Les informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat sont communicables lorsque le secret des délibérations ne s’y oppose pas (Conseil d’État, 30 mars 2016, n°383546)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats)   Le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé sur le caractère communicable des informations environnementales contenues dans ses avis, lorsqu’il exerce sa fonction consultative (Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 30 mars 2016, n°383546).   Les faits qui lui étaient soumis étaient les suivants. Une association a demandé au Premier ministre de lui communiquer l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur le projet de décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l’évaluation de certains plans ayant une incidence sur l’environnement. A la suite du refus du Premier Ministre de communiquer cet avis, l’association a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande de communication de ce document. La CADA a implicitement rejeté cette demande. Le tribunal administratif de Paris a alors été saisi d’une demande d’annulation de la décision implicite de la CADA. Par un jugement n° 1217221/6-3 du 6 juin 2014, le tribunal administratif de Paris a ordonné, avant-dire-droit, tous droits et moyens des parties réservés, la production par le Premier ministre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, selon les conditions et motifs qu’il a précisés, de l’avis émis par le Conseil d’Etat préalablement à l’édiction de ce décret et de toutes les pièces qui l’ont éventuellement assorti. Saisi d’un pourvoi en cassation contre cette décision, le Conseil d’Etat a apporté des précisions très intéressantes concernant le caractère communicable des informations environnementales contenues dans ses avis. Le Conseil d’Etat a considéré « qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 124-1 et L. 124-4 du code de l’environnement, ainsi que des dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 aujourd’hui codifiées, en premier lieu, que si les avis du Conseil d’Etat ne sont pas communicables, les informations relatives à l’environnement qu’ils pourraient le cas échéant contenir sont quant à elles communicables et, en second lieu, qu’il appartient au Premier ministre d’apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à leur communication ; qu’en effet, les avis du Conseil d’Etat mentionnés par les dispositions précitées, au vu desquels le Gouvernement adopte ses textes, sont couverts par le secret de ses délibérations ». Il censure donc le tribunal administratif de Paris qui a jugé que le secret des délibérations du Gouvernement ne pouvait faire obstacle à la communication des informations relatives à l’environnement qui seraient contenues dans des avis du Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat apporte donc deux précisions majeures : Bien que les avis du Conseil d’Etat ne soient en principe pas communicables, les informations environnementales qu’ils peuvent le cas échéant contenir sont communicables (i) ; Cependant, les informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat sont couvertes par le secret des délibérations du Gouvernement puisque le Gouvernement adopte ses textes au vu de ces avis. En conséquence, le Premier Ministre doit apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à leur communication. (ii)  Cette position du Conseil d’Etat n’était pas évidente. i) En principe, les avis qu’il rend ne sont pas communicables (cf. article 6 de la loi du 17 juillet 1978 alors en vigueur l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, aujourd’hui codifié aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration). Cependant, aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques […] ». Le droit à l’information environnementale, tel qu’il est garanti par la Charte de l’environnement, porte ainsi sur des « informations » et non sur des « documents ». Il s’agit d’un droit d’accès à l’information plus large que le simple droit d’accès aux documents administratifs (voir, en ce sens, CADA, avis, 24 novembre 2005, n°2005461) même s’il s’exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (article L. 124-41 du code de l’environnement alors en vigueur). C’est pourquoi même si les avis du Conseil d’Etat ne sont, en principe, pas communicables, les informations environnementales qu’ils peuvent comporter peuvent, quant à elles, être communiquées. ii) Cependant, la communication des informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat se heurte à un secret protégé par la loi : le secret des délibérations (article 6 de la loi du 17 juillet 1978, aujourd’hui codifié aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration). Rappelons à cet égard que sont couverts par le secret des délibérations « les documents destinés à nourrir les réflexions des autorités gouvernementales avant que celles-ci n’arrêtent leur décision » (extrait de la fiche CADA sur « Le secret des délibérations du Gouvernement et des autorités de l’exécutif »). A titre d’exemple, sont couverts par le secret des délibérations les dossiers sur la base desquels le Conseil des ministres a délibéré (CADA, avis, 26 mai 2005, n°20051549) ou encore le rapport de présentation d’un décret (CADA, conseil, 2 février 2006, n° 20060649). Il est donc assez cohérent que des avis rendus par le Conseil d’Etat « sur les projets de décrets et sur tout autre projet de texte pour lesquels son intervention est prévue par les dispositions constitutionnelles, législatives ou réglementaires ou qui lui sont soumis par le Gouvernement » (article L. 112-1 du code de justice administrative) soient couverts par le secret des délibérations. Néanmoins, ce secret des délibérations n’est pas absolu ainsi que le Conseil d’Etat le rappelle en précisant qu’il appartient au Premier ministre d’apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à la communication des informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat. En effet, en vertu de l’article L. 124-4 du code de l’environnement alors en vigueur, après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, l’administration peut décider, si elle le juge opportun,…

Irrigation agricole et autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d’eau : le ministère de l’Ecologie souhaite une accélération des instructions

Par Graziella DODE (élève-avocat- Green Law Avocats) Une note du 3 mai 2016 de la ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, Ségolène Royal, précise les modalités d’instruction des dossiers de demandes d’autorisation unique pluriannuelle (AUP) de prélèvement d’eau pour l’irrigation agricole.   La ministre souligne le risque de contentieux en cas de qualité insuffisante des dossiers de demandes d’AUP déposés par les organismes uniques chargés de la gestion collective (dits « OUGC ») des ressources en eau. Pour autant, elle demande aux services instructeurs : d’accepter les dossiers dont l’économie est globalement satisfaisante, pour une période courte de 3 ans, en fixant les pièces manquantes ou complémentaires à fournir : à réception de ces éléments, l’AUP pourra être prolongée, dans la limite des 15 ans prévus à l’article R. 214-31-2 du code de l’environnement. De rejeter les dossiers dont l’économie générale est globalement insuffisante. Les demandes complètes et remplissant des conditions suffisantes dès leur dépôt pourront bien sûr être autorisées pour une durée qui est fonction de la capacité à atteindre l’équilibre entre prélèvements et ressources. La note apporte des explications en annexe sur le contenu de l’AUP, sa durée et la prise en compte des programmes de réalisation de retenues de substitution. Ces orientations traduisent le souhait d’accélérer la mise en place des organismes uniques chargés de la gestion collective des ressources en eau sur un périmètre hydrologique et/ou hydrogéologique cohérent, institués par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) n° 2006-1772 du 30 décembre 2006. A ce titre, la ministre rappelle qu’il ne sera plus possible de recourir aux autorisations temporaires de prélèvement en eau en zone de répartition des eaux (ZRE, zone caractérisée par une insuffisance chronique des ressources en eau par rapport aux besoins), prévue à l’article R. 214-24 du code de l’environnement, après le 31 décembre 2016. Ce sont ces autorisations temporaires, dont l’échéance de fin a été repoussée trois fois, qui avaient retardé la mise en place des AUP qui doivent être accordées aux OUGC (C. env. art. R. 211-111 et s., R. 214-31-1 et s.). L’objectif, via ce dispositif, est de « favoriser la gestion collective des ressources en eau pour l’irrigation et d’adapter les volumes autorisés pour l’irrigation aux volumes susceptibles d’être prélevés pour cet usage », rappelle la ministre, qui ajoute « qu’il est donc urgent de faciliter la mise en place effective des OUGC sans plus attendre, de manière à leur permettre de commencer leurs missions sur leur périmètre ». Les OUGC auront pour mission de créer des règles locales de partage de la ressource sur la base des volumes notifiés, de s’informer sur les besoins en eau des irrigants potentiels, mais aussi d’être force de proposition sur l’adaptation des règles de restriction en cas de crise sécheresse et sur l’adaptation du plan de répartition entre irrigants.

Nuisance: la subtile appréciation de la Cour de cassation au sujet des bruits d’activités et des bruits de comportement !

Par Aurélien BOUDEWEEL – GREEN LAW AVOCATS Dans un arrêt en date du 8 mars 2016 (C.cass, Chambre criminelle 8 mars 2016, n°15-85503), la Cour de cassation souligne que les bruits générés par la clientèle d’un  établissement de restauration constituaient des bruits de comportements et non des bruits rattachables à l’activité professionnelle du restaurateur. Cela n’est pas sans incidence sur les possibilités de recours afin de faire cesser ce genre de nuisances. En l’espèce, un restaurateur était poursuivi par-devant la juridiction de proximité de FREJUS sur le fondement des articles R1334-1, R1334-32 et R1337-10 du Code de la santé publique consécutivement à la plainte de riverains. Ces plaintes avaient pour objet un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix. Par un jugement en date du 28 avril 2015, la juridiction de proximité avait débouté les riverains au motif que l’article R1334-1 du Code de santé publique n’était pas applicable aux établissements exerçant une activité professionnelle. Au demeurant, la juridiction justifie la relaxe du restaurateur compte-tenu de l’absence de mesure acoustique permettant de caractériser l’atteinte à la tranquillité du voisinage. Rappelons que l’article R.1337-7 du Code de la santé publique dispose : « Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux relevant de l’article R. 1337-6, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme dans les conditions prévues à l’article R. 1334-31 ». Pour rappel, l’article R.1337-6 du Code de la santé publique prévoit : « Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe : 1° Le fait, lors d’une activité professionnelle ou d’une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d’exercice relatives au bruit n’ont pas été fixées par les autorités compétentes, d’être à l’origine d’un bruit de voisinage dépassant les valeurs limites de l’émergence globale ou de l’émergence spectrale conformément à l’article R. 1334-32 ; 2° Le fait, lors d’une activité professionnelle ou d’une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, dont les conditions d’exercice relatives au bruit ont été fixées par les autorités compétentes, de ne pas respecter ces conditions ; 3° Le fait, à l’occasion de travaux prévus à l’article R. 1334-36, de ne pas respecter les conditions de leur réalisation ou d’utilisation des matériels et équipements fixées par les autorités compétentes, de ne pas prendre les précautions appropriées pour limiter le bruit ou d’adopter un comportement anormalement bruyant ». S’agissant de la démonstration du trouble visé à l’article R.1337-6 du Code de la santé publique, l’article R1334-32 du Code de la santé publique dispose que : « Lorsque le bruit mentionné à l’article R. 1334-31 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R. 1334-36 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d’exercice relatives au bruit n’ont pas été fixées par les autorités compétentes, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R. 1334-33, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article (…) ». Dans l’espèce qui lui est soumise, la Cour de cassation casse le jugement rendu par la juridiction de proximité aux motifs suivants : «Vu les articles R.1337-7 et R.1334-31 du code de la santé publique ; Attendu qu’il résulte du premier de ces textes qu’est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux résultant d’une activité professionnelle, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme ; que, selon le second de ces textes, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ; Attendu que, pour relaxer la société X, le jugement attaqué retient que la prévenue, exploitante d’un restaurant à Saint-Tropez, est poursuivie sur le fondement des articles R. 1337-10, R. 1334-31 et 32 du code de la santé publique, que l’article R. 1334-31 n’est pas applicable aux établissements exerçant une activité professionnelle, que l’article R. 1334-32 du même code dispose que l’atteinte à la tranquillité du voisinage est caractérisée si le bruit est supérieur à certaines valeurs, et qu’aucune mesure acoustique n’a été effectuée ; Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la prévenue était poursuivie pour un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix constituant non pas des bruits d’activités, mais des bruits de comportement relevant de l’article R. 1337-7 du code de la santé publique visé à la prévention, et ne nécessitant pas la réalisation de mesure acoustique, la juridiction de proximité a méconnu les textes susvisés ; D’où il suit que la cassation est encourue». L’arrêt rendu par la Cour de cassation est très intéressant en ce qu’il se démarque de la jurisprudence particulièrement foisonnante reconnaissant que les nuisances sonores ne sont répréhensibles que lorsque des mesures précises, effectuées avec un sonomètre, démontrent qu’elles ont dépassé en intensité et en durée les normes admises (CA Aix-en-Provence, 7e ch., 28 oct. 1991 : Juris-Data n° 1991-050150 ; CA Agen, ch. appels corr., 22 mars 1999 : Juris-Data n° 1999-042454). Par une appréciation novatrice mais de bon sens, la Cour de cassation censure le jugement de la juridiction de proximité estimant que les nuisances qui étaient reprochées en l’espèce soit « un important bruit de musique, des rires et des éclats de voix » ne relevaient pas de la catégorie de bruits d’activités mais des bruits de comportements. De fait, l’infraction n’avait pas selon la Haute…

Nucléaire : une installation nucléaire de base (INB) peut fonctionner jusqu’à l’intervention d’un décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°373516, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Dans une décision du 22 février 2016, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à la demande de nos voisins helvètes, sur plusieurs actes administratifs concernant la centrale électronucléaire de Bugey exploitée par Electricité de France (EDF). Les requêtes, jointes par le Conseil d’Etat, tendaient à demander l’annulation de plusieurs décisions de l’autorité administratives et, plus précisément, à demander : l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendu lors d’un réexamen de la sûreté du site électronucléaire de Bugey ; l’annulation des prescriptions techniques nouvelles prises à l’issue du troisième réexamen de sûreté de la centrale ; l’annulation des décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale nucléaire pour dix ans résultant de l’éduction de ces prescriptions techniques nouvelles. Après avoir déclaré irrecevables les conclusions portant sur les décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale pour dix ans (I), à l’instar de celles sur l’avis de l’ASN (II), le Conseil d’Etat a refusé d’annuler les prescriptions techniques nouvelles imposées à la centrale (III). L’absence de décision de poursuite de l’exploitation pour dix ans La République et Canton de Genève soutenait que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’ASN, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a commencé par exposer les dispositions applicables aux INB. Il a notamment a rappelé que la création d’une INB était soumise à autorisation (article L. 593-7 du code de l’environnement). Il a également précisé qu’un réexamen par l’exploitant de la sûreté de son installation était prévu tous les dix ans (article L. 593-18 du code de l’environnement). Le Conseil d’Etat a ensuite présenté la procédure suivie à l’issue de ce réexamen de sûreté : l’exploitant adresse à l’ASN et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport rendant compte de cet examen de sûreté ainsi que les dispositions envisagées pour remédier aux anomalies constatées ou améliorer la sûreté de l’installation. L’ASN, au vu de ce rapport, peut imposer de nouvelles prescriptions techniques et communique au ministre chargé de la sûreté son analyse du rapport (article L. 593-19 du code de l’environnement). La Haute juridiction était donc invitée à se prononcer sur la durée de vie des autorisations d’exploiter une INB et sur l’éventuel renouvellement de cette durée de vie à chaque contrôle périodique de sûreté. Au regard des textes précités, le Conseil d’Etat a estimé « qu’aussi longtemps qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, après la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 593-25 du code de l’environnement, une installation nucléaire de base est autorisée à fonctionner, dans des conditions de sûreté auxquelles il appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire de veiller en vertu de l’article L. 592-1 du même code ». Il en a déduit que « par suite, la République et Canton de Genève n’est pas fondée à soutenir que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’Autorité de sûreté nucléaire, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituerait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires ; qu’ainsi, les conclusions de la requête tendant à l’annulation des décisions ” implicites ou révélées ” de l’Autorité de sûreté nucléaire et du ministre chargé de la sûreté nucléaire autorisant de nouveau, pour dix ans, l’exploitation de la centrale nucléaire du Bugey sont irrecevables ; ». Le Conseil d’Etat considère donc qu’il n’existe pas de durée de vie des INB et que celles-ci peuvent fonctionner tant qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, dans des conditions de sûreté auxquelles l’ASN doit veiller. Plus encore, il précise que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques à la suite d’un réexamen de sûreté de l’installation ne constitue pas une décision autorisant l’exploitation de la centrale pour dix nouvelles années. Il écarte donc comme irrecevable les conclusions tendant à l’annulation de décisions autorisant l’exploitation de la centrale pour dix ans.   L’avis de l’ASN, un acte non susceptible de recours   La République et Canton demandait également l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire rendu après le troisième réexamen de sûreté du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 593-19 du code de l’environnement dans sa version alors en vigueur : « L’exploitant adresse à l’Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l’examen prévu à l’article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu’il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la sûreté de son installation. / Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport. (…) »   Le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le statut des analyses de l’ASN.   Le Conseil d’Etat a considéré que « l’analyse par l’Autorité de sûreté nucléaire du rapport de réexamen de sûreté adressée au ministre chargé de la sûreté nucléaire constitue un simple avis qui ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief ; qu’ainsi, les conclusions tendant à l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 10 juillet 2012 sur la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey après son troisième réexamen de sûreté ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ; ».   Le Conseil d’Etat estime donc que l’avis de l’ASN ne constitue qu’un simple avis ne faisant pas grief et qu’il est, dès lors, insusceptible de recours.   On peut toutefois se demander si cette position du Conseil d’Etat sera maintenue eu égard à la nouvelle rédaction de l’article L. 593-19 du code de l’environnement. La nouvelle rédaction de cet article précise que « Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre…

Droit minier : précisions sur l’application de la loi anti-fracturation hydraulique (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de se prononcer dans un jugement du 28 janvier 2016 (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718) sur la légalité d’arrêtés d’abrogation de permis exclusif de recherches. C’est l’occasion d’aborder les grandes lignes juridiques du débat entourant la fracturation hydraulique. La fracturation hydraulique consiste à injecter sous très haute pression un fluide destiné à fissurer et micro-fissurer la roche. Cette technique est notamment utilisée en matière d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, conventionnels ou non conventionnels. Elle permet en effet de récupérer des hydrocarbures, liquides ou gazeux, dans des substrats denses où un puits classique ne suffirait pas. Le fluide utilisé lors de la fracturation hydraulique est en général de l’eau à laquelle sont ajoutés, d’une part, des matériaux solides poreux (sable…) afin que les fissures et micro-fissures ne se referment pas à l’issue du processus et, d’autre part, des additifs chimiques afin de gérer la viscosité du mélange. La technique de la fracturation hydraulique a soulevé une opposition importante de la population en 2011 lors de débats sur l’opportunité de rechercher et d’exploiter des hydrocarbures non conventionnels tels que les gaz de schiste sur le territoire français. En effet, à l’époque, cette technique, associée à un forage horizontale, était la seule permettant de rechercher et d’exploiter le gaz de schiste Cette opposition de la population a conduit à l’adoption de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique. Cette loi repose sur l’application du principe de prévention. Elle a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2013, décision n° 2013-346 QPC, analysée sur le blog du cabinet ici). L’article 1er de cette loi dispose : « En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. » [souligné par nos soins] Son article 3 précise en outre que : « I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés. III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. » [souligné par nos soins] Les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux devaient donc rendre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherche. Si les titulaires des permis ne remettaient pas le rapport ou si celui-ci mentionnait le recours effectif ou éventuel à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusif de recherches concernés étaient abrogés. Les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France détenaient un permis exclusif de recherches dit « Permis de Montélimar » Elles ont déposé un rapport le 12 septembre 2011 dans lequel, d’une part, elles s’engageaient à ne pas mettre en œuvre la technique de la fracturation hydraulique et où, d’autre part, elles précisaient désirer poursuivre les explorations soit au moyen de techniques existantes et autorisées, soit au moyen d’autres techniques encore en cours de développement. Toutefois, un arrêté interministériel du 12 octobre 2011 portant publication de la liste des permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux abrogés en application de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 a constaté l’abrogation du permis de Montélimar. Le directeur de l’énergie a ensuite adressé le 12 octobre 2011 des lettres informant les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France de cette abrogation. Les deux sociétés ont donc introduit un recours en excès de pouvoir contre l’arrêté du 12 octobre 2011 en tant qu’il constate l’abrogation du « Permis de Montélimar » et contre les lettres du directeur de l’énergie du 12 octobre 2011 les informant de l’abrogation de ce permis. La question posée au tribunal administratif de Cergy Pontoise était donc de savoir si le fait qu’un rapport affirme l’absence d’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre d’un permis exclusif de recherches sans préciser expressément quelles techniques seront mises en œuvre permettait de prononcer l’abrogation dudit permis. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé dans la décision du 28 janvier 2016 présentement commentée (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718). Il s’est, dans un premier temps, prononcé sur la recevabilité du recours des requérantes (I). Puis, il s’est prononcé sur l’abrogation du permis de Montélimar (II). Sur la recevabilité du recours en excès de pouvoir Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devait, en premier lieu, se prononcer sur la recevabilité du recours des sociétés requérantes et sur le caractère décisoire des actes contestés. Il convient de rappeler que l’article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (…) ». À cet égard, ne constituent pas des décisions au sens de…