Participation effective à l’évaluation environnementale

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Il est parfois des décisions qui ne retiennent pas immédiatement l’attention… C’est bien le cas de l’un arrêt en date du 7 novembre 2019 rendu sur un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) qui voit la Cour préciser que la participation non-effective du public à l’évaluation environnementale fait échec à l’opposabilité du délai valant forclusion des recours engagés contre la décision autorisant le projet. En l’espèce, il était question d’un projet de création d’un complexe touristique sur une parcelle d’une surface d’environ 27 ha sur l’île d’Ilos (archipel des Cyclades, Grèce) qui s’étend elle-même sur une surface d’environ 100 km². Conformément à la législation grecque, un appel à participer à la procédure d’évaluation des incidences environnementales de ce projet a été publié dans le journal local de l’île de Syros  (archipel des Cyclades, Grèce) ainsi que dans les bureaux de l’administration de la région Égée méridionale de la même île. Un an après, une décision des ministres de l’Environnement et de l’Energie et du Tourisme est venue approuver les exigences environnementales portant sur le projet. Mécontents de l’implantation d’un projet d’une telle envergure, plusieurs propriétaires de biens immobiliers sur l’île d’Ilos ont formé un recours contre cette décision plus de 18 mois après son adoption en justifiant n’avoir pu prendre connaissance de cette dernière qu’au début des travaux d’aménagement du site. Ce contentieux a été l’occasion pour l’équivalent grec du Conseil d’Etat de renvoyer à la CJUE deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 6 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, dite directive EIE. L’article 6 de cette directive prévoit que les informations relatives au projet soumis à évaluation environnementale doivent être transmises au public à un stade précoce des procédures décisionnelles en la matière par des moyens de communication appropriés. Quant à l’article 11, il évoque notamment le fait que les Etats membres doivent déterminer à quel stade les décisions peuvent être contestées. En ce qui concerne le droit hellénique, les dispositions nationales prévoient que le processus préalable à l’approbation des conditions environnementales se déroule au niveau de la région et non pas de la municipalité  concernée, et que la publication sur Internet de l’approbation d’un projet fait courir le délai pour introduire un recours en annulation ou tout autre voie de droit. Ce délai est de 60 jours. Partant, la juridiction de renvoi a souhaité savoir si les dispositions de la directive EIE s’opposent à ces modalités de participation du public. En réponse à la première question, la Cour rappelle que l’article 6 de la directive EIE réserve expressément aux États membres le soin de déterminer les modalités précises, tant de l’information du public concerné, que de sa consultation du public. Cependant, la Cour émet plusieurs réserves s’agissant de la procédure en cause. D’abord, elle souligne que les autorités doivent s’assurer que les canaux d’information utilisés soient propres à atteindre les citoyens concernés afin de leur permettre de connaître les activités projetées, le processus décisionnel et leurs possibilités de participer en amont de la procédure. En l’espèce, les juges considèrent qu’un affichage dans les locaux du siège administratif régional, situé sur l’île de Syros, soit à une distance de 55 milles marins de l’île d’Ilos, bien qu’assorti d’une publication dans un journal local de cette première île, ne semble pas contribuer de façon adéquate à l’information du public concerné. Enfin, le dossier contenant les informations relatives au projet doit être mis à disposition du public de manière effective, c’est-à-dire dans des conditions aisées qui rendent possible l’exercice de leurs droits. Elle indique donc qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si de telles exigences ont été respectées en tenant compte notamment de l’effort que le public concerné doit fournir pour avoir accès au dossier ainsi que de l’existence d’une « charge administrative disproportionnée » pour l’autorité compétente. En l’espèce, la Cour relève que la liaison entre Ilos et Syros n’est pas quotidienne, dure plusieurs heures et n’est pas d’un coût négligeable. Au regard de ces éléments, les juges considèrent que l’article 6 de la directive EIE « s’oppose à ce qu’un État membre conduise les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu d’implantation de ce projet, lorsque les modalités concrètes mises en œuvre n’assurent pas un respect effectif de ses droits par le public concerné, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier ». La seconde question découle de la première et conduit la Cour à juger que quand le public n’est pas mis à même de participer de manière effective à l’évaluation environnementale d’un projet, il ne peut se voir opposer un délai de recours contre la décision l’autorisant. On imagine un peu ce que cette affirmation de principe peut impliquer pour les audits bancaires et pré-contentieux des projets exposés à un tel risque… la purge constatée du délai de recours devra être doublée une analyse très serrée des formalités d’information du public afférentes à l’évaluation environnementale. Dans un premier temps, elle rappelle qu’il appartient aux Etats membres de fixer les délais de forclusion des recours. A cet égard, elle admet que les délais de recours ne commencent à courir qu’à partir de la date à laquelle la personne concernée a pris connaissance de la décision. En revanche, ce délai ne saurait s’appliquer si le comportement des autorités nationales a eu pour conséquence de priver totalement la personne de la possibilité de faire valoir ses droits devant les juridictions nationales. Tel est le cas en l’espèce. En effet, en l’absence d’information suffisante sur le lancement de la procédure de participation du public il ne peut être reproché à ce dernier de ne pas s’être informé de la publication de la décision d’autorisation sur le site Internet de l’administration. Dès…

L’INDEPENDANCE DE L’AUTORITE ENVIRONNEMENTALE SE DECRETE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr En réponse à l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 (CE, 6 décembre 2017, n° 400559) le Gouvernement a soumis un projet de décret à consultation publique du 6 au 28 juillet 2018 : cf. Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement, de la sécurité sociale et de l’urbanisme. En effet, tel qu’évoqué dans un précédent article (L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !), par cet arrêt le Conseil d’Etat a annulé le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il désignait, à l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, le préfet de région à la fois comme autorité instructrice ou décisionnaire et autorité environnementale pour les projets mentionnés à l’article L. 122-1 du même code. La Haute juridiction a rappelé à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre aff. C-474/10) qu’« il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle ». Au regard de ces dispositions le Conseil d’Etat a validé, en matière de plans et programmes, la qualification d’autorité environnementale des Missions Régionales de l’Autorité environnementale (MRAe) en ce qu’elles respectent cette « séparation fonctionnelle » avec l’autorité à l’origine de l’élaboration de ces documents. L’indépendance étant le mot-clé de cette procédure, l’enjeu réside dans l’organisation de l’autorité environnementale des projets qui doit répondre aux exigences européennes. Ainsi, le Gouvernement n’a pas seulement suivi les exigences rappelées par le Conseil d’Etat, mais a tout simplement de nouveau désigné les MRAe comme compétentes en matière d’avis environnementale non plus seulement pour les plans et programmes, mais également pour les projets. Ce projet de décret qui qualifie les MRAe d’autorité environnementale des projets s’explique pour deux raisons selon le Gouvernement. D’une part, le Conseil d’Etat a déjà jugé conforme la qualification de ces dernières comme autorité environnementale en matière de plans et programmes, ce qui permet de répondre à cette exigence d’autonomie. Or pour exercer cette compétence, chaque mission régionale bénéficiera, comme pour les plans et programmes, de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale.  D’autre part, la nécessité d’une sécurité juridique car depuis cet arrêt la MARe a validé un certain nombre de projets. Pour autant, cette solution semble loin d’être idéale. Premièrement, les décisions de cas par cas demeurent du ressort du préfet de région (cf. C.env. art. L. 122-1, IV., modifié par le projet de décret), ce qui revient à admettre que ce dernier peut dispenser d’étude d’impact un projet dont il délivrera l’autorisation… Ainsi, l’instauration de l’examen au cas par cas relance le débat sur l’indépendance de l’autorité environnementale vis-à-vis de l’autorité décisionnelle car finalement l’avis de la MRAe ne dépend plus que de la décision du préfet de région pour ces projets. Ensuite la question de la régularisation des avis émis par l’autorité environnementale reste en suspens particulièrement dans le cas où le contentieux est pendant alors que la critique de l’indépendance ne résulte pas d’un arrêté d’évocation qui serait caduc. Le décret n’en confirme pas moins l’indépendance de la Mrae et cela devrait inspirer le juge administrateur… (Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?). Troisièmement, l’Autorité environnementale (Ae) a émis un avis le 11 juillet 2018 en invoquant les difficultés fonctionnelles et le manque de moyens associés à l’exercice de sa fonction. En effet, l’Ae remet en cause la sécurité juridique tant recherchée par le Gouvernement en désignant les MRAe comme autorité environnementale des projets, car ce projet de décret présenté comme simplificateur des procédures d’autorisation s’avère au contraire « complexe, voire illisible ». Le décret désigne quatre autorités environnementales (le Ministre, l’Ae, les MRAe et le préfet de région) chacune compétente selon le stade d’avancement du dossier déposé par le maître d’ouvrage, et qui selon elle ne fait que complexifier la procédure. L’Ae relève notamment l’absence de garanties sur les ressources nécessaires au bon fonctionnement de cette autorité, car si le projet de décret se veut tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017, l’autorité environnementale doit disposer « d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ». Or, l’Ae relève d’ores et déjà que ce manque de moyens aura un impact considérable sur son fonctionnement. L’insuffisance des ressources nécessaires pose la question de la qualité des avis de l’autorité environnementale notamment pour les projets importants en termes d’impacts sur l’environnement. Ainsi, selon l’Ae le projet de décret présenté en juillet ne permet pas de garantir l’indépendance de l’autorité environnementale des projets. L’indépendance est, a priori, loin d’être décrétée pour l’autorité environnementale à la française qui semble lestée de pesanteurs administratives