La créance de dépollution : une créance non-privilégiée

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La créance de dépollution ne bénéficie pas d’un paiement préférentiel au sein d’une procédure de liquidation judiciaire lorsqu’elle n’est pas née pour les besoins de la procédure. C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt en date du 5 février 2020. (Com. 5 fév. 2020, n°18-23961) La détermination du caractère préférentiel de la créance est d’une importance primordiale : une créance postérieure née régulièrement pour les besoins de la procédure bénéficie d’un paiement à échéance (C. de com. art. L 641-13). La créance de dépollution et de remise en état se fonde sur le principe du pollueur-payeur au titre des articles L 512-6-1 et L 512-7-6 du code de l’environnement. Ainsi la charge de la dépollution incombe au dernier exploitant du bien pollué, en l’espèce la société locataire. Partant le fait générateur de cette obligation de dépollution est l’arrêt définitif de l’exploitation. Pour justifier sa décision, la Cour de cassation écarte la qualification de créance née pour les besoins de la procédure collective. La créance ne sera donc réglée que si le bailleur en fait la déclaration au liquidateur conformément à l’article L 622-24 du code de commerce. Il faut également en déduire que la créance de dépollution a très peu de chance d’être payée dans des procédures en carence. Par exemple, dans un arrêt de la cour d’appel de Grenoble en date du 23 Octobre 2014, la responsabilité du liquidateur n’avait pas été retenue car ce dernier ne disposait pas des fonds nécessaires au règlement de la dépollution (CA Grenoble, 23 oct. 2014, n° 10/03524). Cependant il convient de nuancer la la position adoptée. La créance n’est pas née pour les besoins de la procédure « dès lors que le bail n’était ni poursuivi ni cédé à un repreneur, la remise en état et dépollution du site sur lequel était exploité l’entreprise débitrice n’était en rien nécessaire aux opérations de liquidation judiciaire ». (Com. 5 fév. 2020, n°18-23961) Nous pouvons alors supposer qu’en cas de cession dans le cadre de la procédure, le liquidateur aurait dû remettre en état et dépolluer l’installation classée. De plus, il faut rappeler que le préfet peut mettre en œuvre, en cas de liquidation judiciaire de l’exploitant,  les garanties financières qui s’imposent pour certaines installations classées (C. envir. art. L 516-1 et R 516-3). D’ailleurs, au sujet d’une procédure sauvegarde, la Cour de cassation a déjà reconnu comme fait générateur d’une créance de dépollution l’arrêté préfectoral ordonnant au débiteur la consignation des sommes correspondant au montant des travaux à réaliser. (Com. 17 sept. 2002, n°99-16.507) Enfin, selon le Conseil d’Etat, les dispositions du droit des entreprises en difficulté « ne font pas obstacle à ce que l’administration fasse usage de ses pouvoirs, notamment de police administrative, qui peuvent la conduire, dans les cas où la loi le prévoit, à mettre à la charge de particuliers ou d’entreprises, par voie de décision unilatérale, des sommes dues aux collectivités publiques ». (CE 28 septembre 2016, 384315, Act. Proc. Coll. 2016, obs. D. Voinot ; AJDA 2016. 1839 ) La place de la créance de dépollution au sein de la procédure collective dépend visiblement de l’action de l’administration. Il faut également compter avec les pouvoir de sanction administrative dont dispose le préfet à l’égard du liquidateur et trop souvent malheureusement avec l’inertie du premier et la mauvaise volonté du second…

Mesures conservatoires en cas de pollution d’un cours d’eau : le JLD n’a pas à exiger la démonstration préalable d’une faute pénale

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt en date du 28 janvier 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. Crim, 28 janvier 2020, n°19-80.091) : opte pour une interprétation de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement en nette faveur de la protection de l’environnement, et au détriment de l’exploitant s’agissant des mesures conservatoires susceptibles d’être prononcées par le juge des libertés et de la détention (JLD) en matière de pollution des eaux. L’affaire portée devant la Haute-Juridiction concernait la pollution du cours d’eau « La Brévenne », relevée en juillet 2018 à hauteur d’une station de traitement et d’épuration dont l’exploitation avait été confiée par un syndicat intercommunal à la société Suez Eau France. L’enquête pénale révélant une pollution des eaux supérieure aux normes règlementaires, le Procureur de la République, sur demande d’une fédération, avait saisi le JLD sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement d’une requête tendant au prononcé de mesures conservatoires à l’encontre de l’exploitant lui enjoignant de cesser tout rejet dans le milieu aquatique dépassant les seuils fixés. Le JLD ayant fait droit à cette requête pour une durée de six mois, le syndicat intercommunal et la Société Suez Eau France ont interjeté appel. Ces derniers ont alors obtenu du Président de la chambre de l’instruction la suspension par ordonnance de l’exécution de la décision du JLD en application du dernier alinéa de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, puis l’infirmation de l’ordonnance prononçant les mesures conservatoires par un arrêt du 9 novembre 2018, décision objet du pourvoi en cassation formé par la fédération. A ce stade, rappelons qu’en matière de mesures conservatoires, l’alinéa premier de l’article L. 216-13 permet au Procureur de la République, agissant d’office ou à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agrée de protection de l’environnement, de saisir le JLD d’une requête en cas de non-respect des articles L. 181-12, L. 211-2, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 214-6 du Code de l’environnement tendant au prononcé de toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale. La loi n°2016-1087 dite « loi Biodiversité » a d’ailleurs modifié ces dispositions, portant la durée maximale des mesures utiles pouvant être ordonnées par le juge à un an au lieu de trois mois, précisant que ces mesures portent sur « les opérations menées en infraction à la loi pénale » et non plus sur « l’activité en cause ». Clé de lecture de l’arrêt commenté, ces mesures conservatoires sont susceptibles d’être prononcées à l’encontre des personnes physiques et personnes morales « concernées » par ces opérations menées en infraction à la loi pénale.   A cet égard, la chambre de l’instruction avait infirmé l’ordonnance du JLD à la suite d’une analyse « géographique » sinon ‘codistique’ de l’article L. 216-13. En effet, les juges d’appel avaient relevé que ces dispositions étaient insérées dans le Code de l’environnement au sein d’une sous-section 2 intitulée « sanctions pénales », elle-même figurant dans une section 2 « dispositions pénales » d’un chapitre VI consacré aux « contrôles et sanctions » du titre du Code de l’environnement relatif à l’eau et aux milieux aquatiques et marins. De cette localisation de l’article L. 216-13, la chambre de l’instruction en avait déduit que le JLD ne pouvait prononcer des mesures conservatoires sur le fondement de ces dispositions qu’après avoir nécessairement démontré la commission par les personnes concernées d’une faute de nature à engager leur responsabilité pénale. Autrement dit, parce que ces dispositions figuraient au sein d’une sous-section intitulée « sanctions pénales », les juges d’appel en avaient déduit que la démonstration de l’imputabilité de l’infraction aux personnes concernées était une condition préalable obligatoire au prononcé de mesures conservatoires. Cette lecture est censurée par la chambre criminelle, qui préfère, elle, adopter une interprétation à la fois autonome et téléologique de l’article L. 216-13 en faveur de la protection de l’environnement : Sans tenir compte de la localisation de l’insertion de ces dispositions, la Cour de cassation considère à l’inverse que le prononcé, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires par le JLD destinées à faire cesser une pollution ou à en limiter les effets n’est pas subordonné à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale. Favorable à la protection de l’environnement, la solution n’est pas étonnante, et ce pour plusieurs raisons : – En premier lieu, rappelons que la loi pénale est d’interprétation stricte (art. L. 111-4 du Code pénal). Rapporté à cette décision, la démonstration d’une imputabilité apparaît rapidement comme une condition excessive lorsque le texte évoque comme potentiels sujets au prononcé de mesures conservatoires les « personnes concernées ». Partant, cette condition d’imputabilité aurait pu paraître admissible si le texte avait plutôt visé, par exemple, les personnes « en cause ». – En deuxième lieu, et surtout, la solution retenue par la chambre criminelle se fonde sur une interprétation autonome qui se veut conforme à l’esprit de ces dispositions. Pour cause, dans sa décision, la Cour rappelle la finalité du prononcé de mesures conservatoires, à savoir faire cesser une pollution dans un but de préservation de l’environnement et de la sécurité sanitaire. Fondamentalement provisoires, des mesures conservatoires poursuivent donc une finalité préventive et non répressive. Ajouté à cela que ces dernières répondent à une situation d’urgence, il était donc profondément incohérent vis-à-vis du sens et de la portée du texte de faire dépendre leur prononcé de la démonstration d’une faute de nature à engager la responsabilité pénale de la personne concernée, elle inscrite dans une temporalité nettement différente. – Enfin, en troisième et dernier lieu, la lecture censurée  s’avérait d’une rigueur juridique discutable. Pour cause, accorder une telle importance à cette interprétation dans un contexte d’inflation législative, conduisant à des insertions parfois hasardeuses de dispositions, fragilisait nettement la solution retenue par la chambre de l’instruction. Reste que comme souvent cette lecture environnementale de  la loi se fait au détriment des exploitants pouvant se voir, à l’instar de la société Suez Eau France et du SIVU, imposer des mesures conservatoires à l’occasion d’une…

DOMMAGE DE POLLUTION MINIER DE L’EXPLOITANT DISPARU : L’ETAT DOIT INDEMNISER LES PREJUDICES DE JOUISSANCE ET DANS LES CONDITIONS D’EXISTENCE

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un jugement du 31 octobre, le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 31 oct. 2019, n°1708503) a considéré que l’Etat est tenu de garantir les dommages issus d’une pollution des sols causée par l’activité antérieure d’une exploitation minière quand bien même l’exploitant n’existerait plus. Pour une meilleure compréhension du jugement, il convient de rappeler les dispositions de l’article L. 155-3 du Code minier (disponible ici), qui dispose que « L’explorateur ou l’exploitant ou, à défaut, le titulaire du titre minier est responsable des dommages causés par son activité. Il peut s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une cause étrangère. Sa responsabilité n’est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité. En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l’État est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière. Il est subrogé dans les droits de la victime à l’encontre du responsable ». En l’espèce, les propriétaires d’un moulin rénové, sur le territoire de la commune de Les Salles, situé dans le périmètre d’un ancien secteur minier, font état d’une pollution sur leur territoire. Une étude sanitaire avait été réalisée par un groupement d’intérêt public et avait révélé une pollution importante sur le terrain d’assiette de leur propriété, mais aussi de la cave de leur habitation. Cette pollution au plomb n’était pas anodine. Les requérants avaient adressé une réclamation préalable au préfet de la Loire, afin d’obtenir la réparation des conséquences dommageables de cette pollution. Leur réclamation était restée sans réponse, ces derniers saisissent le TA de Lyon afin d’obtenir une indemnisation. Les juges font tout d’abord une appréciation de la pollution au regard de l’usage antérieur du terrain. Afin d’établir le lien de causalité, les juges se fondent sur l’étude réalisée par le groupement d’intérêt public ainsi qu’un arrêté préfectoral en date du 3 juillet 2019. Les résultats des divers prélèvements réalisés pour ladite étude démontrent que la contamination au plomb affecte non seulement le terrain, mais également la cave d’habitation des requérants. Si la pollution n’est pas issue de l’activité de l’ancienne fonderie exploitée de 1730 à 1844 sur la même parcelle, elle est en revanche issue des déchets ayant pour origine l’ancienne activité minière située sur le secteur proche de Saint-Martin-La-Sauveté. Les juges relèvent que « La pollution dont se plaignent M. B… et Mme A… apparaît donc directement en lien avec cette activité ». Le lien de causalité entre les dommages issus de la pollution relève ici de l’identification des polluants par une analyse des sols. Si l’ancien exploitant minier, ou les autres responsables de cette pollution au plomb ont aujourd’hui disparu, la juridiction estime que « les intéressés sont fondés, en application des dispositions de l’article L. 155-3 du code minier, à solliciter la garantie de l’État en réparation des dommages subis du fait de cette activité minière ». Les dispositions du Code miner encadrent la responsabilité de l’exploitation, et à titre subsidiaire celle de l’État. Classiquement, l’exploitant ou à défaut le titulaire d’un titre minier est responsable des dommages de son activité. Il est difficile pour l’exploitant de se dégager de sa responsabilité en cas de dommage. Dans ce cas, la responsabilité civile de l’exploitant pourra être engagée, et cela même après la fermeture du complexe minier (Cass., 3e civ., 24 sept. 2014, Synd. assainissement Orne aval c/ Sté des Mines de Sacilor-Lormines n° 11-22386). L’exploitant ne peut invoquer sa non-responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère. L’utilisation de cet article s’apprécie souvent au regard de l’apparition tardive des effets pervers de pollutions parfois mal renseignée ou même dissimulée. La loi permet une réparation et une responsabilité de l’État dans deux cas spécifiques. L’article L. 155-3 du code minier précité, précise que l’État est garant de la réparation des dommages causés par une activité minière, et ce dès lors qu’il y a disparition ou défaillance du responsable. La notion de disparition est aisée à comprendre, elle agit dans le cas où l’on est dans l’impossibilité d’identifier formellement le responsable de l’activité, que cela soit sa disparition physique ou morale. Dans le cas de la défaillance, cela signifie que l’exploitant n’est plus en capacité d’assumer ces obligations. Cela peut notamment être le cas lors d’une incapacité financière (au sens de la circulaire   du 25 juill. 2000, relative à la mise en œuvre des articles 75-1 à 75-3 du Code minier). Cette deuxième hypothèse n’a pas été envisagée en l’espèce. Il est à noter que la procédure de délivrance d’un permis d’exploitation prend en considération la capacité financière du futur exploitant (CE, 13 juillet 2006, Société Geotech International, n° 273184). Dans notre espèce, les requérants demandent une indemnisation de leurs préjudices de jouissance de leur bien et d’un trouble dans leurs conditions d’existences.  Ils obtiennent gain de cause : «  il résulte de l’instruction que le remblaiement du terrain de M. B… et Mme A… avec des stériles issus de l’activité minière exploitée sur le secteur de Saint-Martin-la-Sauveté a entraîné une pollution au plomb mise en évidence à partir de 2014 par l’étude Géodéris, dont les résultats provisoires ont été portés à la connaissance des requérants lors d’une réunion du 13 novembre 2014. Dès le 21 novembre 2014, l’agence régionale de santé Rhône-Alpes les a invités à faire mesurer le dosage de la plombémie dans leur sang et celui de leurs enfants, puis de se soumettre à un suivi médical régulier afin de surveiller l’augmentation éventuelle de ce taux. Par un arrêté du 13 avril 2016, le préfet de la Loire a instauré des restrictions sanitaires d’utilisation, de mise sur le marché et la surveillance des productions animales et végétales issues notamment des parcelles appartenant aux requérants, classées à la fois en zone de protection et en zone de surveillance. Toute activité agricole s’est ainsi trouvée interdite sur leur terrain, ainsi que la consommation et la cession de toute production d’un éventuel jardin potager, dont la culture est déconseillée. Les requérants doivent également suivre de strictes recommandations sanitaires générales, telles que l’interdiction de laisser…

Pollution de l’air en ville… circulez rien à respirer !

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Faisant suite à plusieurs arrêts des tribunaux administratifs de Montreuil et Paris (TA Montreuil, 25 juin 2019, n° 1802202 – TA Paris, 4 juill. 2019, n°s 1709333, 1810251TA et 1814405), c’est au tour du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 2e ch., 26 sept. 2019, n°1800362) de reconnaitre que l’insuffisance des mesures visant à lutter contre la pollution de l’air constitue une faute imputable à l’Etat. Faute qui, cependant, n’ouvre pas droit à réparation en raison de l’absence de lien de causalité certain avec les préjudices subis. L’insuffisance de ces mesures ne saurait également constituer une violation du droit de vivre dans un environnement sain, protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), et ce, en raison des risques écologiques inhérents à la vie en ville. En l’espèce, Mme X… et son fils résident dans la métropole de Lyon. Ce dernier souffre d’affections respiratoires que sa mère impute à la pollution atmosphérique lyonnaise. Ainsi, Mme X… saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande visant à la réparation des préjudices subis par son fils et du préjudice d’anxiété en résultant. Le tribunal administratif retient que l’insuffisance du plan de protection de l’atmosphère (PPA) pour prévenir le dépassement des seuils de concentration des polluants permet de caractériser une faute de l’Etat dans l’exécution de ses obligations résultant des dispositions du code de l’environnement. A ce titre, le tribunal caractérise une carence fautive de l’Etat au regard de deux éléments : D’une part, « l’exposition persistante, et difficilement compressible, reconnue par le plan de protection, d’une partie significative de la population à des concentrations en particules fines et dioxyde d’azote supérieures aux valeurs limites» ; D’autre part, « la répétition, depuis plusieurs années, et sur des périodes parfois importantes, de dépassements des valeurs limites de ces polluants». Ainsi, le dépassement répété des seuils de concentration des polluants atmosphériques suffit à caractériser la faute de l’Etat. Cette solution, qui semble a priori favorable aux justiciables, s’explique par une jurisprudence récente du Conseil d’Etat qui impose une obligation de résultat à l’Etat en matière de respect des seuils de concentration des polluants atmosphériques (Conseil d’Etat, 6e et 1e CR, 12 juil. 2017, n°394254, publié au recueil Lebon). Si la faute de l’Etat est reconnue, celle-ci ne suffit pourtant pas à justifier une violation du droit à vivre dans un environnement sain, tel que protégé par la CESDH. En effet, le tribunal relève que même « si les mesures adoptées et appliquées n’ont pas encore permis d’empêcher tout dépassement des seuils cités plus haut, il résulte de l’instruction […] que, depuis le début des années 2010, les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration régulière de la qualité de l’air dans la région lyonnaise ». Il ajoute ensuite que « dans ce contexte et compte tenu, spécialement, des risques écologiques inhérents à la vie en ville combinés, en particulier, avec la difficulté de lutter contre une pollution d’origine multifactorielle, voire diffuse, le dépassement des valeur limites constatés entre 2012 et 2016 et l’insuffisance du plan de protection de l’atmosphère relevé au cours de cette même période, ne sauraient suffire à caractériser une défaillance notoire des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de l’agglomération ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain ». Ici, le juge administratif apprécie l’atteinte au droit de vivre dans un environnement sain, tel qu’il découle des articles 2 et 8 de la CESHD, au regard du contexte dans lequel l’administration a agi et au regard des standards de jugements posés par la Cour européenne. L’on sait en effet que la Cour exige une atteinte suffisamment grave (CEDH, Guerra et autres c. Italie19 février 1998) au droit à un environnement sain (CEDH, Tătar   c. Roumanie, 27 janvier 2009) et le manquement de l’Etat à ses obligations préventives au titre de l’article 8 de la convention. Or au prix de la cohérence argumentative, le juge administratif semble ici requérir la preuve d’une véritable faute grave afin de caractériser la violation du droit de vivre dans un environnement sain. En effet, la faute de l’Etat ne pourrait être reconnue sur ce fondement qu’en cas de « défaillance notoire des pouvoirs publics » ou d’une « atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain »… . Et ce, alors même que la faute de l’Etat est reconnue sur le fondement des dispositions du code de l’environnement en raison de l’insuffisance des mesures prises dans le cadre du PPA. Le juge administratif justifie cette indulgence en s’appuyant sur les difficultés liées à la gestion de la pollution atmosphérique, à savoir « les risques écologiques inhérents à la vie en ville » et « la difficulté de lutter contre une pollution d’origine multifactorielle, voire diffuse ». Il suffit alors que les mesures eurent un quelconque effet sur la qualité de l’air pour que soit écartée la violation du droit de vivre dans un environnement sain. Cette décision peut être rapprochée du jugement du tribunal administratif de Montreuil devant lequel les requérants se prévalaient également de la violation par l’Etat des articles 2 et 8 de la CESDH. Leurs conclusions furent aussi rejetées car le juge retint que « les efforts fournis [par l’Etat] ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l’air […] », ce qui permit d’excuser les insuffisances des mesures prises par l’Etat dans le cadre de la gestion de la pollution atmosphérique en ville. Le jugement du tribunal administratif de Lyon illustre une nouvelle fois la difficulté pour les justiciables à faire reconnaître la violation par l’Etat de leur droit à vivre dans un environnement sain, et ce, même si le juge reconnaît préalablement la violation des obligations qu’il tire du code de l’environnement. Ce jugement participe ainsi à la restriction de l’utilité contentieuse d’un tel droit. Enfin, malgré la reconnaissance d’une faute de l’Etat au titre de ses obligations environnementales, le juge administratif restreint davantage la portée de sa décision en ne retenant pas sa…

Qualité de l’air : après les ZAPA, les ZCR, place aux ZFE

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Sous la pression des instances européennes, le gouvernement semble vouloir intensifier ses efforts en matière de qualité de l’air, avec la décision d’accompagner quinze collectivités territoriales dans la création de zones à faibles émissions (ZFE) d’ici deux ans. Le 8 octobre dernier, quinze collectivités territoriales affectées par des problèmes de pollution de l’air (Paris et sa Métropole du Grand Paris, l’agglomération de Grenoble, d’Aix-Marseille, du grand Lyon, Nice, Toulouse, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Reims, Rouen, Montpellier et Toulon, Fort-de-France) ont annoncé leur souhait de mettre en œuvre ces zonages sur leur territoire d’ici 2020. Cet engagement se fait avec le soutien du gouvernement, dont l’objectif est de mettre un terme, d’ici 2022, aux dépassements des normes, en particulier s’agissant des émissions de dioxyde d’azote (NO2), gaz toxique émis principalement par les véhicules diesel, et de particules fines PM10. Les ZFE ont vocation à se substituer aux dispositifs existants des zones à circulation restreinte (ZCR), eux-mêmes institués en remplacement des zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA), qui n’auront pas rencontré le succès escompté puisqu’à ce jour seuls Paris et Grenoble se sont engagés sur cette voie. Ce mécanisme fait ainsi figure d’exception à l’échelle française, alors que l’on dénombre environ 220 villes européennes ayant mis en œuvre un cadre d’actions similaire. Un dispositif souple, bientôt rendu obligatoire pour certaines agglomérations Le fonctionnement des ZFE repose sur le système aujourd’hui opérationnel des vignettes Crit’air et sa mise en œuvre se distingue par une certaine souplesse. Ainsi, les collectivités concernées sont libres de déterminer le périmètre géographique de la zone (centre-ville ou agglomération), mais également les types de véhicules concernés, les heures d’application des restrictions prévues ou encore les dérogations possibles. A titre d’exemple, à Paris, qui a déjà mis en place un plan d’actions, les voitures classées Crit’Air 4 (de type diesel, immatriculés entre 2001 et 2005) ne pourront plus circuler dans les rues à partir du mois de juillet 2019. A Lyon, la ZFE sera opérationnelle à compter du 1er janvier 2020 et n’engendrera de restrictions que pour les poids lourds et les véhicules utilitaires. La souplesse des ZFE permettra donc des actions aux ambitions variables selon les collectivités. D’après les annonces du gouvernement, les ZFE seront officiellement instituées dans le cadre de la future loi d’orientation des mobilités (dite « LOM »), dont le projet est actuellement examiné par le Conseil d’Etat. Aux termes de ce projet de loi, il est prévu que les agglomérations de plus de 100 000 habitants et celles concernées par un Plan de protection de l’atmosphère (PPA) devront mettre en œuvre un plan d’action de réduction des émissions de polluants atmosphériques, lequel devra comprendre une étude portant sur la mise en place d’une ou plusieurs ZFE. En outre, les agglomérations précitées devront obligatoirement mettre en place une ZFE avant le 31 décembre 2020 dans le cas où les normes de qualité de l’air mentionnés à l’article L. 221-1 du code de l’environnement ne sont pas respectées de manière régulière sur leur territoire. En revanche, en l’état, le projet de loi LOM ne prévoit pas de dispositions relatives au contrôle des interdictions fixées par les ZFE. Ce contrôle pourrait être effectué à l’aide de dispositifs de verbalisation automatique par lecture des plaques d’immatriculation. Le respect des obligations européennes en ligne de mire Le déploiement des ZFE vise à rattraper un certain retard français en matière de pollution de l’air, phénomène qui serait responsable d’environ 48000 morts prématurées chaque année dans l’Hexagone. Il s’agit aussi pour le gouvernement de mettre en œuvre les moyens d’action adéquats devant la pression exercée à l’encontre de la France pour son inaction en la matière. Ainsi, par un arrêt du 12 juillet 2017 (CE, 12 juillet 2017, n°394254), le Conseil d’Etat avait enjoint l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour certaines zones du territoire national, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote (NO2) et en particules fines (PM10) sous les valeurs limites fixées par la directive du 21 mai 2018 relative à la qualité de l’air (directive n°2008/50/CE du Parlement et du Conseil du 21 mai 2018). Ce plan devait être transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018. En février 2018, la France avait soumis à la Commission européenne un plan d’actions destinées à respecter ses obligations en la matière mais aucune mesure concrète n’avait été mise en œuvre. Estimant ces propositions insuffisantes, la Commission européenne a donc saisi le 17 mai dernier la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre la France, à l’instar de cinq autres Etats membres, pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote (NO2) issues de la directive du 21 mai 2018 précitée et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement. S’il s’avère efficace, le dispositif des ZDE pourrait donc permettre à la France d’échapper à une condamnation financière, aboutissement normal de la procédure en cas de manquement répété de la part d’un Etat membre à ses obligations européennes.