DE L’INTÉRÊT A AGIR CONTRE UN PROJET INDUSTRIEL EN CONTENTIEUX DE L’URBANISME

Par Sébastien BECUE et David DEHARBE Green Law Avocats Si l’avènement annoncé d’un permis environnemental unique valant à la fois – et entre autres – permis de construire et autorisation d’exploiter au titre de la législation ICPE[1] devrait un jour permettre de mettre un terme à cette absurdité, les porteurs de projets industriels restent pour l’heure soumis au risque de subir deux procédures d’annulation, l’une devant le juge de l’urbanisme et portant sur les caractéristiques de construction, et l’autre devant le juge des ICPE et portant sur les effets du projet sur les intérêts environnementaux. Or l’habitué du contentieux environnemental sait que l’intérêt à agir du tiers requérant a longtemps été plus aisément accueilli par le juge de l’urbanisme que par son collègue environnementaliste[2]. Cette différence s’est amenuisée depuis l’adoption du nouvel article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme en 2013[3], disposition issue des réflexions du groupe de travail dirigé par Daniel LABETOULLE[4], et qui vise à encadrer plus strictement la définition de l’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme[5]. Ainsi un tiers requérant[6] « n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu'[il] détient ou occupe régulièrement ou pour lequel [il] bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation [contrat de réservation dans le cadre d’une VEFA] ».Cet encadrement légal de l’appréciation par le juge de l’intérêt à agir est pour ainsi dire inédit dans le contentieux de l’excès de pouvoir. Désormais, le juge est tenu de vérifier que le requérant est directement et réellement affecté par le projet qu’il attaque. Selon ses inspirateurs, sans que cette subjectivisation de la preuve de l’intérêt à agir soit destinée à s’écarter « de la jurisprudence qui s’est développée en l’absence de texte », elle a pour objet de donner aux juges administratifs « comme un signal les invitant à retenir une approche un peu plus restrictive de l’intérêt pour agir ».Aux termes d’une désormais fameuse[7] décision Brodelle (CE, 20 juin 2015, n°386121, publiée au recueil Lebon), le Conseil d’Etat décide d’étendre la portée de la disposition, en définissant précisément les éléments de preuve que doivent apporter chacune des parties au procès de l’autorisation d’urbanisme, lorsqu’est posée au juge administratif la question de l’intérêt à agir du requérant. Premier appelé à s’exprimer, le requérant est tenu de préciser l’atteinte invoquée, « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le défendeur peut alors opposer à son tour « tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ». A partir de ces soumissions, le juge doit « former sa conviction », « en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ». Le Conseil d’Etat franchit ainsi une première étape. Il ne suffit désormais plus que le requérant soit affecté, il faut désormais qu’il le démontre. Il ressort en effet de ce considérant que le juge n’est libre d’apprécier l’atteinte que subit le requérant que si ce dernier l’invoque et la démontre. Une seconde étape est franchie début 2016 lorsque le Conseil d’Etat décide de confirmer la décision d’un président de tribunal administratif qui rejette, par ordonnance[8] – une requête pour défaut manifeste d’intérêt à agir (CE, 10 fév. 2016, n°387507, Peyret, mentionné aux Tables). Même si ce n’était pas la première fois que l’utilisation des ordonnances de tri pour défaut d’intérêt à agir est autorisée[9], le Conseil d’Etat ne l’avait jamais fait de manière aussi claire. La conjonction de ces deux évolutions a laissé craindre un durcissement excessif des conditions d’accès au juge de l’urbanisme. Il s’est depuis avéré que ces requérants semblent avoir payé un tâtonnement jurisprudentiel. En effet, seulement deux mois après cette décision, sur proposition du rapporteur public Rémi DECOUT-PAOLINI, le Conseil d’Etat infléchit grandement sa position, en instaurant, en ajout au considérant Brodelle, une facilité probatoire pour le voisin immédiat du projet (CE, 13 avril 2016, n°389798, Bartolomei, Publié au recueil Lebon). Ces décisions et cette évolution de l’intérêt à agir ont été commentées par la doctrine sous un angle jurisprudentiel[10] ou théorique[11] ; nous nous proposons d’en étudier les conséquences pratiques, notamment en termes de stratégie contentieuse, pour les parties au procès et en prenant ouvertement le point de vue des « usages professionnels » du prétoire.   Le voisin immédiat requérant légitime   En matière d’intérêt à agir contre le permis de construire, le doute profite encore et toujours au voisin immédiat : c’est là l’enseignement essentiel de l’arrêt Bartoloméi. Le Conseil d’Etat y fait valoir : « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE, 13 avr. 2016, n°389798, précité). Le voisin immédiat est donc exonéré de l’artifice procédural selon l’expression de la rapporteur public Aurélie BRETONNEAU, consistant à imposer au requérant d’invoquer une atteinte émanant du projet autorisé et de préciser en quoi cette atteinte affecte son bien. Pour pouvoir bénéficier de cette exonération, le voisin immédiat doit tout de même établir qu’il dispose de la « situation particulière » requise, à savoir une proximité géographique immédiate avec la construction projetée. Une fois sa qualité de voisin immédiat établie, il ne reste plus au requérant qu’à confirmer en produisant des pièces relatives à la nature, à l’importance ou à la localisation de la construction projetée, ce qui devrait se révéler relativement aisé, ces caractéristiques étant généralement présentées dans le dossier de demande de permis de construire, dont il…

Plans de prévention des risques technologiques : un projet de décret soumis à consultation publique

Un projet de décret relatif aux plans de prévention des risques technologiques (PPRT) est soumis à la consultation du public sur le site du Ministère de l’environnement jusqu’au 17 juin 2016. Pour rappel, les PPRT sont des documents de planification créés par la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages à la suite de la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse de 2001. Régis par les articles L. 515-15 à L. 515-26 et  R. 515-39 à R. 515-50 du code de l’environnement, ils ont pour objet de limiter les effets des accidents susceptibles de survenir dans les installations « Seveso seuil haut » figurant sur une liste fixée par décret et pouvant entraîner des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques directement ou par pollution du milieu. Comme l’indique le site du ministère de l’environnement, « ils  visent à améliorer la coexistence des sites industriels à haut risques existants avec leurs riverains, en améliorant la protection de ces derniers tout en pérennisant les premiers. » Les PPRT concernent : les installations classées « Seveso seuil haut » ou les stockages souterrains susceptibles d’accidents pouvant entraîner des effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques, les sites comportant plusieurs de ces installations ou stockages. Les mesures qu’ils peuvent instaurer sont de nature foncière ou urbanistique. Elles visent tant à accroître la protection de  l’urbanisation existante (expropriation ou droit de délaissement,  travaux de renforcement…) qu’à réduire les risques induits par la présence de l’installation (mesures de réduction du risque à la source sur les sites industriels, restrictions sur l’urbanisme futur…). Le projet de décret soumis à consultation (consultable ici) s’inscrit dans une démarche d’amélioration des PPRT : en effet, ayant constaté que les mesures foncières ou les prescriptions de travaux pouvaient avoir pour effet de mettre certaines des entreprises riveraines en difficulté, le pouvoir législatif a autorisé le Gouvernement à légiférer sur cette question par voie d’ordonnance (loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises). Une ordonnance relative aux plans de prévention des risques technologiques a donc été publiée le 23 octobre 2015 (ordonnance n° 2015-1324 du 22 octobre 2015), et c’est dans la continuité de cette ordonnance qu’a été élaboré le projet de décret. Ainsi, ce texte procède à une mise en cohérence de la partie réglementaire du code de l’environnement (art. R. 515-39 à R. 515-48) pour tenir compte des évolutions de la partie législative. Mais le projet de décret va plus loin, puisqu’un certain nombre de dispositions vont également être modifiées : l’article R. 515-39 du code de l’environnement est modifié pour prendre en compte le fait que les stockages souterrains sont devenus des installations classées ; la liste des documents d’un PPRT est modifiée : la note de présentation est ainsi supprimée ; les modalités de l’information prévue au I de l’article L. 515-16-2 du code de l’environnement sont précisées. Il est également prévu qu’en cas de vente ou de location ultérieure du bien, cette information est reportée dans l’état des risques par le vendeur ou le bailleur en application de l’article L.125-5 ; les projets de documents soumis à la consultation des personnes et organismes associés restent accompagnés d’une note de présentation, tout comme les projets de documents soumis à enquête publique ; un dispositif d’accompagnement des riverains peut désormais être organisé par les pouvoirs publics.