Riverains de la pollution de l’usine Lubrizol : comment obtenir réparation ?

Par David DEHARBE, avocat associé gérant (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, installation classée pour la protection de l’environnement et Seveso seuil haut, a été déclaré éteint le vendredi 27 septembre. Circulez, rien à voir tout va très bien il n’y a pas de risque sanitaire selon les pouvoirs publics. Il n’y a « pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués », a assuré la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne. Il n’en demeure pas moins  que la pollution est bien présente au-delà même de l’incertitude qui entoure d’éventuelles pollutions sanitaires directes : des galettes d’hydrocarbures ont fait leur apparition sur la Seine, à Rouen et la suie à couvert à plusieurs kilomètres à la ronde les jardins. A minima les riverains sont contraints de prendre des mesures de prévenir la migration de la pollution : détruire leur légumes, renoncer à les consommer … etc. Et plus grave : les sols sont sans aucun doute impactés. Le droit de l’environnement permet avec certitude la réparation des préjudices ainsi subis (cf. notre ouvrage : Sébastien BECUE et David DEHARBE, Assurer le risque environnemental des entreprises, éditions de l’Argus de l’assurance).   D’abord une action en trouble de voisinage devant le juge judiciaire permettra assurément à tout riverain d’obtenir la remise en état de sa propriété ou de sa parcelle louée. Cette action est très simple à engager car il ne faut pas démontrer la faute de l’industriel mais seulement l’existence d’un lien de causalité entre la pollution causée par l’industriel et le préjudice anormal subi par le riverain. De surcroît les associations agréées de protection de l’environnement comme les collectivités territoriales impactées  peuvent encore agir contre l’exploitant de l’installation Seveso en réparation du préjudice écologique subi par leur territoire. Ainsi le préjudice écologique après avoir été consacré par le juge (cf. par ex. :Le préjudice écologique reconnu suite à la pollution de l’estuaire de la Loire par la raffinerie de Donges (CA RENNES, 9 déc.2016) ) a été intégré dans le code civil : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer » (Article 1246, créé par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 – art. 4). Ajoutons que s’agissant du préjudice écologique et du risque sanitaire une action dite de groupe à l’américaine est désormais ouverte, via une association agréée. On doit aussi signaler que sur le terrain assurantiel tous les contrats d’assurance de biens des particuliers (multirisques habitation, multirisques automobile) comportent obligatoirement une garantie qui couvre les catastrophes technologiques. La garantie peut être déclenchée si l’accident rend inhabitable au moins 500 logements et qu’un arrêté de catastrophe technologique précisant les zones et la période de survenance des dommages est publié au Journal officiel dans les quinze jours qui suivent la catastrophe. L’assuré doit déclarer le sinistre au plus tôt et respecter dans tous les cas le délai indiqué dans le contrat. On verra ce qu’il en sera ici et surtout si les collectivités locales vont exiger de l’Etat qu’il prenne un arrêté de catastrophe technologique. Pour les riverains le nettoyage des suies persistantes sur leurs biens en serait grandement facilité. Enfin on peut encore s’interroger sur d’éventuelles carences de l’Etat dans le contrôle de l’installation classée au regard de l’importance des zones impactées. Là aussi une action en responsabilité de l’Etat devant la juridiction administrative serait sans doute pertinente. Ainsi au-delà des actions pénales très médiatiques, le droit de la responsabilité civile en ce compris la réparation du préjudice environnemental devrait plus discrètement mais surement permettre d’assurer les réparations qui s’imposent. Si l’affaire AZF a accouché d’actions juridictionnelles bien décevante, la conscience environnementale du moment parait au contraire réellement favorable à ce que l’affaire de l’usine Lubrizol suscite des actions juridictionnelles exemplaires … les pistes ne manquent pas !  

Le maire et les pesticides : pas d’immixtion !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) L’on sait que la jurisprudence du Conseil d’Etat (en matière d’ICPE, d’antennes relais, d’arrêté anti-OGM et d’installations de compteurs électriques communicants) est désormais parfaitement établie en matière de risques environnementaux ou sanitaires encadrés par une police spéciale, très souvent confiée au préfet département et/ou à un Ministre. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État. Et le principe de précaution ne saurait faire échec à cette solution : s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder  son  champ  de  compétence  et  d’intervenir  en  dehors  de  ses  domaines d’attributions (CE, du 26 octobre 2011, n°326492). C’est sur cette base jurisprudentielle que le tribunal administratif de Rennes a ordonné mardi 27 août (par une ordonnance référencée n° 1904033) la suspension de l’arrêté pris par Daniel Cueff, le maire de Langouët (Ille-et-Villaine), limitant l’épandage de pesticides sur sa commune à plus de 150 mètres des habitations (la décision est téléchargeable ici). Pourtant la défense du premier magistrat de Langouët s’est efforcée de puiser au plus de la hiérarchie des normes française pour essayer de justifier qu’en vertu de la police générale un maire puisse tout de même réglementer la prévention d’un risque environnemental et sanitaire. Ainsi une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été posée au juge des référés. La défense mettait en cause  la  conformité au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution des  articles  L.253-7,L.253-7-1,  R.253-45,  D.253-45-1  du  code  rural  et  de  la pêche  maritime  et  L.1311-1  et  L.1311-2  du  code  de  la  santé  publique en tant qu’ils instituent une  police spéciale  des  produits phytopharmaceutiques centralisée et déconcentrée mais non décentralisée privant sans motif la collectivité locale de tout pouvoir réglementaire. Mais pour le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, « il résulte des  termes  mêmes  des  articles  34  et  72 de  la  Constitution que  les collectivités territoriales s’administrent librement et disposent d’un pouvoir règlementaire  pour l’exercice de leurs compétences, dans les conditions prévues par la loi. Il n’en résulte aucune obligation pour le législateur de définir les circonstances dans lesquelles il  entend  réserver  à l’État ou à ses représentants, plutôt qu’aux collectivités  territoriales,  le  pouvoir  de  règlementer certaines  matières  et  encore  moins  de  justifier  des  raisons  de  son  choix.  Par ailleurs, les dispositions constitutionnelles précitées n’interdisent pas au législateur qui organise à l’échelon national une police spéciale dans un domaine particulier de prévoir que l’autorité administrative compétente soit désignée par la voie règlementaire ». De même, la défense invoquait encore l’inconventionnalité du principe de non immixtion de la police générale dans le cercle de la police spéciale en sollicitant que soit posée une question préjudicielle à la CJUE : «En cas de carence avérée d’un Etat membre pour promulguer sur toute l’étendue du territoire national les mesures concrètes de protection des personnes vulnérables exigées par les articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement  du Parlement européen  et  du  Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009,  les  principes  de  primauté  et d’effectivité du droit de l’Union, emportent-ils le droit et/ou le devoir pour toute autorité locale disposant  d’un  pouvoir  de  police  sanitaire,  de  prendre,  sur  l’étendue  de  sa  compétence territoriale, des mesures, au moins provisoires, de protection des personnes vulnérables au sens des textes précités?». Le juge refuse cette transmission au motif principal qu’un doute sérieux suffit pour prononcer la suspension. Mais il ajoute encore ce motif sans doute bien plus discutable : « En tout état de cause, aucun des textes et principes du droit de l’Union européenne invoqués par la commune de Langouët ne peut être sérieusement interprété comme emportant, en cas de carence ou de retard d’un État  membre,  le  droit pour toute collectivité territoriale disposant d’un pouvoir de police sanitaire, de prendre, dans la limite de sa compétence territoriale, des mesures de protection des personnes vulnérables, ne serait-ce qu’à titre provisoire. ». Ce d’autant que l’utilisation  des  produits phytopharmaceutiques,  qui,  quoique régie par le droit de l’Union européenne, fait l’objet de textes nationaux incomplets, en violation des articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009, en  ce  qu’ils  omettent  totalement  la protection des riverains des zones traitées, ainsi que l’a relevéle Conseil d’État dans sa  décision du  26  juin  2019  (nos 415426,  415431)  statuant  sur  une  requête  en annulation du décret du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et l’utilisation des produits  phytopharmaceutiques  et  de  leurs  adjuvants. Ainsi   le Conseil d’Etat dans son arrêt du 26 juin dernier avait donné au gouvernement jusqu’au 26 décembre pour revoir le dispositif sur l’application des pesticides et prévoir des mesures de protection des riverains. Daniel Cueff, a été le premier maire de France à avoir pris, le 18 mai dernier, un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides «à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel». Depuis plusieurs maires et conseils municipaux ont décidé et voté la limitation des épandages de pesticides à plus de 150 mètres des habitations (le Perray-en-Yvelines, le conseil municipal d’Us dans le Val d’Oise)… ce contentieux va s’étoffer, affaires à suivre.

Implants mammaires PIP : carence fautive de l’Etat.

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La responsabilité de l’Etat peut être engagée à raison de la faute commise par les autorités agissant en son nom dans l’exercice de leurs pouvoirs de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain (cf. par ex. CE,  Assemblée,  3  mars  2004,  Ministre de l’emploi et de la solidarité c/Consorts X. et autres, n° 241150 à 2411153 – Confirmant CAA Marseille, 1re chambre, 18 octobre 2001, n°00MA01665, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité c/ Thomas : la Cour a retenu la « carence fautive » des pouvoirs publics qui n’avaient pas joué leur rôle préventif en matière de réglementation de l’exposition des travailleurs au risque amiante). Une nouvelle illustration de ce chef de responsabilité qui intéresse les risques sanitaires mais aussi technologiques. Par un jugement du 29 janvier 2019 n°1800068, le tribunal administratif de Montreuil reconnait l’Etat responsable, pour carence fautive, dans l’exercice de sa mission de contrôle de police sanitaire, des activités de la société PIP (Poly Implant Prothèse). Mme L. s’est fait implanter le 29 avril 2005, à des fins esthétiques, des implants mammaires de la marque Poly Implant Prothèse (PIP). Une inspection inopinée, menée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits des santé (AFSSAPS) le 17 mars 2010, a révélé que la société PIP utilisait frauduleusement un gel de silicone différent de celui pour lequel elle avait obtenu un certificat de conformité pour la fabrication d’implants mammaires, qui constituent des dispositifs médicaux au sens des dispositions de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, alors en vigueur, et de l’article L. 5211-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable. Le directeur général de l’AFSSAPS a pris le 29 mars 2010 une décision de suspension de la mise sur le marché, de distribution, d’exportation et d’utilisation. Mme L., qui s’est fait enlever ses prothèses PIP le 29 avril 2010, avait saisi le Tribunal administratif de Montreuil car elle estimait  que la décision est intervenue tardivement au regard des informations et des pouvoirs d’investigation dont l’AFSSAPS disposait. Elle soutenait devant le juge administratif que l’agence, à laquelle s’est ultérieurement substituée l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat et demande l’indemnisation de ses préjudices consécutifs à l’explantation de ses prothèses le 29 avril 2010. Certes, à la suite d’un signalement par les autorités américaines en 1996, une mesure générale de suspension de la mise sur le marché de toutes les prothèses mammaires internes dont le produit de remplissage était autre que du sérum physiologique a été prise pour une durée de douze mois via un arrêté du 28 mai 1997 ; suspension reconduite à plusieurs reprises dans l’attente d’études complémentaires. En ce qui concerne la société PIP, qui fabriquait et distribuait des prothèses mammaires depuis 1991 et avait choisi comme organisme habilité pour la délivrance des certificats de conformité l’organisme TUV Rheinland, sa suspension a été levée le 18 avril 2001, après des échanges contradictoires nourris avec l’Afssaps, un rapport d’expertise sur les tests biologiques menés sur les matières premières, enveloppes et gel de silicone utilisés par ce fabricant, qui ont été jugés satisfaisants, et une inspection de contrôle en juin 2001, qui a conclu à la conformité des prothèses, sans que l’instruction ne permette de retenir une faute de l’Afssaps. Or selon le jugement, « Il ne résulte pas de l’instruction que l’Afssaps pouvait, à la date d’implantation des deux prothèses mammaires de Mme L., le 29 avril 2005, soupçonner que le gel de silicone utilisé par la société PIP dans les implants commercialisés était différent de celui ayant fait l’objet des contrôles, compte tenu notamment de la fraude organisée par cette société pour dissimuler aux organes de contrôle la substitution de composants à des fins de rentabilité économique. Par ailleurs, pour accompagner la remise sur le marché des prothèses en silicone l’Afssaps a mis en 2002 à la disposition des déclarants une fiche de signalement spécifiques aux implants mammaires, et, en 2005, a mis en place un système de matériovigilance se traduisant par un traitement spécifique des déclarations d’incidents relatives aux prothèses mammaires et faites plus particulièrement par les professionnels de santé et les fabricants. Il ne résulte pas de l’instruction, et notamment de l’examen des données de vigilance, que le nombre et la cause des incidents relatifs à des implants en silicone PIP signalés à l’Afssaps entre 2001 et 2007 ne seraient pas conformes aux risques inhérents aux implants mammaires et que ces incidents suffisaient à faire apparaître une dangerosité accrue des produits PIP par rapport aux autres fabricants pour cette période. Dans ces conditions, au regard des informations dont elle disposait et alors même que la société PIP avait fait l’objet en 2001 d’une mesure de suspension, l’instruction ne permet pas d’établir, entre 2001 et la fin de l’année 2008, l’existence d’une faute qui serait liée au retard à déceler la dangerosité des implants PIP et la fraude commise et suspendre leur commercialisation ou encore à l’absence d’investigations complémentaires à celles réalisées par l’organisme notifié, la société TUV, qui n’avait pas fait de remontées particulières, pour s’assurer du respect des obligations et conditions imposées au fabriquant. Elle ne permet pas plus d’établir, en tout état de cause, une atteinte à un « principe de précaution ». Les fautes alléguées dans les missions de vigilance et de surveillance doivent dès lors être écartées ». En revanche, selon le Tribunal « il résulte de l’instruction que les données de vigilance pour l’année 2008 ont été reçues en avril 2009 par l’Afssaps, et l’instruction ne permet pas d’établir qu’un tel délai ne serait pas raisonnable. Elles pouvaient dans ces conditions être traitées utilement à compter du mois d’avril 2009, contrairement aux allégations de cette Agence. Ces données ont fait apparaître une augmentation significative des incidents et notamment des cas de rupture des membranes, et les documents produits en défense font état de la réception d’une délation le 26 novembre 2009 sur les…

Risques et radiofréquences : une nouvelle étude du National Toxicology Program

Par Maître Fanny ANGEVIN (Green Law Avocats) Le National Toxicology Program, organisme dépendant du département de la santé et des services humains du gouvernement américain, vient de publier deux études relatives aux effets des radiofréquences des téléphones portables sur les rats et les souris (https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/february2/index.cfm, étude sur les souris : https://tools.niehs.nih.gov/cebs3/views/?action=main.dataReview&bin_id=3801, et sur les rats :  https://tools.niehs.nih.gov/cebs3/views/?action=main.dataReview&bin_id=3800). Selon le communiqué de presse de l’Institut National de l’Environnement et des Sciences Humaines (« National Institute of Environmental Health Sciences »), ces deux études concluraient au fait qu’une haute exposition à une radiation de radiofréquence serait liée à la présence de tumeurs chez les rats males. Le communiqué de presse précise que cette haute exposition à des radiations de radiofréquences a provoqué des tumeurs dans les tissus entourant les nerfs du cœur des rats males. Il indique également que ces conclusions n’ont pas été les mêmes pour les rats femelles et les souris. Par ailleurs, le communiqué de presse souligne ensuite le fait que les taux d’expositions utilisés dans les études étaient similaires et supérieurs aux niveaux d’expositions autorisés pour l’exposition locale des tissus humains en ce qui concerne les émissions des téléphones portables. Il est également indiqué que les téléphones portables émettent typiquement des niveaux inférieurs de radiations de radiofréquences que le maximum autorisé. Néanmoins, il demeure que ces études semblent établir un lien entre l’exposition à aux radiofréquences et la présence de tumeurs chez le rat male. Ces études doivent encore faire l’objet d’une revue critique par la communauté scientifique (prévue pour mars 2018). Mais elles auront en tout état de cause vocation à ouvrir à nouveau le débat en France relatif aux taux d’expositions aux radiofréquences, un sujet qui est particulièrement anxiogène pour les riverains d’antennes relais notamment. Rappelons que la procédure de mise en place d’antennes relais en France ne fait l’objet d’aucune « réelle » concertation des populations locales : certes, depuis un décret n°2016-1211 du 9 septembre 2016 relatif à l’information locale en matière d’exposition du public aux champs électromagnétiques, les maires ou présidents d’EPCI doivent mettre à disposition des habitants les informations en ce qui concerne les projets d’implantation d’installations radioélectriques sur le territoire de la commune. Le maire peut également donner la possibilité aux habitants de formuler des observations sur ces projets. Néanmoins, force est de constater, en pratique, que les riverains de tels projets découvrent très souvent l’existence de ces derniers à un stade très avancé de la procédure, c’est à dire, au moment où l’affichage sur le terrain du permis de construire ou de la déclaration préalable est effectuée. S’ensuivent alors des procédures contentieuses en raison des craintes des riverains sur les effets de l’exposition à ces antennes, qui ne sont néfastes tant pour les opérateurs de téléphonie mobiles, pour les Communes et pour les riverains des projets et qui auraient certainement pu être évitées, si une meilleure concertation existait. Une véritable remise en question de ces procédures doit donc être mise en place ainsi qu’un réel débat sur les taux d’exposition aux radiofréquences.

Préjudice d’anxiété du fait de l’exposition à l’amiante

Par Thomas Richet (élève avocat chez Green Law)   Quelques mois à peine après la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété « autonome » dans le cadre de l’affaire du « Mediator », le Conseil d’Etat, par un arrêt du 3 mars 2017, apporte d’utiles précisions quant à la preuve d’un tel préjudice (CE 1ère et 6ème chambres réunies, 3 mars 2017, M.A., req. n° 401395). Rappelons les faits de l’espèce. A. a été ouvrier d’Etat de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon entre 1979 et 2011. A ce titre, il a été admis au bénéfice de l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité à compter du 1er janvier 2012 par une décision du 21 novembre 2011. A. ayant été en contact avec l’amiante lors sa carrière, mais n’ayant pas développé de pathologie en rapport avec cette substance dangereuse, a décidé de saisir la juridiction administrative en réparation de l’inquiétude permanente de développer une telle pathologie et des troubles dans ses conditions d’existence. Au-delà de la réparation du préjudice lié à ses conditions d’existence, M. A. demandait donc également la reconnaissance et l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété. La requête de M.A. a d’abord été rejetée par ordonnance du président du Tribunal administratif de Toulon (TA Toulon, 10 juillet 2015, ord. n°1303261). En appel, M.A. obtient gain de cause et la Cour administrative d’appel de Marseille condamne l’Etat à lui verser la somme de 14 000 euros au titre du préjudice subi (CAA Marseille 31 mai 2016, req. n° 15MA03706). La Cour administrative d’appel relève à cette occasion que la reconnaissance de l’intégration de M. A. à un dispositif d’allocation de cessation d’activité anticipée « vaut reconnaissance pour l’intéressé de l’existence d’un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d’amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même d’une espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d’un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l’Etat ». Par un pourvoi enregistré le 11 juillet 2016 au greffe du Conseil d’Etat, le ministre de la défense demande l’annulation de cet arrêt. Le problème de droit auquel était confronté le Conseil d’Etat était donc double : était-il possible de reconnaître un préjudice d’anxiété « autonome » en dehors de toute atteinte à l’intégrité physique du requérant ? Fallait-il de reconnaître un tel préjudice sur la base de l’application d’un dispositif d’allocation de cessation d’activité anticipée ? Faisant application de sa récente jurisprudence Mediator, la haute juridiction administrative va reconnaître, en l’espèce, un préjudice d’anxiété « autonome » (1), tout en apportant d’utiles précisions quant au système de preuve d’un tel préjudice (2). 2. L’application de la jurisprudence Mediator aux ouvriers d’Etat de la DCN : la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété « autonome » Le juge administratif a déjà pu reconnaître l’existence d’un préjudice d’anxiété lié à « la crainte d’une évolution subite et grave » de l’état de santé d’un requérant (CE, 19 décembre 2007, req. n° 289922, MM. Nicolas et Gabriel A contre Etablissement Français du Sang). Cependant, la reconnaissance d’un tel préjudice était liée à une atteinte à l’intégrité physique du requérant. En effet, le préjudice d’anxiété n’était reconnu que parce qu’il était la conséquence directe d’une atteinte à l’intégrité physique de la personne. Dans le cadre de la récente affaire du « Médiator », le Conseil d’Etat a consacré l’autonomie du préjudice d’anxiété par rapport à l’atteinte à l’intégrité physique du requérant (Conseil d’Etat, 9 novembre 2016, req. n° 393108, Mme E). Le préjudice d’anxiété pouvant ainsi être reconnu indépendamment du fait que la personne ait subi une atteinte à son intégrité physique. Comme le relève le rapporteur public dans cette affaire, « l’anxiété face à la fatalité » étant d’ores et déjà admise par le juge administratif, aucune raison ne s’opposait à la reconnaissance de « l’anxiété face au risque » (conclusions de M. Jean LESSI, audience du 17 octobre 2016, req. n°393108). Cependant, faute de démonstration du caractère personnel, certain et direct du préjudice, le Conseil d’Etat ne va pas le reconnaitre en l’espèce. Notons que cette reconnaissance était déjà acquise par le juge judiciaire qui avait reconnu « l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété » du fait que les requérants « se trouvaient par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » (Cour de cassation, 11 mai 2010, n° 09-42241). Le Conseil d’Etat, par l’arrêt commenté, confirme cette possibilité de reconnaissance d’un préjudice d’anxiété alors même qu’aucune atteinte à l’intégrité physique du requérant n’existe. Alors que le requérant n’avait développé aucune pathologie liée à l’amiante, le juge administratif considère que ce dernier « peut être regardé comme justifiant l’existence de préjudices tenant à l’anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et là même d’une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d’amiante ». Ainsi, au-delà de la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété autonome, c’est la première fois, à notre connaissance, qu’une personne bénéficie de ce préjudice alors même qu’elle n’a développé aucune pathologie. L’arrêt commenté est également intéressant quant à la preuve de ce poste de préjudice. 2. La preuve d’un préjudice d’anxiété par l’intégration à un dispositif d’allocation « spécifique » de cessation d’activité anticipée Malgré la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété « déconnecté » de toute atteinte à l’intégrité physique dans l’affaire du Mediator, le Conseil d’Etat avait considéré que la requérante, Mme B, « ne [faisait] état d’aucun élément personnel et circonstancié pertinent pour justifier du préjudice qu’elle [invoquait] », qu’ainsi, elle « ne [pouvait] pas être regardée comme justifiant personnellement de l’existence d’un préjudice direct et certain lié à la crainte de développer une pathologie grave après la prise de Mediator ». Il ressort de cette décision que tout requérant désireux de se prévaloir d’un préjudice d’anxiété doit faire état d’éléments personnels et circonstanciés pertinents. La situation de M. A dans l’arrêt commenté n’était pas la même…