Urbanisme / Montagne : la servitude parfois imposée  sur les chalets d’alpage et sur les bâtiments d’estive est-elle constitutionnelle ?

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)   Un arrêt récent du Conseil d’Etat vient d’apporter d’intéressantes précisions au sujet de la constitutionnalité des règles légales donnant le pouvoir au Maire, en zone de montagne, d’imposer des servitudes interdisant l’utilisation de chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive en période hivernale ou limitant leur usage pour tenir compte de l’absence de réseaux (Conseil d’Etat, 10 février 2016, n°394839). Il vient en effet de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) relative à la conformité à plusieurs principes constitutionnels de cette servitude. Devant le Conseil d’Etat, il était soutenu que les dispositions précitées de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme méconnaissaient « la liberté d’aller et venir, le principe d’égalité devant les charges publiques, ainsi que, par l’incompétence négative dont elles seraient entachées, le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au motif qu’elles prévoient la possibilité pour l’autorité compétente d’instituer une ” servitude administrative ” sur certains bâtiments durant la période hivernale sans prévoir aucune information préalable ni aucune procédure contradictoire permettant d’écarter tout risque d’arbitraire dans la détermination des propriétés concernées et sans instituer aucune indemnisation des propriétaires ». (Conseil d’Etat, 10 février 2016, n°394839). Le Conseil d’Etat a estimé que « le moyen tiré de ce qu’il méconnaîtrait les droits et libertés garantis par la Constitution, notamment, par l’incompétence négative dont il serait entaché, le droit de propriété garanti en particulier par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux » et a transmis la question au Conseil constitutionnel. En zone de montagne, il existe des principes d’aménagement et de protection particuliers. Ces principes résultent notamment de l’application des dispositions de l’ancien article L. 145-3 du code de l’urbanisme, désormais codifiées à l’article L. 122-10 du code de l’urbanisme, qui exigent la préservation des « terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières ». Certaines activités sont toutefois autorisées en zone de montagne telles que les constructions nécessaires aux activités agricoles, pastorales et forestières ou les équipements sportifs liés notamment à la pratique du ski et de la randonnée (ancien article L. 145-3 du code de l’urbanisme désormais codifié à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme). De même, sont admises la restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive, ainsi que les extensions limitées de chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive existants lorsque la destination est liée à une activité professionnelle saisonnière (ancien article L. 145-3 du code de l’urbanisme désormais codifié à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme). Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, désormais codifiées à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme, précisent que : « Lorsque des chalets d’alpage ou des bâtiments d’estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu’ils sont desservis par des voies qui ne sont pas utilisables en période hivernale, l’autorité compétente peut subordonner la réalisation des travaux faisant l’objet d’un permis de construire ou d’une déclaration de travaux à l’institution d’une servitude administrative, publiée au fichier immobilier, interdisant l’utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l’absence de réseaux. Cette servitude précise que la commune est libérée de l’obligation d’assurer la desserte du bâtiment par les réseaux et équipements publics. Lorsque le terrain n’est pas desservi par une voie carrossable, la servitude rappelle l’interdiction de circulation des véhicules à moteur édictée par l’article L. 362-1 du code de l’environnement. » Cet alinéa vise à prévenir les difficultés liées à l’absence de réseaux et d’équipements publics lorsque les constructions sont destinées à être utilisées de façon temporaire. Il prévoit une dérogation permettant aux personnes ayant déposées une demande de permis de construire ou une déclaration de travaux concernant des chalets d’alpage ou des bâtiments d’estive de réaliser les travaux sans disposer des équipements et réseaux requis. Pour permettre ces constructions, l’autorité compétente peut instituer une servitude tendant à ne pas utiliser les constructions en période hivernale ou à limiter leur usage. De plus, cette servitude  libère la commune de l’obligation d’assurer la desserte du bâtiment par les réseaux et équipements publics. La servitude rappelle enfin l’interdiction de circulation des véhicules à moteur en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l’Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur. Cette servitude, de nature réglementaire, constitue une décision distincte de l’autorisation individuelle de construire. Par suite, son entrée en vigueur dépend, non de la notification et de l’affichage spécifique de l’autorisation de construire mais de son inscription au fichier immobilier et, comme toute décision réglementaire, de sa publication. (CAA Lyon, 19 mai 2011, n° 09LY01441). Très contraignante pour les personnes souhaitant réaliser des travaux faisant l’objet d’un permis de construire ou d’une déclaration de travaux, elle soulève un certain nombre de difficultés (I) qui permettent de s’interroger sur sa constitutionnalité (II). Les difficultés liées à l’institution de cette servitude En premier lieu, cette servitude, une fois publiée, reste en vigueur même si d’autres autorisations d’urbanisme sont délivrées sur le même bâtiment. Elle peut toutefois être amenée à évoluer si les conditions de desserte du chalet ou du bâtiment d’estive évoluent.  (CAA Lyon, 19 mai 2011, n° 09LY01441). Attachée au bien, cette servitude est durable, ce qui présente un premier inconvénient pour les personnes tenues de la respecter. En deuxième lieu, l’institution de la servitude est bien moins contrôlée lors de son édiction que la restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage ou d’estive. Il convient à cet égard de préciser que la restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive, ainsi que les extensions limitées de chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive existants lorsque la destination est liée à une activité professionnelle saisonnière est autorisée par arrêté préfectoral, après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et…

L’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété

La question prioritaire de constitutionnalité   Le Conseil d’Etat avait, par décision en date du 17 octobre 2011 (CE, ss section 6 et 1, 17 oct.2011, n°351010 : Juris-Data n°2011-022780), jugé que le moyen tiré de ce que le régime de l’inscription au titre des monuments historiques  tel que défini par les articles L. 621-25 et suivants du Code du patrimoine porterait atteinte  aux droits et libertés garantis par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment en son article 2, présentait un caractère sérieux.    En conséquence, il avait soumis la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant, au soutien de sa demande en annulation d’un arrêt préfectoral portant inscription au titre des monuments historiques d’un certain nombre d’éléments de l’ensemble immobilier dont il est propriétaire, au Conseil constitutionnel.    Celui-ci vient de se prononcer sur l’interrogation posée aux termes d’une décision du 16 décembre 2011 (Décision n°2011-207 du 16 décembre 2011, publiée au JO du 17 décembre 2011).    Le requérant soulevait notamment l’inconstitutionnalité du dispositif d’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques eu égard aux articles 2 et 17 de la DDHC, en raison de l’atteinte à la propriété que celui-ci constitue et de l’absence de garanties suffisantes pour le propriétaire, tant au niveau financier que s’agissant de la possibilité de formuler des observations relatives à la décision de classement.    Le Conseil constitutionnel écarte l’ensemble des arguments avancés et déclare les articles L. 621-5, L. 621-27, al 1 et 2 et L. 621-29 du Code du patrimoine conformes à la Constitution.  Aucune privation mais une atteinte au droit de propriété   A ce titre, il juge que l’article 17 de la DDHC disposant « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ne trouve pas à s’appliquer, l’inscription au titre des monuments historiques n’entraînant aucune privation du droit de propriété.    Le Conseil constitutionnel précise néanmoins que même en l’absence de privation du droit de propriété, l’article 2 de la DDHC exige néanmoins que les limites apportées à l’exercice de ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.    Il reconnaît donc l’atteinte au droit de propriété générée par une décision d’inscription au titre des monuments historiques, ce qui ne fut pas toujours acquis par le Conseil d’Etat.    En effet, la Haute Juridiction administrative avait, dans un premier temps, considéré que l’inscription ne portait pas atteinte au droit de propriété (CE, 30 juillet 1997, consorts Habrekorn : Rec. CE, 97, p. 945) avant de retenir par la suite à une position plus acceptable, considérant que la décision d’inscription avait pour effet, en elle-même, de limiter l’exercice du droit de propriété (CE, 8 juillet 2009, n°308778, Valette et a : Juris-Data n°2009-005315).  Un motif d’intérêt général, une atteinte proportionnée et pas de rupture d’égalité   Comme toujours en présence d’une atteinte à un droit garanti, le Conseil constitutionnel s’attache à vérifier que celle-ci est gouvernée par un motif d’intérêt général, qu’elle apparaît proportionnée au but recherché et qu’elle n’entraîne aucune rupture d’égalité devant les charges publiques.    Or, il considère que l’inscription au titre des monuments historiques intervient en raison de la nécessaire préservation d’un patrimoine historique et artistique qui correspond bien à un motif d’intérêt général.    Par ailleurs, et s’agissant de l’argument avancé tenant à l’insuffisance de garanties pour le propriétaire, en raison de son absence d’information préalable et de son impossibilité à présenter des observations durant la procédure d’inscription, le Conseil constitutionnel relève que la décision de l’autorité administrative peut être contrôlée par le juge de l’excès de pouvoir.    Il souligne également que :  – pour les travaux qui nécessitent une autorisation ou déclaration préalable, la décision d’urbanisme ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques ;  – les travaux, ne relevant pas d’une autorisation ou déclaration préalable en matière d’urbanisme, qui entraînent une modification de l’immeuble inscrit sont simplement soumis à une déclaration préalable 4 mois avant leur réalisation ;  – en cas d’opposition de l’autorité administrative, celle-ci ne peut que diligenter une procédure de classement au titre des monuments historiques ;  – aucun travaux ne peut être imposé par l’administration au propriétaire du bien inscrit ;   – les travaux d’entretien et de réparation ordinaires ne nécessitent aucune formalité ;  – le propriétaire conserve toute latitude pour faire réaliser les travaux par toute entreprise de son choix, sous la seule réserve du respect des prescriptions administratives ;  – le propriétaire peut bénéficier d’une subvention de l’Etat pour le financement des travaux envisagés.    Au vu de ces différents éléments, le Conseil constitutionnel juge donc « que les dispositions contestées ne portent pas aux conditions d’exercice du droit de propriété une atteinte disproportionnée au but recherché ; que cette atteinte ne méconnaît pas l’article 2 de la Déclaration de 1786 ; que ces dispositions ne créent aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».  Une décision attendue   Cette décision ne surprend guère tant en ce qui concerne sa motivation que sur le principe.    En effet, on considère traditionnellement qu’en raison de l’atteinte limitée de l’inscription au titre des monuments historiques sur le droit de propriété, celle-ci n’est pas susceptible d’indemnisation, contrairement au classement au titre des monuments historiques qui entraîne, quant à lui, des conséquences beaucoup plus importantes en termes de droit à la propriété.    Il n’en reste pas moins que cette solution de principe ne doit pas effacer les nombreuses décisions d’inscription au titre des monuments historiques qui peuvent avoir des effets particulièrement préjudiciables pour les propriétaires.    L’échappatoire : le protocole n°1 de la CEDH    Dans ces hypothèses, il conviendra alors de fonder la demande d’annulation de l’arrêté d’inscription sur la violation notamment de l’article 1 du protocole n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme…