Absence de carence fautive et de responsabilité sans faute de l’État dans le tarissement des sources d’Auvergne

Absence de carence fautive et de responsabilité sans faute de l’État dans le tarissement des sources d’Auvergne

Par David DEHARBE, Avocat gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

A cause de l’importance du pouvoir discrétionnaire de l’administration, le juge administratif ne sanctionnait pas son absence ou son inaction partielle et n’y voyait qu’une question d’opportunité (voir notamment en matière de police des cours d’eau CE, 9 mai 1867, Marais de l’Authie, Rec. p. 466 ).

Depuis les années 1920, le juge administratif sanctionne l’absence ou l’insuffisance d’action de l’administration, notamment en matière de police administrative (voir notamment CE, 26 juillet 1918, Lemonnier, Rec. p. 761, D. 1918, 3, p. 9  ).

Mais la carence fautive peut aussi intéresser la gestion quantitative de la ressource en eau. C’est le sujet du jugement rapporté.

En matière de police de l’eau, la Haute juridiction considère que le préfet doit d’exercer ses pouvoirs au risque de commettre une carence fautive et d’engager la responsabilité de l’État (CE, 22 juillet 2020, n° 425969, points 4 et 5 ).

Du côté des juges du fond, ces derniers ont jugé que le préfet doit prendre des mesures de restrictions des usages de l’eau en cas de situation de sécheresse sous peine de commettre une carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police (TA de Poitiers, 9 avril 2024, n° 2201579, point 4 ).

Bien que l’État puisse être responsable d’une telle inertie, encore faut-il la caractériser, ce que n’a pas manqué de souligner le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand face à un tarissement de source en eaux (décision commentée : TA de Clermont-Ferrand, 18 juillet 2025, n° 1800999 ).

La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques du fait d’actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France

La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques du fait d’actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France

Par  Frank ZERDOUMI, Juriste et Docteur en droit public (Green Law Avocats)

Dans certains cas, une faute n’est nullement nécessaire pour que la responsabilité de l’Administration soit engagée. Elle l’est de plein droit, automatiquement, dès qu’un lien de causalité direct apparaît entre une activité administrative et un dommage.

Le juge administratif peut-il indemniser un requérant en cas de préjudice lié à un acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par l’affirmative, sous certaines conditions (CE, 24 octobre 2024, Mutuelle centrale de réassurance, n°465144).

L’indemnisation des victimes d’essais nucléaires précisée

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt en date du 27 janvier 2020 le Conseil d’Etat est venu préciser la portée de la dernière modification de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais français dans sa rédaction issue de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 (CE, 27 janvier 2020, n°429574). En l’espèce, était en cause une demande d’indemnisation formulée en mars 2013 par Monsieur D. auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) après qu’il eut contracté un cancer de la vessie suite à un séjour en Polynésie française de juin 1971 à décembre 1972. Cette demande lui a d’abord été refusée par l’administration puis par le Tribunal administratif de Dijon par un jugement du 28 février 2017. La Cour administrative d’appel de Lyon est ensuite venue annuler ce jugement en faisant application de la loi du 5 janvier 2010 modifiée par la loi du 20 mars 2017 et de la position du Conseil d’Etat voulant que la présomption de causalité légalement prévue ne puisse être renversée que si l’administration démontre que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à celle des essais nucléaires (CE, 28 juin 2017, n°409777). Le requérant satisfaisant aux conditions de temps, de lieu et de pathologie pour présumer la causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie, elle a enjoint au CIVEN de réexaminer la demande de M.D dans un délai de 6 mois. C’est contre cet arrêt que le CIVEN s’est pourvu en cassation, soutenant à l’appui de ses prétentions que les juges du second degré avaient commis une erreur de droit en ne faisant pas application de la loi du 28 décembre 2018, pourtant entrée en vigueur avant que la Cour ne se prononce. Le législateur ne s’étant pas préoccupé de l’application dans le temps de ces nouvelles dispositions, il revenait aux juges du Palais Royal de se prononcer sur cette question. Avant tout, rappelons que la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais français créée un droit de créance au bénéfice des personnes ayant développé  une maladie radio-induite suite à une exposition aux rayonnements ionisants issue d’essais nucléaires. Dès l’origine, cette loi a prévu un régime d’indemnisation favorable aux victimes en instaurant une présomption de causalité, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions susvisées. Cette présomption pouvait être renversée si l’administration démontrait un « risque négligeable », notion floue qui a par la suite été abandonnée par le législateur dans une loi n° 2017-256 du 28 février 2017. Cette notion ambiguë a alors été substituée par l’indication selon laquelle cette « présomption ne peut être renversée que si l’administration établit que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires, en particulier parce qu’il n’a subi aucune exposition à de tels rayonnements » (CE, 28 juin 2017, n°40977). Mais cette présomption étant devenue quasi-irréfragable le législateur est de nouveau intervenu pour introduire une modification prévoyant une hypothèse de renversement de la présomption de causalité lorsque « la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l’intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l’exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l’article L. 1333-2 du code de la santé publique » (art. 232 loi 28 décembre 2018), à savoir 1 millisievert (mSv) par an (voir article R.1333-11 du Code de santé publique). Dès lors si les conditions pour bénéficier de l’indemnisation sont réunies il y aura une présomption de causalité sauf si la dose annuelle limite n’est pas dépassée. En premier lieu, cet arrêt du Conseil d’Etat retiendra notre attention en ce qu’il qualifie le sens qu’il convient de donner à l’article 232 de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018. Selon lui il rend plus aisé la démonstration par le CIVEN d’une présomption de causalité renversée, la preuve d’une cause exclusivement étrangère étant a priori plus difficile à apporter que la démonstration que le seuil n’est pas atteint. Cependant, en qualifiant de la sorte la nature de cette dernière évolution législative le Conseil d’Etat ne vient pas pour autant affirmer qu’elle permettra au CIVEN de renverser systématiquement la présomption de causalité, chaque cas d’espèce étant en effet différent. Indépendamment du fait que cette réforme soit ou non favorable à l’indemnisation des victimes elle a pour avantage indéniable de rendre plus clair le niveau de bascule de la présomption en ne laissant plus au CIVEN le soin de déterminer le seuil de renversement ou non de la présomption. Cela étant dit, après avoir rappelé les conditions ouvrant droit au bénéfice de l’indemnisation la Haute juridiction administrative s’est penchée sur la question de l’application dans le temps de la nouvelle réforme issue de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018. Ainsi, contrairement à ce qu’avait suggéré le rapporteur public dans ses conclusions, à savoir procéder à une application immédiate de la nouvelle loi aux droits non définitivement acquis, le Conseil d’Etat a jugé que la loi de 2018 ne trouvait pas à s’appliquer aux demandes d’indemnisation formulées antérieurement à son entrée en vigueur : « En modifiant les dispositions du V de l’article 4 de la loi du 5 janvier 2010 issues de l’article 113 de la loi du 28 février 2017, l’article 232 de la loi du 28 décembre 2018 […] doit être regardé, en l’absence de dispositions transitoires, comme ne s’appliquant qu’aux demandes qui ont été déposées après son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de la publication de la loi du 28 décembre 2018 au Journal officiel de la République française ». Par ce considérant, le Conseil d’Etat a décidé que les conditions du droit à l’indemnisation devaient être celles posées par la loi en vigueur à la date de la demande d’indemnisation présentée au CIVEN, sauf indication contraire expressément prévue par le…