridique au titre de l’évaluation environnementale (art. R. 122-17, II, 2° du code de l’environnement). Pour autant et contrairement aux PPRN, la jurisprudence n’exclut pas les PPRT du champ d’application de l’évaluation environnementale. Au contraire, le Conseil d’État dans un avis du 6 avril 2016 puis le Tribunal administratif de Lyon le 10 janvier 2019 réaffirment la soumission des PPRT à évaluation environnementale après examen au cas par cas (CE, 6e et…

Illégalité de la modification du périmètre d’un PPR après enquête publique

Par Maître David DEHARBE (Green Law avocats) Un jugement récemment rendu en matière de risques naturels par le du tribunal administratif de Lyon doit retenir l’attention (TA Lyon, 4 juillet 2019, n°1800153). Par un arrêté du 8 novembre 2017, les Préfets de la Loire et du Rhône ont approuvé le plan de prévention des risques naturels prévisibles d’inondation (PPRi). Cet arrêté a été contesté par une association des riverains du Giers qui a obtenu l’annulation de l’arrêté par le Tribunal. En vertu de l’article L. 562-1 du code de l’environnement « l’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels de prévisibles tels que les inondations… » A ce titre, l’État peut engager sa responsabilité en n’élaborant pas et en ne mettant pas en œuvre dans une zone exposée aux risques naturels, un plan de prévention des risques naturels. (CE, 21 mars 2003, n° 248911). Pour ce faire, en application de l’article R. 562-2 du même code, « l’arrêté prescrivant l’établissement d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles détermine le périmètre mis à l’étude et la nature des risques pris en compte » En l’espèce, l’association requérante considérait comme illégale l’exclusion de 11 communes du plan de prévention initialement prévues par le projet alors que ces dernières n’étaient pas couvertes par un autre plan de prévention des risques d’inondation. La préfecture se défendait sur ce point en affirmant que ces communes ont été exclues du plan objet du recours, en application du principe de subsidiarité dans la mesure où ces dernières étaient elles-mêmes protégées par un autre plan de prévention de gestion des eaux pluviales de la communauté d’agglomération Saint-Etienne métropole en cours d’adoption. Le tribunal annule l’arrêté d’approbation du PPRi en retenant une erreur de droit, au motif que l’arrêté initial datant de 2009 prescrivant l’élaboration du plan de prévention comprenait certaines communes qui n’apparaissaient pas dans le plan de prévention soumis à enquête publique. L’exclusion des communes du plan de prévention est illégale, quand bien même un plan de gestion des eaux pluviales d’un communauté urbaine compétente en application du principe de subsidiarité était en cours d’élaboration à la date de la décision attaquée. Certes le principe de subsidiarité implique que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. » (alinéa 2 de l’article 72 de la Constitution). Mais l’invocation de ce principe constitutionnel n’apparaît pas suffisante pour justifier en l’espèce l’exclusion des communes du périmètre du plan de prévention et ceci pour au moins deux raisons. D’une part, le PPRi est adopté par le préfet et le principe de subsidiarité ne joue ici que très indirectement dans les rapports entre l’EPCI et les communes. D’autre part, manifestement le plan de gestion des eaux pluviales n’a pas vu son articulation juridique organisée avec le PPRi et au demeurant il n’était pas adopté en l’espèce. Le tribunal, après avoir conclu à l’illégalité du plan de prévention uniquement au regard de l’exclusion des communes, procède à une illégalité dite « en tant que ne pas » : « et sans préjudice de l’appréciation que l’administration, pour l’exécution du présent jugement, portera sur l’ampleur des risques auxquels pourraient être exposées ces communes et la nécessité, le cas échant, de les maintenir dans le périmètre de ce plan, il y a lieu d’annuler l’arrêté du 8 novembre 2017  dans la mesure, seulement, où ces communes ne figurent pas de le périmètre du plan » (point 18). On comprend donc que le PPRI en 2017 qui avait fait l’objet d’une modification de périmètre devra faire l’objet d’une nouvelle enquête publique et les Préfets devront s’assurer que toutes les communes de leur ressort sont effectivement protégées pour le risque d’inondation par l’éventuel plan de gestion des eaux pluviales. Cette position se justifie parfaitement au vu de l’importances des objectifs d’un tel plan de prévention. Parmi eux, se trouve la délimitation des zones directement exposées aux risques. D’ailleurs, la jurisprudence considère que le plan de prévention des risques doit répondre à une logique de précaution et de prévention (TA Nice, 27 juin 2000, n° 99762). La même décision rejette encore toute une série de moyens bien plus classiques. En particulier, la juridiction rappelle qu’en vertu de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme, les PPRI sont des documents d’urbanisme (CE 30 déc. 2011, Cne de Neuilly-sur-Seine, req. n° 324310, Lebon  ; AJDA 2012. 6) dont on ne peut exciper l’illégalité après l’expiration d’un délai de six mois à compter de leur prise d’effet ; « l’association requérante n’est ainsi pas recevable à exciper, par la voie de l’exception, de l’illégalité des modalités de concertation prévues par l’arrêté du 9 septembre 2009 prescrivant l’élaboration du plan de prévention en litige, ni de ses conditions de publication ».

Veille en droit de l’environnement industriel : textes mis en consultation publique au 30 mai 2019

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Désormais Green Law Avocats vous convie à un nouveau rendez-vous : sa veille réglementaire à quinzaine de droit de l’environnement industriel. Cette veille couvre les textes réglementaires, législatifs et européens dans les domaines de l’autorisation environnementale (rubrique 1) et des polices de l’eau (Rubrique n°2), des ICPE (Rubrique n°3), des déchets et des sites et sols pollués (Rubrique n°4), droit des risques technologiques et naturels (Rubrique n°5) et en droit industriel des EnR (rubrique n°6). On prendra grand soin de distinguer les textes en consultation publiques en vertu du code de l’environnement, des textes publiés avec deux articles distincts. La veille de ce jour est consacrée aux textes encore en consultation publiques. Il convient d’insister sur le fait que nous sommes en présence de projets de textes et non de textes en vigueur. SÉLECTION DE TEXTES EN CONSULTATION AU 31 MAI 2019 AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE Décret relatif à la simplification de la procédure d’autorisation environnementale Consultation publique terminée bilan téléchargeable ici Du 16/04/2019 au 06/05/2019 – 2371 commentaires Ce projet (téléchargeable ici) suscite une grande hostilité avec pas moins de 2371 commentaires. En pratique pourtant il est intéressant et on peut se demander pourquoi cette réforme n’a pas d’emblée inspiré le décret procédure de l’autorisation environnementale. Il s’agit pour l’essentiel de dématérialiser (à termes de façon obligatoire) le dépôt du dossier initial et de son accusé de réception. Surtout, le décret cherche accélérer la mise à l’enquête publique et à alléger les consultations en les spécialisant. Sur ce dernier point les risques de court-circuitages ne sont pas non plus à exclure (sur ce point cf. les observations de notre confrère Dermenghem sur cette question). Le projet de décret, qui a été soumis au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 26 mars 2019 qui doit faire l’objet d’autres consultations … affaire à suivre. POLICES DE L’EAU Projet de décret relatif aux autorisations de travaux dans les concessions d’énergie hydraulique et portant diverses modifications aux dispositions réglementaires applicables à ces concessions. Du 22/05/2019 au 12/06/2019 – (lien Ministère) Ce projet de décret vise à modifier les procédures d’autorisation des travaux effectués dans le cadre des concessions d’énergie hydraulique afin de les assouplir et de les moderniser. L’article 1er, qui crée un chapitre III dans le titre du livre V du code de l’énergie, a pour objet d’instaurer le principe d’une délégation au concessionnaire de la compétence pour la délivrance des autorisations d’occupation aux tiers sur le domaine public hydroélectrique concédé. L’article 2 modifie l’article R. 521-2 du code de l’énergie afin de préciser l’acte procédural marquant le début d’une procédure de renouvellement par mise en concurrence et d’éviter une redondance dans la consultation du public qui intervient à un stade ultérieur de la procédure. L’article 3 modifie l’article R. 521-27 du code de l’énergie afin de proportionner les ,procédures de consultation aux enjeux soulevés par une modification d’un contrat de concession. L’article 4 modifie l’article R. 521-29 du code de l’énergie afin de permettre une approche graduée sur les modalités d’instruction d’une modification d’un règlement d’eau en fonction des impacts environnementaux liés à cette modification. L’article 5 réforme les sous-sections 6 et 7 de la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre V du code de l’énergie relatives aux autorisations de travaux réalisés dans le cadre d’une concession d’énergie hydraulique afin de clarifier, proportionner et mettre en cohérence les procédures applicables avec le code de l’environnement. L’article 6 modifie l’article R. 521-46 du code de l’énergie afin d’assouplir des modalités de consultations du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques sur les arrêtés complémentaires pris au titre de la sécurité des ouvrages hydrauliques. Modification de la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la loi sur l’eau Consultation publique terminée bilan téléchargeable ici Du 03/05/2019 au 26/05/2019 – 352 commentaires Dans le cadre d’une démarche de simplification administrative des procédures, une modification de la nomenclature des installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA) soumis à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code l’environnement (dite « loi sur l’eau ») est soumise à consultation. Il en résulte plusieurs modifications de rubriques, de seuils par deux projets de décret mais aussi de trois projets de textes ministériels : – décret en Conseil d’État modifiant la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités visés à l’article L. 214-1 du code de l’environnement et certaines dispositions du code de l’environnement et du code général des collectivités territoriales ; – décret simple relatif à la composition du dossier d’autorisation environnementale prévue à l’article L. 181-1 du code de l’environnement en matière d’assainissement ; – arrêté modifiant l’arrêté du 9 août 2006 relatif aux niveaux à prendre en compte lors d’une analyse de rejets dans les eaux de surface ou de sédiments marins, estuariens ou extraits de cours d’eau ou canaux relevant respectivement des rubriques 2.2.3.0, 3.2.1.0 et 4.1.3.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement ; – arrêté définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant de la rubrique 3.3.5.0. de la nomenclature annexée à l’article R. 214 1 du code de l’environnement ; – arrêté modifiant l’arrêté du 21 juillet 2015 modifié relatif aux systèmes d’assainissement collectif et aux installations d’assainissement non collectif, à l’exception des installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5 ; – arrêté modifiant l’arrêté du 8 janvier 1998 fixant les prescriptions techniques applicables aux épandages de boues sur les sols agricoles pris en application du décret n° 97-1133 du 8 décembre 1997 relatif à l’épandage des boues issues du traitement des eaux usées. S’agissant des observations, on relèvera en particulier, des critiques importantes de la nouvelle rubrique 3.3.5.0. comme le relève la FDSEA, « La proposition de création d’une nouvelle rubrique, sans aucun seuil, relative aux travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques (article 5…

Une autorisation loi sur l’eau doit être compatible avec le SDAGE, après une analyse globale (et non pas à l’égard d’une seule orientation selon le Conseil d’Etat)

Par Me Jérémy Taupin, Green Law Avocats Par une décision n°408175 en date du 21 novembre 2018, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à la compatibilité des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau avec les orientations et objectifs d’un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). En substance: l’autorisation IOTA doit être compatible avec le SDAGE apprécié dans son ensemble, et non à l’égard d’une seule de ses orientations. Cette décision intéressera l’ensemble des maîtres d’ouvrage dans le domaine de l’aménagement et de la construction, de l’irrigation, de l’hydroélectricité, ou de la protection contre les risques naturels. En l’espèce, la Haute Juridiction était saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (req. n° 15LY03104, 15LY03144, décision du 16 décembre 2016) qui avait confirmé l’annulation par le Tribunal administratif de Grenoble de l’autorisation délivrée au titre des dispositions des articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement à la société Roybon cottages. Cette société n’est pas étrangère aux juristes en droit environnement, puisque le projet qu’elle porte, à savoir le Centrer Parc de Roybon, a donné lieu à de nombreux contentieux ces dernières années. L’autorisation d’espèce était donc une autorisation loi sur l’eau, portant notamment sur les aspects relatifs à la maîtrise foncière des mesures compensatoires à la destruction des zones humides. Plusieurs requérants en avaient demandé l’annulation au juge administratif, qui y avait fait droit au motif d’une incompatibilité avec le SDAGE Rhône-Méditerranée du fait de l’insuffisance de ces mesures compensatoires. Le Conseil d’Etat vient ici annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, estimant que celle-ci a commis une erreur de droit. En effet, et en premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle très clairement qu’il résulte des dispositions de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable au litige, que les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux doivent se borner à fixer des orientations et des objectifs, ces derniers pouvant être, en partie, exprimés sous forme quantitative. Le Conseil estime ensuite que les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec ces orientations et objectifs. Or, « pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. » Il s’agit ici d’un considérant très intéressant pour l’appréciation du contrôle du rapport de compatibilité opéré par le juge, qui n’avait à notre connaissance jamais été énoncé en ce qui concerne ce rapport précis (autorisation loi sur l’eau à l’égard d’un SDAGE).  Rappelons que Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’analyser ce rapport de compatibilité dans d’autres cas. Citons par exemple le rapport autorisation de carrière / Schéma départemental des carrières (CE, 10 janvier 2011, Association oiseaux nature, req. n°317076), ou encore le rapport POS – Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (CE, 25 mars 2001, req. N° 205629). En second lieu, le Conseil d’Etat entend « globaliser le contrôle » à l’égard de l’ensemble des orientations du SDAGE. En effet, il considère qu’il « ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que le projet litigieux n’est pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, la cour s’est bornée à le confronter à une seule disposition de ce schéma, l’article 6B-04 relatif à une compensation minimale à hauteur de 100 % de la surface des zones humides détruites par le projet. Ce faisant, la cour n’a pas confronté l’autorisation litigieuse à l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée et a, ainsi, omis de procéder à l’analyse globale exigée par le contrôle de compatibilité défini au point précédent. Par suite, elle a commis une erreur de droit. » Ainsi, si le respect du rapport de compatibilité s’impose à toutes les dispositions du SDAGE, le juge ne peut, lors de son contrôle, isoler telle ou telle mesure du SDAGE tout en en laissant d’autres de côté dans son examen. Il doit en effet apprécier la compatibilité de l’autorisation loi sur l’eau au regard d’une analyse globale de tous les objectifs dudit SDAGE, mais ce sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier. Il s’agit d’un exercice complexe qui ne manquera pas d’être mis à l’épreuve par les requérants au sein de leurs écritures à l’encontre de telles autorisations. Cette décision s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel cohérent : il est à rapprocher d’une autre récente décision du Conseil d’Etat, ayant trait aux modalités du contrôle exercé par le juge sur l’obligation de comptabilité d’un PLU à un SCOT (CE, 18 décembre 2017, Le Regroupement des organismes de sauvegarde de l’Oise et autre, req. n°395216, précédemment commenté sur le blog), qui énonçait également cette nécessité d’ « analyse globale ».

Risques naturels: Force majeure et exclusion de la responsabilité du fait de l’ouvrage public en raison d’une conjonction exceptionnelle d’évènements (CE, 15 nov.2017)

Par Me Fanny Angevin- Green Law Avocats Par une décision en date du 15 novembre 2017 n°403367, le Conseil d’Etat a adopté une interprétation extensive du cas de la force majeure. Cette décision revient sur les fortes pluies ayant eu lieu du 30 novembre au 3 décembre 2003 dans la vallée du Rhône et qui ont entraîné des crues du Rhône de grande ampleur, tout particulièrement dans le secteur de la Commune d’Arles. La théorie de la force majeure découle du code civil et notamment des articles 1231-1 et 1351 du code civil (anciens articles 1147 et 1148 du code civil). Cette théorie est exonératoire de responsabilité, tant dans le système de responsabilité civile qu’administrative. Elle a pour effet de rompre le lien de causalité entre une faute commise et un préjudice subi. Trois éléments doivent être réunis afin qu’un cas de force majeure soit retenu : l’extériorité, l’irrésistibilité et l’imprévisibilité du ou des évènements. Dans l’affaire présentée devant le Conseil d’Etat, le remblai de la voie ferrée historique Paris-Lyon-Marseille avait un rôle de protection contre les inondations. En 1980, la SNCF a modifié l’ouvrage en y creusant trois trémies afin de permettre le passage de la circulation automobile sous des ponts-rails. Les trois trémies percées par la SNCF ont cédé le 3 décembre 2003 à la suite des fortes précipitations ayant affecté les eaux du Rhône. La crue a ainsi inondé des quartiers des communes de Tarascon et d’Arles pendant plusieurs semaines. A la suite de ces inondations, des requérants ont souhaité engager la responsabilité de l’Etat, de la SNCF Réseau et SNCF Mobilités au titre de vices de conception et du défaut d’entretien des ouvrages ferroviaires. Ces demandes avaient été rejetées par le Tribunal administratif de Marseille par un jugement du 23 juin 2014, puis par la Cour administrative d’appel de Marseille dans une décision en date du 7 juillet 2016 (n°14MA03622). Les requérants se sont ensuite pourvus en cassation et demandaient au Conseil d’Etat d’effectuer un contrôle de la qualification juridique retenue, à savoir si les faits de l’espèce présentaient bien un cas de force majeure, exonérant les défendeurs de responsabilité. Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative et rejette par conséquent le pourvoi des requérants : « […] eu égard à l’ensemble des éléments qu’elle a ainsi relevés, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique en jugeant qu’une conjonction exceptionnelle de phénomènes de grande intensité s’était produite qui présentait un caractère imprévisible et irrésistible et qui caractérisait un cas de force majeure ; » (CE, 15 novembre 2017, n°403367). Néanmoins, à l’analyse, la qualification d’un cas de force majeure ne paraît pas si évidente, comme l’avait pertinemment souligné le Rapporteur public dans cette affaire (Conclusions de Monsieur le Rapporteur Public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Il convient, tout d’abord, de revenir sur la condition d’imprévisibilité de l’évènement. Ce critère du cas de force majeure en matière d’inondations n’est retenu que lorsqu’un retour de l’évènement ou son occurrence première n’est pas prévisible. Ainsi, une crue sur un cours d’eau atteignant un niveau déjà connu n’est pas imprévisible (CE, 4 avril 1962, Min. des Travaux publics c/ Sté des d’Armagnac, n°49258). Il en est de même pour une inondation, quelle qu’ait été la violence de la crue qui l’a provoquée, dès lors que plusieurs crues avaient entrainé l’inondation de terrains dans un même secteur (CAA Lyon, 13 mai 1997, n°94LY00923, 94LY01204, voir également en ce sens CE, 12 mars 2014, n°350065 et CE, 13 novembre 2009, n°306992). Cependant, la survenance de plusieurs facteurs qui n’étaient pas imprévisibles isolément, mais dont la conjonction a provoqué le dommage, peut être assimilée à un cas de force majeure (CE, 27 mars 1987, n°590939). Ainsi, ont pu être considérés comme constituant un cas de force majeure, des pluies diluviennes et d’une crue de deux torrents, évènements isolements non imprévisibles, mais dont la conjonction, en raison de l’intensité, peut être assimilée à un cas de force majeure (CE, 6 juillet 2015, n°373267). Dans le cas présent, en l’espace d’un siècle et demi, trois crues comparables avaient eu lieu sur la même zone et durant la décennie précédant la crue de 2003, six crues avaient dépassé le niveau de la crue décennale théorique. La SNCF ne contestait d’ailleurs pas avoir pour projet de conforter ses merlons afin de les rendre plus résistants aux crues. Par conséquent, le caractère imprévisible de la crue était très discutable. Mais c’est en réalité sur le caractère exceptionnel de la conjonction de plusieurs évènements que le Conseil d’Etat a fondé sa décision. En effet, la Haute juridiction relève qu’il convient de caractériser la réunion d’évènements de cas de force majeure en raison de la conjonction de précipitations d’une ampleur exceptionnelle, d’une tempête marine qui a freiné le déversement des eaux du Rhône et enfin d’un débit (bien qu’il soit inférieur à une crue de 1840) ainsi que d’un niveau d’eau provoqués par la crue particulièrement importants. Le Rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, différait quant à cette interprétation de la Cour administrative d’appel que le Conseil d’Etat a confirmé. En effet, le Rapporteur public soulignait qu’ « il n’est pas contesté que les merlons ont cédé dès le début de la soirée du 3 décembre et que les eaux du Rhône se sont engouffrées dans les brèches du remblai ferroviaire à l’aube du 4 décembre » (Conclusions de Monsieur le Rapporteur public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Le Rapporteur public indiquait tout particulièrement que « La tempête, en revanche, ne s’est levée qu’au cours de la nuit pour atteindre son paroxysme à 7 heures du matin, alors que les quartiers Nord de la ville d’Arles étaient déjà inondés. Le rapport rendu par le collège d’experts ne retenait aucune contribution du phénomène marin à l’ampleur des inondations. » (Conclusions de Monsieur le Rapporteur public Olivier Henrard, CE, 15 novembre 2017, n°403367). Ainsi, le Rapporteur public rappelait que la qualification de force majeure est en principe d’interprétation restrictive et que dès lors qu’il…