Eolien/Prise illégale d’intérêts : Personne ne peut contourner la prescription pas même le ministère public! (Cass12 nov.2015)

Par Aurélien Boudeweel Green law avocat Dans un arrêt en date du 12 novembre 2015 (C.cass, 12 novembre 2015, n°14-83.073), la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel ayant condamné des élus pour recel de prise illégale d’intérêts. En l’espèce, deux conseillers municipaux, poursuivis initialement du chef de prise illégale d’intérêts, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir recelé des sommes d’argent versées annuellement, correspondant au montant des locations de parcelles leur appartenant et supportant des fermes d’éoliennes dont l’installation avait reçu l’avis favorable du conseil municipal auquel ils ont participé. Les deux conseillers municipaux avaient été condamnés en première instance. En appel, la Cour confirmait le chef de recel aux motifs : « (…)les prévenus contestent que la poursuite pour recel soit possible puisqu’ils seraient déclarés coupables de l’infraction originaire et du recel ; que cependant, ils ne sont pas poursuivis pour prise illégale d’intérêt, ces faits étant atteints par la prescription alors que le recel de l’infraction est un délit continu ; qu’il n’y a donc pas de conflit de qualification ; que par ailleurs, l’ensemble des faits supportant la qualification de recel a été examiné dans le cadre de l’information puisque les prévenus ont été mis en examen pour avoir « étant investis d’un mandat électif public, pris, reçu ou conservé directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont ils avaient au moment de l’acte en tout ou partie de la charge d’assurer la surveillance ou l’administration » ; qu’il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré MM. B… et A… coupables des faits reprochés ». La cour de cassation censure l’arrêt d’appel puisque le délit de recel ne pouvait pas être poursuivi dans la mesure où le délit principal était prescrit : « alors que la prescription qui couvre le délit originaire, s’étend au recel lorsque les deux infractions procèdent des mêmes faits ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément constaté que les faits de prise illégale d’intérêts, visés dans la plainte à l’origine des poursuites, étaient atteints par la prescription ; qu’en déclarant MM. A… et B… coupables de recel des fruits de cette même infraction, elle a méconnu les textes et principes susvisés ».   Rappelons que l’article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales déclare « illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire ». Le non-respect de cette disposition entraîne l’intervention du juge répressif au visa de l’article 432-12 du Code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts. Dans les faits, le délit est constitué quand l’intéressé reçoit ou conserve, directement ou indirectement un intérêt quelconque dans l’entreprise ou l’opération concernée. De plus, il doit avoir au moment de l’acte en tout ou partie la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de l’entreprise ou de l’opération concernée. Il est de jurisprudence que le maire et les adjoints ne peuvent pas en règle générale se porter acquéreur des biens de la commune ou louer un bien communal (CE, 9 nov. 1984, Maguy Laborde Casteix : Dr. adm. 1984, comm. 503. – TA Lyon, 5 oct. 1993, Duperrat : JCP G 1994, IV, 165). Dans ce cas la délibération du conseil municipal autorisant la vente doit être annulée (CE, 25 mars 1987, Delerue : Gaz. Pal. 1988, 1, pan. dr. adm. p. 63). Il est important de relever qu’en application de l’article 8 du Code de procédure, le délit de prise illégale d’intérêts se prescrit par 3 ans. C’est exactement cette prescription que constate la Cour de cassation dans l’espèce qui lui est soumise. La haute juridiction censure le raisonnement de la Cour d’appel qui avait tenté de contourner la prescription de l’infraction de la prise illégale d’intérêts qui était acquise, en poursuivant les deux élus du chef de « recel » de prise illégale d’intérêts. En affirmant que le ou les auteurs d’une prise illégale d’intérêts ne peuvent pas être poursuivis pour recel de prise illégale d’intérêts, infraction visée par l’article 321-1 du Code pénal, la Cour de cassation met un coup d’arrêt aux comportements des juridictions du fonds qui n’hésitent pas à adapter les chefs de poursuite lorsqu’une prescription est encourue, pour obtenir la condamnation des personnes qu’ils poursuivent.

Arbres qui dépassent des propriétés : le trouble anormal de voisinage peut être reconnu mais la demande d’arrachage refusée au nom de la prescription trentenaire (CA Aix en Pce, 18 juin 2015)

Par Aurélien Boudeweel (Green Law Avocat) Dans un arrêt en date du 18 juin 2015 (C.A AIX EN PROVENCE, 18 juin 2015, n°2015/87), la Cour d’appel confirme qu’une demande d’arrachage d’arbres dépassant la hauteur maximale des arbres dans la bande des deux mètres d’une propriété voisine doit être rejetée en cas de prescription trentenaire. Mais pour autant, un trouble anormal de voisinage ouvrant droit à indemnisation est encore possible.  Rappelons que l’article 671 du Code civil dispose : « Il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations ». Notons que les dispositions de l’article 671 du Code civil peut fonder une demande tendant à obtenir la taille d’une haie ou l’arrachage d’un arbre puisque le texte ne permet les plantations qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres. Toutefois, le seul fait que des arbres et végétaux avancent sur le fonds voisin, qu’ils respectent ou non les distances légales ne peut pas suffire à caractériser un trouble de voisinage et ouvrir droit à dommages et intérêts. Il faut, pour que le trouble anormal soit reconnu, qu’il en résulte des inconvénients spécifiques, tels qu’une privation de lumière ou une réduction de la visibilité (CA Chambéry, 2e ch., 3 janv. 2006 n° 2006-299528). Si l’existence d’arbres de grande hauteur plantés à la distance légale est donc insuffisante en soi à caractériser un trouble de voisinage, tel n’est plus le cas lorsque ces arbres implantés à une faible distance d’une maison d’habitation occasionnent une gêne importante en diminuant de façon conséquente l’ensoleillement de la propriété et en entraînant des nuisances comme la chute des branches et l’accumulation importante de feuilles mortes (CA Chambéry, 2e civ., 30 août 2005  n° 2005-296675). En l’espèce, des particuliers avaient assigné leurs voisins en sollicitant la suppression d’un peuplier en raison de l’ombre qui produit. Le tribunal d’instance avait rejeté la demande d’arrachage de l’arbre au motif que la prescription trentenaire venait à s’appliquer mais avait refusé de faire droit à une demande d’indemnisation compte-tenu des désordres occasionnés par l’arbre sur leur habitation. La Cour d’appel confirme le jugement de première instance en ce qu’il constate la prescription trentenaire et relève:  « L’expert indique que le peuplier blanc de M. X est planté à 1,30 mètre environ de la limite séparant le fonds de ce dernier de celui de Mme Y, que cet arbre a une hauteur de 18 mètres environ, que son diamètre à 1 mètre de sol est de 0,60 mètre et qu’il a plus de trente ans. Compte tenu de la croissance rapide des peupliers, on peut en déduire de manière certaine que cet arbre avait atteint la hauteur de deux mètres trente ans avant l’assignation du 15 mars 2012, en sorte que M. X est fondé à invoquer la prescription trentenaire pour s’opposer à la demande de Mme Y sur le fondement de l’article 672 du code de procédure civile.  (…) Le droit, pour celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres du voisin, de contraindre celui-ci à les couper, étant imprescriptible en application de l’article 673 du code civil, M. X sera condamné à couper les branches de son peuplier avançant sur le fonds de Mme Y.  La cour possède les éléments d’appréciation suffisants pour condamner M.X à payer à Mme Y une indemnité de 2 000 euros en réparation du trouble de voisinage que lui a causé la chute des feuilles provenant des branches avançant sur son fonds.  Dans la mesure où l’expertise n’était pas nécessaire pour établir la preuve de l’existence de branches avançant sur son fonds, Mme X sera condamnée à en supporter les frais.  […] » ;   Tout en reconnaissant la prescription trentenaire opposable à la demande de suppression du peuplier, la Cour reconnaît donc l’existence d’un trouble anormal de voisinage permettant une indemnisation des requérants. Concrètement : le trouble anormal n’est pas soumis à la prescription de 30 ans, mais la demande d’arrachage fondée sur l’article 671 du code civil peut, elle, être tardive s’il s’avère que l’arbre ne respecte pas les dispositions de cet article 671 du code civil depuis plus de 30 ans. Rappelons que la théorie des troubles anormaux de voisinage est purement prétorienne. Il s’agit d’une responsabilité particulière en ce qu’elle est autonome, c’est-à-dire détachée de toute faute de la part du voisin trublion et donc du fondement des articles 1382 et suivants du Code civil(Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 : Bull. civ. 2002, I, n° 200. – Cass. 3e civ., 24 sept. 2003 : Juris-Data n° 2003-020379 ; Bull. civ. 2003, III, n° 160 ; Gaz. Pal. 24-25 mars 2004,). Il faut que la victime d’un trouble de voisinage démontre que celui-ci est « anormal » afin d’obtenir une réparation en nature ou par équivalent. Il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement (Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 : D. 1978, p. 434, note Caballero. – Cass. 2e civ., 19 mars 1997 : D. 1998, somm. p. 60, obs. Robert. – Cass. 3e civ., 27 mai 1999 : Bull. civ. 1999, II, n° 100. – Cass. 3e civ., 5 févr. 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 49 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 137, note Groutel) si tel ou tel agissement constitue ou non, en fonction des circonstances de temps et de lieu, un trouble anormal de voisinage. L’arrêt de la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE est l’occasion de rappeler aux particuliers la nécessité d’agir sans tarder s’ils veulent obtenir l’arrachage ou la taille des arbres trop hauts ou trop proches car ils se verront sinon opposer une prescription de 30 ans. Il ne leur restera alors que la voie des troubles anormaux de voisinage, qui est d’interprétation plus stricte, moins automatique que l’article 671 du code civil et qui suppose de prouver un trouble « anormal ».

Eolien: un élu participant à une délibération approuvant un périmètre ZDE n’est pas forcément coupable de prise illégale d’intérêt (TGI Laval, 18 juin 2015)

Par Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat)     Par un jugement du 18 juin 2015, le Tribunal correctionnel de LAVAL (Trib correct LAVAL , 18 juin 2015, n° parquet 12303000006: jugement correctionnel LAVAL) a relaxé un élu poursuivi pour prise illégal d’intérêt alors que ce dernier, propriétaire de parcelles dans le périmètre d’une ZDE avait participé à une délibération du Conseil municipal de sa commune, après que le Conseil général de . avait défini le périmètre de la ZDE. Il est à noter que l’élu était conseiller municipal en charge de l’urbanisme. Créées par la loi n°2000-108 du 10 février 2000, les zones de développement éolien (ZDE) permettaient aux opérateurs exploitant des éoliennes dans la zone de bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité produite prévue à l’article L314-1 du Code de l’énergie. C’est au Préfet de département qu’il incombait de définir ces zones. Notons que les ZDE qui ont fait l’objet d’un contentieux encore résiduel abondant ont été supprimées par la loi dites Brottes (Loi n°2013-312 du 15 avril 2013), pour être remplacées notamment par les Schémas Régionaux de l’Eolien (SRE). En l’espèce, un Conseil général avait coordonné en 2006 une mission de définition des zones de développements éoliens (ZDE) dans son département. Une ZDE était envisagée sur le territoire d’une commune avec l’implantation de 5 éoliennes. Le conseil municipal de ladite commune avait validé en 2008 par 22 voix contre 23, le principe de la création d’une ZDE et son périmètre préalablement défini par le conseil général. En l’occurrence, un conseiller municipal, également agriculteur et propriétaire de parcelles situées dans le périmètre retenu par le Conseil général, avait participé à la délibération du Conseil municipal validant le périmètre de la ZDE comprenant l’une de ses parcelles. Il lui était également reproché d’avoir participé à une délibération qui avait exprimé la position de la commune « en faveur » d’un opérateur éolien (bien que ce genre de délibération est purement facultative et est dépourvue de valeur légale). Rappelons que le délit de prise illégale d’intérêts, défini à l’article 432-12, alinéa 1er du Code pénal, consiste dans « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ». Le libellé de l’article 432-12 du Code pénal est très général. Il couvre non seulement les dépositaires d’une autorité publique, comme les détenteurs de l’exécutif des collectivités locales ou des établissements publics (présidents des conseils régionaux et généraux, maires, présidents d’établissements publics intercommunaux, ou les personnes auxquelles ceux-ci ont délégué une partie de leurs pouvoirs, adjoints, vice-présidents, simples élus locaux), mais aussi plus généralement toute personne investie d’un mandat électif dès lors qu’elle a une certaine mission à l’égard de l’entreprise ou de l’opération en cause, ne serait-ce que de surveillance (conseiller municipal notamment). Il est à noter que cette disposition pénale doit être mise en rapport avec l’article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales qui déclare « illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire ». Rappelons que juridiquement deux éléments doivent être réunis pour justifier l’incrimination de délit de prise illégale d’intérêts : Premier élément: avoir eu au temps de l’acte, l’administration, la surveillance, la liquidation ou le paiement de l’affaire dans laquelle l’intérêt a été pris. C’est donc davantage la fonction de l’élu que son comportement, sa motivation ou la nature de son implication dans l’affaire qui est déterminante. Il importe peu que l’acteur public n’ait pas lui-même pris de décision l’avantageant ou que ses fonctions n’impliquent pas de pouvoir décisionnel. Son intervention peut se réduire à une simple association au processus de décision, tels des pouvoirs de préparation ou de propositions de décisions prises par d’autres. Deuxième élément: avoir pris ou reçu un intérêt quelconque. La prise illégale d’intérêts suppose que l’élu ait pris, ou reçu, ou conservé quelque intérêt que ce soit dans l’opération ou l’entreprise. Là aussi, la portée exacte de la notion en cause, celle d’intérêt, n’est pas toujours facile à cerner, d’autant qu’elle doit être définie moins par référence à un certain type d’actes que par rapport à son résultat : le délit est constitué dès que le prévenu a eu un comportement inconciliable avec l’exercice de sa mission. Il y a bien sûr prise d’intérêt dès lors qu’il y a perception directe ou indirecte de bénéfices ou d’avantages matériels. En l’espèce, le Tribunal correctionnel de LAVAL refuse de reconnaître la prise illégale d’intérêt du conseiller municipal aux motifs : « Il ressort de la procédure et des débats d’audience que si Monsieur … était bien propriétaire de parcelles situées dans le périmètre de la ZDE, son intérêt personnel ne pouvait être caractérisé lors de la délibération du 3 juillet 2008, qui se limitait à entériner le périmètre de la ZDE proposée par le conseil général de … sans que l’implantation des éoliennes ne soit définie à ce stade du projet. II apparaît aussi qu’au moment de la délibération du 2 juillet 2009, rendant un avis consultatif optant pour l’opérateur E…, à laquelle Monsieur … a participé, les parcelles d’implantation des éoliennes n’étaient pas davantage définies et que ces 2 délibérations, auxquelles il lui est reproché d’avoir participé, avaient pour seul objet de valider une ZDE sur laquelle des terrains lui appartenant, parmi d’autres terrains, étaient susceptibles de recevoir des éoliennes, ce choix relevant de l’enquête publique et de l’autorité préfectorale, seule compétente pour délivrer les permis de construire. Au stade des deux premières délibérations visées par la prévention, l’intérêt personnel du prévenu, tel que défini par l’article 432-12 du Code pénal n’apparaît pas suffisamment établi pour que sa responsabilité pénale soit engagée (…) ». Le jugement du Tribunal correctionnel est intéressant puisqu’il permet de constater que l’appréciation du délit de prise illégale d’intérêt…