refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !

Par Maître David DEHARBE (Associé Gérant – Green Law Avocats) Par un arrêté du 20 mai 2019, le maire de Sceaux a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, le 13 juin 2019, l’utilisation de pesticides a été interdite par le maire de Gennevilliers pour l’entretien de certains espaces de son territoire. Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre ces décisions. C’est une première, par deux ordonnances du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette les déférés-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs aux arrêtés des maires de Sceaux et de Gennevilliers interdisant l’utilisation du glyphosate et des pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600). Pour cette juridiction, « eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique e l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit sur le territoire de la commune de Gennevilliers et en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale, le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées, en vertu des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-4 précités du code général des collectivités territoriales, et ce alors même que l’organisation d’une police spéciale relative aux produits concernés a pour objet de garantir une cohérence au niveau national des décisions prises, dans un contexte où les connaissances et expertises scientifiques sont désormais largement diffusées et accessibles ». Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise prend ainsi à contre-pied les juges des référés de Besançon (TA Besançon, ord. 16 septembre 2019, n°1901464) et de Rennes (TA Rennes, ord. 27 août 2019, n°54-035-02/54-10-05/49-02-04/49-05-02 ) On relève en particulier que le juge des référés a constaté que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique :   « Il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1  du  même  code ». En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause : « La  commune  de  Gennevilliers,  qui  compte  plus  de  46 000  habitants,  soutient  qu’elle subit une pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport présentes sur  son  territoire  et  que  l’arrêté  attaqué  limite  l’interdiction  des  produits  phytopharmaceutiques qu’il liste à l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des copropriétés, des bailleurs privés  et  privés  sociaux,  des  voies  ferrées  et  des  tramways  et  leurs  abords,  des  abords  des  autoroutes et routes qui la  traversent, où l’usage de ces produits est encore autorisé. La commune se prévaut, en outre, de l’importance des populations vulnérables sur son territoire et notamment celles accueillies dans ses treize écoles, trois collèges et un lycée et dans l’établissement de santé spécialisé   en   rééducation   fonctionnelle.   » (ord. n°  1912597) « La commune de Sceaux, qui compte plus de 20 000 habitants, fait valoir que les espaces verts couvrent la moitié de son territoire et que l’entretien des deux tiers d’entre eux n’est pas visé par  les  interdictions  des  produits  phytosanitaires  mentionnées  précédemment,  ce  qui concerne de nombreux espaces et équipements fréquentés par le grand public. Elle se prévaut, en outre, de  l’importance  des  populations  vulnérables  sur  son  territoire  parmi  lesquelles  les  enfants  qui  sont  accueillis  dans  huit  crèches,  huit  écoles,  deux  collèges  et  quatre  lycées  ainsi  que  les  personnes  âgées  résidant  notamment  dans  les  quatre  établissements  de  santé  situés  sur ce territoire. » (ord. n° 1912600) Cette motivation n’est certainement pas un revirement de jurisprudence mais d’appréciation de la situation de l’épandage des produits phytosanitaires. D’ailleurs, la juridiction ne manque pas d’emblée de faire valoir : « Il  résulte  des  dispositions  précitées  que  la  police  spéciale  relative  à  l’utilisation  des  produits  phytopharmaceutiques  a  été  attribuée  au  ministre  de  l’agriculture.  S’il appartient  au  maire,  responsable  de  l’ordre  public  sur  le  territoire  de  sa  commune,  de  prendre  les  mesures  de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières. » En effet de longue date le Conseil d’Etat a prévu une exception à l’interdiction qu’il fait au maire de s’immiscer dans une police spéciale environnementale : cette solution s’impose avec rigueur sous réserve d’un péril imminent relevant d’une appréciation locale. Rappelons ici les arrêts de principe. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État, sauf péril imminent. La solution jurisprudentielle est ancienne (CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine…

Le plein contentieux du refus de délivrance d’un chèque énergie

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) La loi n°2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 a créé un dispositif d’aide au paiement des dépenses d’énergie s’adressant aux ménages disposant de revenus modestes : le « chèque énergie ». Ce chèque est émis par l’Agence de services et de paiement (ASP) qui est un établissement public dont les décisions sont directement contestables devant le juge administratif. Saisi d’une question de compétence territoriale en vertu de l’article R351-3 du code de justice administrative (CJA), le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge administratif dans le cadre de la contestation d’une décision de l’ASP refusant le bénéficie du « chèque énergie » (Conseil d’Etat, 5e et 6e CR, 30 sept. 2019, n°427175, mentionné aux Tables). En l’espèce, le tribunal administratif de Toulon a été saisi d’une demande visant à obtenir l’annulation d’une telle décision. Le dossier a été transmis par son vice-président au tribunal administratif de Lille. Son vice-président l’a ensuite transmis au Conseil d’Etat afin que ce dernier désigne le tribunal territorialement compétent en l’espèce. Le Conseil d’Etat indique à cette occasion que le recours dirigé contre un refus de délivrance du « chèques énergie » est un recours de plein contentieux devant être jugé selon des règles particulières : « Un tel recours, sur lequel il appartient au juge administratif de statuer en qualité de juge de plein contentieux, est au nombre des requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi, devant être jugées selon les règles particulières de présentation, instruction et jugement fixées aux articles R. 772-5 et suivants du code de justice administrative. ». Ensuite et afin de répondre à la question posée par le vice-président du tribunal administratif de Lille, le Conseil d’Etat se fonde sur l’article R.312-7 du CJA pour attribuer le dossier au tribunal administratif de Toulon, dans le ressort duquel réside la requérante. En effet, le Conseil d’Etat indique qu’une demande « dirigée contre un refus d’aide afférente à son logement, doit être regardée comme soulevant un litige relatif à une décision concernant un immeuble, au sens des dispositions de l’article R. 312-7 du code de justice administrative. Elle relève, par suite, de la compétence en premier ressort du tribunal administratif de Toulon, dans le ressort duquel est situé le logement en cause. ». Par cet arrêt, le Conseil d’Etat clarifie le régime contentieux applicable aux contestations des décisions de l’ASP refusant le bénéfice d’un « chèque énergie ». Ce régime semble favorable au justiciable car : D’une part, ces décisions relèvent de l’office du juge de plein contentieux qui pourra donc annuler cette décision mais également substituer son appréciation à celle de l’administration et décider de l’attribution de l’aide en question ; D’autre part, l’application de l’article R.312-7 du CJA facilite géographiquement l’accès du conseil au tribunal, celui-ci étant souvent choisi par le requérant en fonction de sa proximité avec son lieu de résidence.

PRINCIPE DE NON RÉGRESSION ET ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE : JE T’AIME MOI NON PLUS

Par David DEHARBE (Avocat  associé gérant de Green Law). Par un arrêt du 9 octobre 2019 (Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 9 octobre 2019, n°420804 : disponible ici), le Conseil d’État a jugé que le décret n° 2018-239 du 3 avril 2018 relatif à l’adaptation en Guyane des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (disponible ici), exemptant d’évaluation environnementale certains projets de déboisement, situés dans des zones agricoles, précédemment soumises à un examen au cas par cas, ne méconnaît pas le principe de non-régression prévu à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Or pour la Haute juridiction, cette méconnaissance n’existe pas dès lors que l’évaluation environnementale a déjà été effectuée, auparavant, lors du classement des zones agricoles dans un document d’urbanisme. Rappelons que l’article R. 122-2 du C.Env prévoit que « les projets relevant d’une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l’objet d’une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l’article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau » (disponible ici). Le décret n° 2018-239 modifie le tableau de l’article R. 122-2 du C.Env, pour prévoir que « le seuil à partir duquel un projet de déboisement en vue de la reconversion des sols est susceptible d’être soumis à une évaluation environnementale sur la base d’un examen au cas par cas est porté à 20 hectares dans les zones classées agricoles par un plan local d’urbanisme ayant lui-même fait l’objet d’une évaluation environnementale ou en l’absence d’un tel plan local d’urbanisme, dans le schéma d’aménagement régional et à 5 hectares dans les autres zones ». Le principe de non-régression correspond en vertu de l’article L. 110-1 du C.Env., à « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». En l’espèce, l’association France Nature Environnement et l’association Guyane Nature Environnement ont demandé l’annulation du décret n° 2018-239 du 3 avril 2018, en ce qu’il exclut, pour la Guyane, des projets de défrichements auparavant soumis à une évaluation environnementale et qu’il ne soumet pas à évaluation environnementale les défrichements de l’État en forêt domaniale. Le Conseil d’État accepte de connaître du moyen en vérifiant si le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression. Les juges du Palais Royal rappellent d’une part la portée du principe de non-régression en ce qu’ « une réglementation soumettant certains types de projets à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas alors qu’ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là même, le principe de non-régression de la protection de l’environnement » (§ 4). D’autre part, il apparaît dans les deux cas soulevés devant la Haute juridiction que les projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale au sens du II de l’article L. 122-1 du C.Env (disponible ici). Par ailleurs, la Haute juridiction estime qu’ « une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine ». Au regard de ces éléments, le Conseil que le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression pour les projets de déboisement sur une superficie de 20 hectares du fait qu’en l’état antérieur de la réglementation ces derniers faisaient déjà l’objet d’une évaluation environnementale. Toutefois, le Conseil relève que pour le projet de déboisement portant sur une superficie de moins de 5 hectares qui n’ont pas été classés en zones agricoles par un document d’urbanisme ayant lui-même fait d’une obligation environnementale ou dans le schéma d’aménagement régional porte atteinte au principe de non-régression, une telle exemption était jusqu’alors limitée aux projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 0,5 hectare. Pour le Palais Royal, cette exemption auparavant plus limitée est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Un lecteur candide verrait dans cet arrêt une difficulté supplémentaire de faire valoir le principe de non-régression devant la plus haute juridiction administrative. Mais le Conseil d’État relève qu’ « Il ressort des pièces du dossier qu’une telle modification est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu’abrite la forêt guyanaise, nonobstant l’étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie fait par ailleurs l’objet ». Si le principe de non régression a pu décevoir les requérants, ce principe n’étant souvent pas retenu (TA Strasbourg, 19 novembre 2014, n° 1205002, CE, 14 juin 2018, n° 409227, CE, 17 juin 2019, n°421871, CE, 24 juillet 2019, n° 425973), au final cet arrêt rappelle que le requérant doit systématiquement prouver et justifier la baisse du niveau de protection (CE, 8 décembre 2017, n° 404391 ; TA Dijon, 25 juin 2018, n°1701051).

Construction : précisions sur la notion d’ouvrage immobilier avec une fonction industrielle (Cass, 4 avril 2019)

Commentaire de Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 4 avril 2019, 18-11.021, Publié au bulletin – Par Me Valentine SQUILLACI, avocat of counsel – Green Law Avocats La notion juridique « d’ouvrage immobilier » conditionne l’application des règles relatives à la responsabilité sans faute des constructeurs et fait l’objet d’une jurisprudence abondante dès lors qu’elle n’est pas définie par le Code Civil. L’article 1792 du code civil dispose que le constructeur est responsable envers celui qui commande la réalisation de la construction (le maître d’ouvrage), pendant 10 ans à compter de la réception, des dommages affectant l’ouvrage, un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement indissociable. En l’absence de définition de ces notions, il est revenu au juge d’en esquisser les contours. Extension du champ de la garantie décennale La Cour de cassation, par un arrêt du 4 avril 2019 (Cass, 3e Civ., 4 avr.2019, n°18-11.021, n°290), poursuit un mouvement d’extension du champ de la garantie décennale par l’adoption d’une conception souple de l’ouvrage immobilier. En effet, elle y réaffirme la notion d’ouvrage immobilier participant à une fonction industrielle. En l’espèce, différentes sociétés assurées au titre de la garantie décennale se sont vues confier la réalisation d’une installation de manutention de bobines d’aciers. Cette installation, composée d’une structure fixe et d’une structure mobile (pont roulant), permettait le déplacement des bobines d’un point à un autre de l’usine. Des désordres étant apparus, le maître d’ouvrage a diligenté une expertise qui a révélé des défauts de conception rendant l’ouvrage impropre à sa destination. Il a donc engagé la responsabilité des différents intervenants afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel qualifie l’installation d’ouvrage immobilier, ce qui induit l’engagement de la responsabilité des maîtres d’œuvres au titre de la garantie décennale ainsi que la garantie de leurs assureurs responsabilité décennale respectifs. Ces derniers, pourvus en cassation, s’attachent à démontrer que l’installation litigieuse est un élément d’équipement « dont la fonction est purement industrielle ». En effet, avant la réforme de l’assurance-construction opérée par l’ordonnance du 9 juin 2005 et l’introduction de l’article 1792-7, excluant du champ de la responsabilité décennale « les équipements dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage », la jurisprudence avait, de son propre chef, exclu les process industriels du champ d’application de la garantie décennale (Cass, 3e Civ., 4 nov. 1999, 98-12.510, Bull). Les tribunaux considéraient en effet que la défaillance de l’outil de travail compromet l’activité de l’entreprise, mais sans avoir d’incidence sur l’usine qui l’abrite et qui continue à remplir sa fonction d’”ouvrage”. Ainsi, les juges excluaient du régime de la responsabilité décennale et de l’assurance obligatoire les dommages atteignant les éléments d’équipement exclusivement professionnels, au motif que ces éléments ne sont pas destinés à répondre aux contraintes d’exploitation et d’usage de l’ouvrage. C’est pourquoi les auteurs du pourvoi avaient intérêt à soutenir que l’installation défectueuse constituait un élément d’équipement industriel ne pouvant pas être assimilé à un ouvrage. Ces derniers ont ainsi fait valoir devant la Cour que  : L’installation avait pour finalité la manutention des colis, sa fonction exclusive est donc de permettre l’exercice d’une activité professionnelle ; De surcroît, l’installation fixe pouvait être ôtée ou déplacée sans détériorer le bâtiment ou compromettre son usage. La cour de cassation rejette les arguments des maîtres d’œuvre « ayant relevé que les travaux confiés à la société Couturier concernait des travaux de charpente métallique, couverture, bardage, création de poutres et poteaux métalliques, […] la cour d’appel, qui, motivant sa décision et répondant aux conclusions prétendument délaissées, a pu en déduire, […], que cette installation constituait un ouvrage et que son ancrage au sol et sa fonction sur la stabilité de l’ensemble permettaient de dire qu’il s’agissait d’un ouvrage de nature immobilière, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »   Un ouvrage immobilier à fonction industrielle Pour qualifier le bien d’ouvrage immobilier en dépit d’une fonction industrielle affirmée, la cour a recours à la réunion de trois critères : ancrage au sol, importance des travaux et participation de l’installation à l’intégrité de la structure. Un ouvrage immobilier se définit classiquement par l’existence d’un ancrage au sol ou au sous-sol ayant nécessité des travaux de fondation ou d’implantation. C’est en l’espèce ce que retient la cour qui rappelle que « l’ensemble charpente-chemin de roulement était constitué d’une structure fixe ancrée au sol, dont l’ossature reposait sur des poteaux fixes érigés sur des fondations en béton […] ». L’ampleur des travaux semble également avoir été retenue par la Cour afin de qualifier l’ouvrage immobilier : « Mais attendu qu’ayant relevé que les travaux confiés à la société C…concernaient des travaux de charpente métallique, couverture, bardage, création de poutres et poteaux métalliques […] ». L’énumération de ces différents travaux nécessaires à la construction met l’accent sur leur importance. Cette solution est à rapprocher d’un cas à l’occasion duquel la cour avait qualifié d’ouvrage immobilier une canalisation de six kilomètres en dépit de l’absence d’ancrage au sol (Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-25.283, Bull.). La cour retient enfin la participation de l’installation à l’intégrité de la structure afin de lui reconnaitre la nature d’ouvrage immobilier. En l’espèce, l’installation litigieuse, en sus d’être ancrée au sol, remplissait une fonction au regard de la stabilité de la charpente du bâtiment, ce qui permet à la cour d’écarter la qualification d’élément d’équipement à vocation industrielle. Ici, la Cour de cassation applique une acception stricte de cette notion, acception qui correspond d’ailleurs au texte de l’article 1792-1 issu de la réforme de 2005, donc postérieur aux faits de l’espèce. En effet, l’article 1792-7 dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage […] les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. » Or en l’espèce, il ressort de la motivation de la cour de cassation que l’installation ne remplissait pas une fonction exclusivement industrielle. La réunion de ces trois critères permet ainsi d’exclure la qualification d’élément d’équipement à vocation industrielle.   Cette solution ou cette méthode d’appréciation de la nature…

Arrêtés couvre-feu pour prévenir les troubles de voisinage : contrôle étroit du juge

 Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Souvent les riverains se sentent démunis face aux troubles de voisinages dont ils sont victimes en milieux urbains et dans des zones où le vouloir vivre ensemble semble très difficile au quotidien. Pour y remédier certains élus locaux ont décidé de mobiliser leur pouvoir de police administrative en prenant des arrêtés « couvre-feu ». Ils ne sont pas forcément illégaux mais comme l’appelé le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ils font l’objet d’un contrôle juridictionnel étendu. Ainsi, le jour du 230e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a d’abord été l’occasion pour le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement des dispositions de l’article L.521-1 CJA, de préciser les règles applicables en matière de concours entre polices administratives générales au sein de communes où la police est étatisée (TA Cergy-Pontoise ord. 26 août 2019, Ligue des droits de l’homme, n° 1910034 et n° 1910057). Des arrêtés « couvre-feu » pris par les maires de Meudon et Sèvres Au début de l’été 2019, les maires de deux communes de la banlieue ouest de Paris avaient proscrit par arrêté les rassemblements « non liés à des manifestations ou fêtes publiques » à certaines heures de la soirée ou de la nuit, et sur des secteurs délimités de leurs communes respectives : le maire de Meudon avait interdit, sur un périmètre restreint de sa commune et pour une période d’un an courant à compter du 10 juin 2019, les regroupements de personne non liés à des rassemblements autorisés ; à Sèvres, le maire n’avait empêché ce type de réunion que jusqu’au 30 septembre 2019, sur une petite portion de son territoire communal, mais sur une plage horaire plus importante. La Ligue des droits de l’homme a alors intenté une action en référé-suspension devant le juge administratif. La requérante estimait que les actes administratifs édictés par les deux édiles, à défaut d’être « nécessaires et adaptés », portaient en tout état de cause une atteinte « disproportionnée » à deux grandes libertés publiques : la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion des personnes susceptibles de circuler sur le territoire concerné. Outre le vice d’incompétence du maire pour édicter de telles dispositions – nous y reviendrons – le périmètre géographique et l’amplitude horaire présents dans les deux arrêtés étaient contestés. La reconnaissance de la compétence du maire pour réprimer les troubles du voisinage dans les communes où la police est étatisée Dans les deux espèces, le juge des référés a, prima facie, reconnu l’existence d’une situation d’urgence, nécessaire au vu des dispositions de l’article L.521-1 CJA pour qu’il fasse usage de ses pouvoirs. Les deux ordonnances du 26 août 2019 ont ensuite permis au juge administratif de préciser l’étendue des compétences du maire en matière de police administrative générale dans des communes où la police est étatisée. Le magistrat statuant en référé a opéré une combinaison entre l’article L.2212-2 et l’article L.2214-4, deux textes de la partie législative du Code général des collectivités territoriales relatifs aux pouvoirs de police du maire (L.2212-2) et du Préfet (L.2214-4) en matière de répression des troubles à l’ordre public. « Dans les communes où la police est étatisée, le maire est compétent pour réprimer les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les troubles du voisinage, le représentant de l’Etat étant pour sa part compétent pour réprimer les autres atteintes à la tranquillité publique au sens des dispositions du 2° de l’article L.2212-2 CGCT ». La reconnaissance de la compétence du maire reposait donc sur la qualification par le juge des actes proscrits au sein des arrêtés : seule la qualification de troubles de voisinage portant atteinte à la tranquillité publique pouvait emporter compétence municipale, écartant au passage la compétence légale du Préfet par le jeu de la combinaison des deux dispositions précitées. C’est chose faite dans les deux espèces « eu égard aux atteintes à la tranquillité publique que vise à prévenir l’arrêté attaqué, qui doivent être regardées comme consistant en des troubles du voisinage, le moyen tiré de l’incompétence du maire de Sèvres (Meudon) ne peut être regardé comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ». On remarquera que la qualification de trouble de voisinage est particulièrement motivé dans les deux ordonnances. S’agissant de la commune de Sèvres, l’Ordonnance relève  que « à Sèvres, le tribunal constate « ces troubles ont donné lieu à des plaintes de riverains faisant état de rassemblements de plusieurs personnes en soirée et jusque dans la nuit, caractérisés notamment par du tapage nocturne, des mouvements de scooter, de la consommation de substance illicites, des stationnements illégaux, des déjections et des dégradations de véhicules particuliers, et, le cas échéant, des repas sauvages. S’agissant du centre d’art et de culture, situé aux abords d’un secteur résidentiel, ces troubles se manifestent notamment de nuit et en dehors même de toute activité du centre. Ces plaintes sont matérialisées, sur une période incluant la fin de l’hiver et le printemps 2019, par des interventions auprès du maire de particuliers, deux mains courantes de riverains (rue du Val et rue Hélène Loiret), par quatre mains courantes des services de la police municipale (rue du Val, place Jules Janssen et rue Basse de la Terrasse), et par une restitution d’une réunion d’un comité de quartier. A cet égard, il ressort de ces pièces que la police municipale de Meudon est intervenue, sur signalement de particuliers, avec des résultats inégaux et sans pouvoir verbaliser les intéressés, en l’absence de prérogative en ce sens, les services de la police d’Etat ne pouvant donner suite dans tous les cas à ces interventions, ou intervenant avec retard par rapport au signalement des faits, en raison notamment de la diminution de leurs effectifs dans les Hauts-de-Seine. S’agissant de la rue du Cerf, une tentative de médiation avec les personnes intéressées, organisée en avril 2019, n’a pas abouti. Aucun équipement en caméras de vidéo-surveillance n’existe dans les secteurs concernés eu…