ANTENNE RELAIS : LE PAYSAGE DERNIER REMPART CONTRE LES ONDES ?

Par Maître Thomas RICHET (GREEN LAW AVOCATS) A l’heure de l’ultra-connexion et de l’avènement de la 5G, le gouvernement français s’attache à mettre fin aux « zones blanches » d’ici 2020. Les opérateurs de téléphonie mobile sont les partenaires privilégiés de ce développement et bénéficie, à ce titre, d’un régime juridique favorable pour implanter les pylônes de radiotéléphonie ou « antenne relais » nécessaires à la transmission des ondes. La multiplication de ces « tours de métal » suscite une vive résistance des habitants qui vivent à proximité et qui sont particulièrement inquiets pour leur cadre de vie notamment d’un point de vue sanitaire et paysager. C’est dans ce contexte anxiogène que de nombreux riverains multiplient les actions : mobilisation de la presse locale, pétitions, formation de collectifs, manifestations et pour un nombre croissant d’entre eux, recours au juge administratif en vue de contester l’autorisation d’urbanisme. Il convient d’ailleurs de rappeler que cette autorisation prend désormais la forme d’une simple décision de non-opposition à déclaration préalable en lieu et place d’un permis de construire (sur ce point voir notre article Loi ELAN et décret du 10 décembre 2018 : un nouvel assouplissement des contraintes applicables aux antennes relais). Ces décisions peuvent, à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif, faire l’objet de plusieurs griefs. En premier lieu, les risques sanitaires sont régulièrement invoqués devant le juge au travers d’une part, de la violation des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme (sécurité publique) et, d’autre part, de la méconnaissance de l’article 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution). Actuellement, le juge administratif rejette de manière constante ces moyens considérant qu’il n’existe, en l’état des connaissances scientifiques, aucun risque lié à l’exposition aux champs électromagnétiques (voir par exemple Conseil d’Etat, 30 janvier 2012, req. n° 344992). Bien que les moyens tenant à la contestation du risque sanitaire aient été « neutralisés » devant le juge administratif, le débat ne semble pas totalement arrêté d’un point de vue scientifique. Ainsi le rapport international BioInitiative réalisé en 2007 met en évidence l’existence de risques pour la santé humaine (les conclusions sont consultables ici). Dès lors, et malgré la jurisprudence actuelle, il nous semble donc tout à fait pertinent de continuer à soulever les moyens tenant à dénoncer les risques sanitaires qu’impliquent les antennes relais. En deuxième lieu, les riverains des projets de pylônes de radiotéléphonie peuvent également contester la légalité de la décision de non-opposition à déclaration préalable au regard du document d’urbanisme en vigueur qui sera, le plus souvent, un Plan Local d’Urbanisme (PLU). Le projet d’antenne relais doit en effet respecter le règlement du PLU et sa méconnaissance est susceptible d’être sanctionnée par le juge administratif. Cependant, là encore, ce moyen jouit d’une efficacité relative dès lors que les antennes sont qualifiables de « constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics » et peuvent ainsi déroger à certaines règles du règlement précité (exemples : hauteur des constructions, implantation au sein d’une zone « naturelle » ou encore « agricole », etc.). Le moyen s’il reste pertinent nécessitera en tout état de cause une instruction approfondie du PLU et du dossier de déclaration préalable de l’opérateur de téléphonie mobile. En troisième et dernier lieu, le moyen qui nous semble être le plus à même d’emporter l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable concerne la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, à savoir l’atteinte « au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Il apparaît en effet incontestable que ces installations, qui peuvent atteindre une quarantaine de mètres de hauteur et qui prennent la forme d’une structure métallique dite en « treillis » ou d’un monotube, sont particulièrement disgracieuses et peuvent donc porter atteinte à la beauté des paysages locaux. Saisi d’un tel moyen le juge procèdera en deux temps : il appréciera d’abord la qualité paysagère du site puis l’impact qui lui est porté par le projet de construction. Ce moyen a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment, en vue d’obtenir la suspension de la construction dans le cadre d’un référé suspension formé sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (voir par exemple, Tribunal administratif de Lille, ord. du 11 février 2019, req. n° 1900166, jurisprudence cabinet). Une récente décision a également attiré notre attention : par une ordonnance du 3 octobre 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de suspension formulée par un opérateur de téléphonie contre une décision d’opposition à déclaration préalable en considérant que : « La commune fait valoir que le terrain d’assiette du projet, bien que séparé par plusieurs parcelles du marais d’Olonne dont certaines sont bâties, se situe, d’une part, dans une zone de co-visibilité majeure, identifiée par le schéma de cohérence territoriale et qualifiée de « très sensible aux évolutions de plantations et construction, infrastructures et clôtures » et, d’autre part, au sein d’un corridor écologique où les équipements d’intérêt général ne peuvent être implantés que sous réserve de l’impossibilité de les implanter en d’autres lieux. (…) En conséquence les moyens tirés de ce que le projet litigieux ne méconnaîtraient pas l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (…) ne sont pas de propres, en l’état de l’instruction à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ». (Tribunal administratif de Nantes, ord. du 3 octobre 2019, req. n° 1909388). Pour conclure, même si les moyens tirés du risque sanitaire et de la méconnaissance du PLU restent pertinents, le moyen tiré de l’atteinte portée au paysage semble être, en l’état de la jurisprudence, le plus efficace pour obtenir l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable. Précisons encore que certains PLU peuvent prévoir au sein de leur règlement des dispositions en vue de limiter l’impact paysager des antennes et qu’il conviendra alors d’invoquer ces dispositions en lieu et place de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme.