Instauration d’une zone spéciale de carrières de galets de silex à Cayeux-sur-Mer

Par Thomas Richet Elève avocat (Green Law avocats) Par le décret n°2017-128 en date du 2 février 2017 le Premier ministre a institué une zone spéciale de carrières (ZSC) de galets de silex dite « zone spéciale de carrières de Cayeux-sur-Mer ». Concrètement, une telle zone permet de favoriser la recherche et l’accès, dans certaines zones géographiques, de substances qui relèvent du régime des carrières. Pour autant, la ZSC ne leur octroie pas le statut de « mines ». La ZSC de Cayeux-sur-Mer (commune de la Somme) comporte deux périmètres d’une superficie d’environ 1 934 hectares et 1 594 hectares. Cette zone s’étend sur le territoire des communes de Brutelles, de Cayeux-sur-Mer, de Lanchères et de Pensé dans le département de la Somme. L’institution de cette zone, qui demeure somme toute assez rare sur le territoire même si elle n’est pas exceptionnelle (cf. ici pour une lite),  mérite que l’on revienne sur son régime. Une ZSC nécessite des conditions pour pouvoir être instaurée. L’institution d’une ZSC ouvre la possibilité pour les exploitants de solliciter la délivrance de diverses autorisations. Les conditions d’instauration d’une zone spéciale de carrières : Aux termes de l’article L. 321-1 du code minier, une zone spéciale de carrières peut être instituée par décret en Conseil d’Etat  « lorsque la mise en valeur des gîtes d’une substance relevant du régime des carrières ne peut, en raison de l’insuffisance des ressources connues et accessibles de cette substance, atteindre ou maintenir le développement nécessaire pour satisfaire les besoins des consommateurs, l’intérêt économique national ou régional ». La procédure d’instauration d’une ZSC nécessite un certain nombre de conditions. Au titre des conditions de fond, l’instauration d’une ZSC nécessite un besoin en ressources de la part des consommateurs ou un intérêt économique qu’il soit national ou régional. En l’espèce, il ressort d’un document de la commission départementale de la nature des sites et des paysages (CDNPS) de la Somme en date du 2 juillet 2015 que les galets de silex de Cayeux-sur-Mer « présentent des particularités physico-chimiques exceptionnelles dues notamment à leur très grande pureté en silice ». Ces caractéristiques permettront, notamment, d’alimenter les industries céramiques et de broyage de minéraux. Au titre des conditions de procédure, l’instauration d’une ZSC nécessite : Une évaluation de l’impact sur l’environnement des activités envisagées ; La consultation de la ou des commissions départementales compétentes en matière de carrières ; L’accomplissement d’une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement. Dans un arrêt en date du 23 mars 1998 (requête n°145556), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la  procédure d’instauration d’une ZSC. Dans cet arrêt, la haute juridiction administrative a précisé  « qu’aucune disposition n’exigeait que soit établi au préalable un bilan prospectif et exhaustif des ressources et des besoins en silice des industries utilisatrices tenant compte de l’évolution prévisible des techniques de recyclage et de fabrication » et « qu’aucune disposition législative ou réglementaire, ne subordonne la définition d’une zone spéciale de recherches et d’exploitation de carrières prévue à l’article 109 du code minier à l’aboutissement préalable d’autres procédures telles que celles de classement de monuments historiques ou de sites ». En l’espèce, le décret mentionne l’avis des différents conseils municipaux des communes concernées, l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites de la Somme, l’avis de la préfète de la Somme et du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies. Par ailleurs, l’enquête publique a  été réalisée entre le 20 novembre 2006 et le 20 janvier 2007 dans les communes concernées. Dans un rapport du 30 mars 2007, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable sous réserve du zonage du projet. Les conséquences de l’instauration d’une zone spéciale de carrières : L’institution d’une ZSC  a  des conséquences pour les territoires concernés. En effet, elle ouvre la possibilité pour les exploitants de solliciter la délivrance de plusieurs autorisations. Celles-ci sont de deux types : La délivrance d’autorisations de recherche au titre de l’article L. 322-1 du code minier : L’autorisation de recherche est délivrée à défaut d’une autorisation délivrée par le propriétaire du sol concerné. Elle permettra à son titulaire de bénéficier d’un certain nombre de droits prévus aux articles L. 153-3 à L.153-10 du code minier (exemple : occupation et exploitation du site). L’attribution de permis exclusifs de carrières au titre de l’article L. 333-1 du code minier : Ce permis permet à son titulaire d’exploiter les gîtes de la substance désignée dans le permis, à l’exclusion de toute autre personne, y compris les propriétaires du sol. En outre, elle permet au titulaire d’invoquer le bénéfice des articles L. 153-3 à L. 153-15 du code minier. Un tel permis ne vaut pas autorisation d’exploiter délivrée en application de la législation relative aux installations classées (ICPE) par le Préfet. Cependant, il convient de souligner que seul le titulaire du permis exclusif de carrières peut solliciter une telle autorisation. Une instruction commune à la demande de permis exclusifs de carrières et à la demande d’exploitation au titre des installations classées est possible. Le permis exclusif de carrière sera accordé suite à un arrêté conjoint entre le Ministre de l’Industrie et celui de l’Environnement, et après avis du Conseil général des mines. Le préfet quant à lui délivrera l’autorisation d’exploitation ICPE. Enfin, il convient de souligner que l’instauration d’une zone spéciale de carrières n’est pas constitutive d’une servitude d’urbanisme s’imposant aux documents d’urbanisme locaux qui pourraient s’opposer à l’ouverture de carrières dans la même zone (Conseil d’Etat 12 mars 1999, requête n° 142490). Dès lors, et dans le cas où les plans locaux s’opposeraient à la présence de projets de carrière, il convient d’assurer la mise en conformité de ces plans pour permettre la réalisation de ces projets.

Droit minier : précisions sur l’application de la loi anti-fracturation hydraulique (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de se prononcer dans un jugement du 28 janvier 2016 (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718) sur la légalité d’arrêtés d’abrogation de permis exclusif de recherches. C’est l’occasion d’aborder les grandes lignes juridiques du débat entourant la fracturation hydraulique. La fracturation hydraulique consiste à injecter sous très haute pression un fluide destiné à fissurer et micro-fissurer la roche. Cette technique est notamment utilisée en matière d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, conventionnels ou non conventionnels. Elle permet en effet de récupérer des hydrocarbures, liquides ou gazeux, dans des substrats denses où un puits classique ne suffirait pas. Le fluide utilisé lors de la fracturation hydraulique est en général de l’eau à laquelle sont ajoutés, d’une part, des matériaux solides poreux (sable…) afin que les fissures et micro-fissures ne se referment pas à l’issue du processus et, d’autre part, des additifs chimiques afin de gérer la viscosité du mélange. La technique de la fracturation hydraulique a soulevé une opposition importante de la population en 2011 lors de débats sur l’opportunité de rechercher et d’exploiter des hydrocarbures non conventionnels tels que les gaz de schiste sur le territoire français. En effet, à l’époque, cette technique, associée à un forage horizontale, était la seule permettant de rechercher et d’exploiter le gaz de schiste Cette opposition de la population a conduit à l’adoption de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique. Cette loi repose sur l’application du principe de prévention. Elle a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2013, décision n° 2013-346 QPC, analysée sur le blog du cabinet ici). L’article 1er de cette loi dispose : « En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. » [souligné par nos soins] Son article 3 précise en outre que : « I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés. III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. » [souligné par nos soins] Les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux devaient donc rendre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherche. Si les titulaires des permis ne remettaient pas le rapport ou si celui-ci mentionnait le recours effectif ou éventuel à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusif de recherches concernés étaient abrogés. Les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France détenaient un permis exclusif de recherches dit « Permis de Montélimar » Elles ont déposé un rapport le 12 septembre 2011 dans lequel, d’une part, elles s’engageaient à ne pas mettre en œuvre la technique de la fracturation hydraulique et où, d’autre part, elles précisaient désirer poursuivre les explorations soit au moyen de techniques existantes et autorisées, soit au moyen d’autres techniques encore en cours de développement. Toutefois, un arrêté interministériel du 12 octobre 2011 portant publication de la liste des permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux abrogés en application de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 a constaté l’abrogation du permis de Montélimar. Le directeur de l’énergie a ensuite adressé le 12 octobre 2011 des lettres informant les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France de cette abrogation. Les deux sociétés ont donc introduit un recours en excès de pouvoir contre l’arrêté du 12 octobre 2011 en tant qu’il constate l’abrogation du « Permis de Montélimar » et contre les lettres du directeur de l’énergie du 12 octobre 2011 les informant de l’abrogation de ce permis. La question posée au tribunal administratif de Cergy Pontoise était donc de savoir si le fait qu’un rapport affirme l’absence d’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre d’un permis exclusif de recherches sans préciser expressément quelles techniques seront mises en œuvre permettait de prononcer l’abrogation dudit permis. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé dans la décision du 28 janvier 2016 présentement commentée (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718). Il s’est, dans un premier temps, prononcé sur la recevabilité du recours des requérantes (I). Puis, il s’est prononcé sur l’abrogation du permis de Montélimar (II). Sur la recevabilité du recours en excès de pouvoir Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devait, en premier lieu, se prononcer sur la recevabilité du recours des sociétés requérantes et sur le caractère décisoire des actes contestés. Il convient de rappeler que l’article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (…) ». À cet égard, ne constituent pas des décisions au sens de…