Le principe de participation : vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas ! (CE, 7 mars 2014, n°374288)

Il faut s’arrêter un instant sur les causes de cet engouement du justiciable pour invoquer (et les juges de sanctionner) le principe de participation, désormais constitutionnalisé à l’article 7 de la charte de l’environnement. Rappelons qu’aux termes de cette disposition :  « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » Le dernier exemple en date de cette invocation avec succès de l’article 7 nous est donné par un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 7 mars 2014, n°374288) qui menace le schéma régional éolien d’Ile-de-France et plus généralement tous les SRE, issus de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement à la suite d’une QPC posée par la FNE. Sur renvoi du Tribunal administratif de Paris, le Conseil d’Etat accepte de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution et plus précisément à l’article 7 de la Charte de l’environnement des dispositions des articles L. 222-1 à L. 222-3 du code de l’environnement. Pour le Conseil d’Etat, constitue un moyen sérieux celui qui consiste à soutenir que, « faute de prévoir des modalités suffisantes d’information et de participation du public lors de l’élaboration des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie et des schémas régionaux de l’éolien qui y sont annexés, les dispositions des articles L. 222-1 à L. 222-3 du code de l’environnement méconnaissent le droit de toute personne ” de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement “, énoncé à l’article 7 de Charte de l’environnement ». Certes en disposant que le projet de schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie est “mis pendant une durée minimale d’un mois à la disposition du public sous des formes, notamment électroniques, de nature à permettre sa participation”,  l’article L. 222-2 du même code ne semble pas respecter le standard de la participation tel qu’on le conçoit rue de Montpensier (Cons. const., déc., 14 oct. 2011, n° 2011-183/184 QPC ; Cons. const., déc., 13 juill. 2012, n° 2012-262 QPC ; Cons. const., déc., 27 juill. 2012, n° 2012-269 QPC ; Cons. const., déc., 27 juill. 2012, n° 2012-270 QPC ; Cons. const., déc., 23 nov. 2012, n° 2012-282 QPC ; Cons. const., déc., 23 nov. 2012, n° 2012-283 QPC). En effet, pour le Conseil constitutionnel, la portée du droit de participer à la prise de décision environnementale implique non seulement une mise à disposition du public du projet ayant une incidence sur l’environnement, mais aussi a possibilité de faire valoir ses observations à son endroit. C’est du moins ce que l’on peut déduire de l’abrogation (différée) prononcée par le Conseil constitutionnel à l’encontre de la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 512-5 du code de l’environnement qui ne prévoyait qu’une publication, éventuellement par voie électronique, des projets de prescriptions ministérielles en matière d’ICPE (Cons. const., déc., 13 juill. 2012, n° 2012-262 QPC).   Ainsi l’abrogation immédiate ou diférée s’impose, sauf à ce que le juge constitutionnel considère que les SRE ne constituent pas des décisions ayant une incidence significative sur l’environnement (comme il l’a jugé à propos des certains travaux de recherches engagés au titre du code minier de la Nouvelle-Calédonie : Cons. const., déc., 26 avr. 2013, n° 2013-308 QPC ou à propos des délimitations du domaine public maritime naturel : Cons. const., déc., 24 mai 2013, n° 2013-316 QPC). Et le renvoi opéré par le Conseil d’Etat est d’autant plus logique que le régime partiel et spécifique organisé par la loi Grenelle pour le SRE interdit de se considérer en présence d’un silence total du législateur permettant  l’application du régime supplétif imaginé par le législateur (sur cette impossibilité cf. : Cons. const., déc., 13 juill. 2012, n° 2012-262 QPC). D’ailleurs ce régime supplétif  (cf. L. n° 2012-1460, 27 déc. 2012, art. 11 : JO, 28 déc. et Ord. n° 2013-714, 5 août 2013, art. 8 : JO, 6 août  institué donc par ordonnance, ce qui au nom d’une efficacité technique nous fait oublier une fois de plus que la loi devrait ici faire office de garantie…) pour couvrir les décisions réglementaires, d’espèces et individuelles imagine des régimes spécifiques ainsi différenciés et à géométrie variable (pour les communes de moins de 10 000 habitants et leurs groupements de moins de 30 000 habitants). A l’heure de la simplification et surtout de la suppression de la myriade de régimes des enquêtes publiques cela fait un peu usine à gaz ! Gageons que le marché des avocats spécialistes et des bureaux d’étude ne s’en portera que mieux et que ces professionnels sauront diffuser cette technologie juridique renouvelée. Mais l’environnementaliste a surtout le sentiment d’être piégé par ce qui participe d’une constitutionnalisation des enjeux écologiques purement formelle et pilotée par les juges. Leurs décisions donnent à voir un Etat de droit qu’ils prétendent compléter mais de façon purement procédurale et en se gardant bien d’arbitrer au fond les vrais débats constitutionnels que suscitent à notre stade de développement les enjeux sanitaires et environnementaux. Ainsi l’article 1er de la charte de l’environnement (droit à un environnement sain) ou encore l’article 6 (objectif de développement durable) du même texte voient leur portée normative totalement neutralisée  par le Conseil constitutionnel qui s’abrite derrière le pouvoir discrétionnaire du législateur (par ex. sur l’article 6 s’agissant des impacts de choix énergétiques : Décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013 ; par ex. sur l’article 1er et s’agissant du cadre de vie cf. Décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012) pour s’auto-limiter et en fait perpétuer les partis économiques et sociaux du siècle dernier. Les Sages feignent de croire à la fiction selon laquelle leur pouvoir d’interprétation serait neutre alors qu’ils participent plus ou moins consciemment et par abstention au statuquo. Mais il y a un autre effet induit de cette évolution : l’application jurisprudentielle du principe de participation constitutionnalisé rend d’autant plus opposable les choix opérés que le public aura été mis à même de les discuter. Dans ce nouveau contexte, on mesure alors  combien…

Mise en conformité du code de l’environnement avec le principe de participation : le projet de loi adopté au Sénat

Dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré, au cours de ces deux dernières années, plusieurs dispositions législatives du code de l’environnement non conformes à l’article 7 de la Charte de l’environnement, lequel prévoit notamment, le droit de participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Ces décisions sont les suivantes : –        Décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 déclarant non conforme à la Constitution  le second alinéa de l’article L. 511-2 du code de l’environnement et le paragraphe III de l’article L. 512-7 du même code (dispositions relatives aux projets de nomenclature et de prescriptions générales relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement) ; –        Décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 déclarant non conforme à la Constitution le premier alinéa de l’article L. 512-5 du code de l’environnement (disposition relative aux projets de règles et prescriptions techniques applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation) ; –        Décision n°2012-269 QPC du 27 juillet 2012 déclarant non conforme à la Constitution le 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement (disposition relative à la dérogation aux mesures de préservation du patrimoine biologique) ; –        Décision n°2012-270 QPC du 27 juillet 2012 déclarant non conforme à la Constitution le 5° du II de l’article L. 211-3 du code de l’environnement (disposition relative à la délimitation des zones de protection d’aires d’alimentation des captages d’eau potable).   Pour donner un effet utile à ses décisions et laisser le temps au législateur de procéder aux rectifications nécessaires, le Conseil constitutionnel a fixé une prise d’effet différée des déclarations d’inconstitutionnalité : au 1er  janvier 2013 pour les décisions n° 2011-183/184 QPC, n° 2012-262 QPC, n°2012-270 QPC et au 1er septembre 2013 pour la décision n°2012-269 QPC.   Le projet de loi adopté par le Sénat le 6 novembre 2012 vient tirer les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et a donc pour objectif de donner à l’article 7 de la Charte de l’environnement toute sa portée.   Ce projet de loi prévoit notamment : –        Une réécriture intégrale de l’article L. 120-1 du code de l’environnement ; Cette disposition phare, destiné à transposer les principes de l’article 7 de la Charte dans le code de l’environnement, donne désormais une définition du principe de participation du public ainsi que ses conditions d’application. Elle exclut de son champ d’application les décisions individuelles. L’article L. 120-1 du code de l’environnement serait désormais rédigé ainsi: « Art. L. 120-1. – I. – La participation du public permet d’associer toute personne, de façon transparente et utile, à la préparation des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, en l’informant des projets de décisions concernées afin qu’elle puisse formuler ses observations, qui sont prises en considération par l’autorité compétente. « Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles ce principe est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités de l’État, y compris les autorités administratives indépendantes, et de ses établissements publics ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. « II. – Sous réserve des dispositions de l’article L. 120-2, le projet d’une décision mentionnée au I, accompagné d’une note de présentation non technique précisant notamment le contexte de ce projet, est rendu accessible au public par voie électronique. Lorsque le volume ou les caractéristiques du projet de décision ne permettent pas sa publication intégrale par voie électronique, la note de présentation précise les lieux et heures où l’intégralité du projet peut être consultée. « Au plus tard à la date de la publication prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues. « Les observations du public, formulées par voie électronique ou postale, doivent parvenir à l’autorité administrative concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt et un jours. « Les observations déposées sur un projet de décision sont accessibles par voie électronique dans les mêmes conditions que le projet de décision. « Le projet ne peut être définitivement adopté avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations formulées par le public et la rédaction d’une synthèse de ces observations. Sauf en cas d’absence d’observations, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de clôture de la consultation. « Dans le cas où la consultation d’un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause est obligatoire et lorsque celle-ci intervient après la consultation du public, la synthèse des observations du public lui est transmise préalablement à son avis. « Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l’autorité administrative qui a pris la décision rend publique, par voie électronique, une synthèse des observations du public. La synthèse des observations indique les observations du public dont il a été tenu compte. « III. – Le II ne s’applique pas lorsque l’urgence justifiée par la protection de l’environnement, de la santé publique ou de l’ordre public ne permet pas l’organisation d’une procédure de consultation du public. Les délais prévus au II peuvent être réduits lorsque cette urgence, sans rendre impossible la participation du public, le justifie. « IV. – Les modalités de la participation du public peuvent être adaptées en vue de protéger les intérêts mentionnés au I de l’article L. 124-4. »     –        Une réécriture du paragraphe III de l’article L. 512-7 du code de l’environnement ; La nouvelle rédaction supprime la publication des projets de prescriptions générales en matière d’installations soumises à enregistrement.   –        Une réécriture de l’article L. 211-3 du code de l’environnement ; L’article L. 211-3 du code de l’environnement relatif à la délimitation des zones de protection d’aires d’alimentation des captages d’eau et de la détermination du programme d’actions rentrera désormais dans le champ d’application de l’article L. 120-1 du code de l’environnement et soumis à une procédure de participation de public.   –        L’habilitation donnée…