Eau potable, modulation des aides financières: le Conseil constitutionnel censure certaines dispositions législatives

Dans une décision n°2011-146 QPC du 8 juillet 2011 (“Département des Landes”), le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité a invalidé les dispositions législatives adoptées en 2006 interdisant toute modulation des aides publiques accordées aux communes et aux groupements de collectivités territoriales en fonction du mode de gestion des services d’eau potable et d’assainissement (art. L. 2224-11-5 du CGCT).    Ce faisant, cette décision est favorable au Conseil général des Landes qui, en dépit de l’interdiction législative formulée à l’article 54 de la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (art. L. 2224-11-5 du CGCT), avait maintenu, dans son ressort géographique, le principe de la modulation à la hausse des subventions accordées aux communes et à leurs groupements dès lors que les services publics de l’eau potable et de l’assainissement étaient gérés en régie.   Cette décision constitue, en outre, l’aboutissement d’un bras de fer contentieux dans lequel le département des Landes se trouvait impliqué et qui avait débuté en 1996 par l’adoption d’une délibération décidant de faire varier les aides aux communes et à leurs groupements soit à la hausse soit à la baisse en fonction du mode de gestion de ces services (en régie ou en gestion déléguée).     Si, en cassation, le Conseil d’Etat avait pu admettre que le principe de libre administration n’empêchait pas que les régions et les départements modulent le montant de leurs subventions versées aux communes et à leurs groupements selon le mode de gestion du service (CE, 12 décembre 2003, Département des Landes, aff. 236442, conclusions François Séners, RFDA 2004, p. 518), les parlementaires s’étaient saisis de la question lors de la discussion portant sur le projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques pour, au final, interdire toute variation des aides publiques locales selon le mode de gestion des services de distribution de l’eau et de l’assainissement.    L’adoption d’une délibération  du Conseil général des Landes, le 7 novembre 2008, directement contraire aux dispositions de l’article L. 2224-11-5 du CGCT, objet d’un recours contentieux, va mener le juge administratif à introduire une question préjudicielle de constitutionnalité relative à la conformité de ces dispositions législatives avec le principe de libre administration des collectivités territoriales posé à l’article 72 de la Constitution.    La  position retenue par le Conseil constitutionnel a été révélée dans la décision n° 2011-146 QPC du 8 juillet 2011 : après avoir souligné que « si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, c’est à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d’intérêt général », le Conseil constitutionnel  déclare les dispositions législatives comme étant contraires à la Constitution en ce qu’elles restreignent la liberté d’administration des départements au point de méconnaître  les articles 72 et 72-2 de la Constitution. En conséquence, depuis la publication de la décision au JORF (soit le 9 juillet 2011), les collectivités  régionales et départementales peuvent légalement introduire un régime différencié d’aides publiques aux communes et à leurs groupements pour la gestion des services publics de l’eau potable et de l’assainissement.   Désormais, aucune disposition législative n’interdit à  l’une de ces collectivités d’inciter financièrement les communes et les intercommunalités à opter pour une gestion directe de ces services plutôt que pour une gestion déléguée.    L’usager devrait pouvoir se satisfaire de cette censure constitutionnelle puisque le prix de l’eau est moindre en présence d’un service géré en régie par les communes et les intercommunalités !    Patricia Demaye-Simoni  Maître de conférences en droit public

Natura 2000: le décret du 16 août 2011 modifie l’évaluation des incidences

Les sites Natura 2000 – issus de la réglementation européenne – dont l’objet  est de préserver les habitats naturels et les espèces animales et végétales couvrent 7 millions d’hectares représentent plus de 12 % du territoire métropolitain. En raison de leur fragilité, ils sont soumis à des mesures de protection adaptées, sachant que les projets et les programmes susceptibles de les affecter doivent contenir une évaluation de leurs incidences sur ces sites. Aussi, afin de se conformer aux objectifs de la directive 92-43 du 21 mai 1992 (concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore) et d’éviter une nouvelle procédure en manquement contre l’Etat français (cf. CJCE, aff. C-241/08, Commission c/ République française.), l’article 13 de la  loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale a  créé une procédure d’évaluation préalable des incidences sur les sites Natura 2000 pour un certain nombre d’activités encadrée par un régime administratif d’autorisation, d’approbation ou de déclaration participant d’une législation distincte du réseau Natura 2000. Reste que la transposition a été jugée insatisfaisante : cf. CJUE, 4 mars 2010, aff. C-241/08, condamnation qui a été suivie de l’adoption du décret n°2010-365 du 9 avril 2010 relatif à l’évaluation des projets susceptibles d’avoir des incidences sur les sites Natura 2000 Codifiées à l’article L. 414-4 du code de l’environnement, tel que modifié par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, les dispositions législatives étendent l’évaluation requise aux activités non soumises à encadrement dont la liste locale est fixée par l’autorité administrative (par référence à une liste nationale établie par  décret en Conseil d’Etat). Par ailleurs, désormais, tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d’affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées fait l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l’autorité administrative. Le décret n° 2011-966 du 16 août 2011 relatif au régime d’autorisation administrative propre à Natura 2000, entré en vigueur le 19 août 2011, met en oeuvre ces dispositions : il dresse un tableau national de référence  (assorti de seuils et restrictions) des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestions et interventions ne relevant pas d’un régime d’autorisation, d’approbation ou de déclaration (art. R 414-27 du CE).  La liste nationale  comporte 36 documents de planification, programmes ou projets manifestations ou interventions parmi lesquels sont placées les éoliennes dont la hauteur du mât et de la nacelle au dessus du sol est inférieure à 12 mètres ou les ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire installés sur le sol dont la puissance crête est inférieure à 3 kilowatts et dont la hauteur maximum au-dessus du sol ne peut pas dépasser 1.80 mètre lorsque la réalisation est prévue en tout ou partie à l’intérieur d’un site Natura 2000. De plus, le décret n° 2011-966 décrit la procédure applicable pour les personnes visées par l’article L. 414-4-IV qui doivent solliciter une autorisation préfectorale avant d’élaborer un document de planification, réaliser un programme ou un projet, organiser  une manifestation ou procéder à une intervention dans le milieu naturel et le paysage qui ne relève pas d’un encadrement direct de la législation Natura 2000 mais figurent sur la liste locale arrêté par l’autorité préfectorale (art. R 414-28 du CE).  Le dossier de demande, instruit par l’autorité préfectorale qui a établi la liste locale, doit comporter une évaluation des incidences Natura 2000. Quant aux documents de planification, programmes ou projets ainsi que manifestations ou interventions susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figurent pas sur une liste (art L. 414-4 IV bis), ils sont soumis à une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l’autorité administrative qui n’est autre que celle compétente pour autoriser, approuver ou recevoir la déclaration (art. R. 414-29 du CE). Pour conclure, l’on doit constater de manière bien plus générale que l’on assiste à  un mouvement d’extension des procédures d’évaluation auquel doivent être attentifs les promoteurs de projets éoliens. Face au durcissement de la réglementation, les évaluations doivent être strictement menées et le choix de l’implantation des éoliennes mûrement réfléchi. D’autant que dans un récent arrêt de la CJUE du 21 juillet 2011 ( aff. C 2-10), la cour a admis que les directives habitat (92/431/CEE) et oiseaux (79/409/CEE) ne s’opposaient pas à l’instauration d’une réglementation interdisant l’installation d’aérogénérateurs non destinés à l’autoconsommation sur des sites appartenant au réseau Natura 2000, sous réserve cependant du respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité. Patricia Demaye-Simoni Maître de conférences en droit public

ICPE: Le risque d’un arbitraire du juge-administrateur

Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat (CE, Conseil d’État, 26 juillet 2011, n°324728), un industriel exploitant  contestait une mise en demeure en considérant que son activité n’était pas classée sous les anciennes rubriques de la nomenclature ICPE applicables au moment de l’introduction de l’instance. Etait en cause une unité de mélange et de compostage de sciures et d’écorces avec des sels d’ammonium (chlorure d’ammonium) provenant de l’industrie, pour produire un amendement organique que le Préfet de la Somme avait voulu en septembre 2002 soumettre cette activité aux rubriques 167 c (traitement de déchets provenant d’installations classées), 2170 (fabrication d’engrais et de supports de culture à partir de matières organiques) et 2260 (broyage et criblage de matières végétales).  Devant le Conseil d’Etat  l’interprétation de la nomenclature de l’industriel triomphe et le Préfet de la Somme est censuré : l’arrêt admet que l’activité de fabrication d’un amendement organique ne relevait pas des rubriques précitées. Reste que le Conseil prenant en compte la nomenclature en vigueur au jour où il statue au fond et faisant application d’une nouvelle rubrique couvrant l’activité décide lui-même de mettre en demeure l’industriel de déposer une D.A.E. : « cette activité relève dorénavant de la rubrique n° 2780 de la nomenclature des installations classées, qui vise notamment le compostage de rebuts de fabrication de denrées alimentaires végétales et de boues d’industries agroalimentaires ; que la quantité de matières traitées est supérieure à vingt tonnes par jour ; qu’il suit de là que la société requérante doit régulariser sa situation administrative en déposant une demande d’autorisation au titre de la rubrique n° 2780 ; qu’il y a lieu de la mettre en demeure de déposer une telle demande dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ». Cet arrêt fera sans doute beaucoup d’encre, même si ce n’est pas la première fois que « le juge administratif inflige une sanction administrative à l’exploitant d’une installation classée qui fonctionne dans des conditions irrégulières » (cf. D. Gillig, CAA Nancy, 9 janv. 2006, n° 04NC00704, Duval : Juris-Data n° 2006-294661, Environnement n° 6, Juin 2006, comm. 70). On sait que le juge a encore admis pouvoir aggraver les prescriptions techniques qui lui étaient déférées (CAA Bordeaux, 14 nov. 2006, n° 03BX01988, Sté Toupnot).  On voudrait juste faire une remarque sur l’origine historique de ce qu’il convenu d’appeler les « pouvoirs du juge administrateur ». Initialement en admettant qu’il puisse substituer son appréciation à cette de l’administration le juge entendait surtout protéger les industries naissantes de l’arbitraire administratif et de refus d’autorisation abusifs. Ainsi très tôt le Conseil d’Etat a admis qu’il pouvait délivrer l’autorisation illégalement refusée (CE, 7 févr. 1873, Bourgeois : Rec. CE 1873, p. 124. – CE, 20 mai 1881, Bridot : Rec. CE 1881, p. 519.. – CE, 15 mai 1903, Clerget : Rec. CE 1903, p. 356. – CE, 20 janv. 1929 : Rec. CE 1929, p. 111. – CE, 13 mars 1937, Delanos : Rec. CE 1937, p. 313. – CE, 27 nov. 1957, Ville Meudon : Rec. CE 1957, p. 924.. – CE, 16 nov. 1962 : AJDA 1963, p. 170) et d’ailleurs cette tradition s’est perpétuée (par ex. : CE, sect., 15 déc. 1989, Min. env. c/ Sté Spechinor : Juris-Data n° 1989-646026 ; Rec. CE 1989, p. 254. – CAA Nancy, 19 avr. 2004, Min. Écologie et Développement durable : LPA 5 août 2004, p. 21, note D. Gillig. – CAA Nancy, 21 juin 2004, SARL Kaibacker : Environnement 2004, comm. 112, obs. D. Gillig – CAA Douai, 1re ch., 2 oct. 2008, no 08DA00161, Sté BPE Lecieux, in CPEN), le principe jurisprudentiel trouvant au demeurant un encrage textuel depuis 1992 (cf. l’article L. 514-6 du code de l’environnement ). Aujourd’hui ce même pouvoir voir un industriel soutenir pendant près de dix ans une thèse devant le juge qui n’est finalement invalidée que par un changement de la nomenclature la neuvième année du procès. Il est effectivement très élégant de ne pas avoir laissé à la charge du demandeur les frais irrépétibles. De la même façon l’annulation peut constituer une certaine garantie en cas de poursuite pénale pour exploitation sans titre.  Mais on ne doit pas craindre de poser alors cette question fondamentale : qui protège l’industriel des erreurs d’administration du Conseil d’Etat ? Or dans notre cas on se permettra d’en relever une, du moins que l’on peut soupçonner à la seule lecture de l’arrêt : si l’administration a mis en demeure l’exploitant de déposer une DAE c’est qu’il a mené l’activité controversé et comme le reconnaît l’arrêt lui-même à ce moment il menait une activité qui n’avait pas à être classée et qui donc bénéficie des droits acquis consacrés par l’article L 513-1 du code de l’environnement  bafoués par le juge lui-même … rappelons qu’aux termes de cette disposition « Les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation, à enregistrement ou à déclaration peuvent continuer à fonctionner sans cette autorisation, cet enregistrement ou cette déclaration, à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du préfet ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant la publication du décret ». Et au demeurant on doit encore remarquer que la mise en demeure s’avère la première étape obligée des sanctions administratives. Ainsi on ne peut manquer de considérer que la solution retenue revient à appliquer un classement plus sévère à une situation antérieurement constituée. Mais l’arrêt comporte ici une précision importante qui fait au moins tomber la thèse des droits acquis : « qu’il résulte de l’instruction que la fabrication d’amendements organiques par la SOCIETE LANVIN S.A. utilise désormais des matières premières issues de l’industrie agro-alimentaire ». Bref c’est un changement de process dans la production de l’amendement qui rend cette activité justiciable de la nouvelle rubrique n°  2170 car ce n’est qu’à exploitation à l’identique que la jurisprudence admet traditionnellement les droits acquis. …

Antennes relais: le premier rapport d’étape rendu au Ministère de l’Ecologie

Le Comité opérationnel “Expérimentation” (COMOP) chargé de mener une réflexion sur le thème de la   “Diminution de l’exposition aux ondes électromagnétiques émises par les antennes relais de téléphonie mobile” a rendu son premier rapport d’étape le 30 août 2011.     Alors que les décisions tant civiles (et notamment indemnitaires) qu’administratives analysées dans ce blog montrent un foisonnement des questions relatives aux antennes relais en jurisprudence, c’est à l’issue de la table-ronde sur les radiofréquences, organisée par le ministère de la santé, avec le concours du ministère du développement durable que le COMOP a été mis en place.      Ce comité présidé par François Brottes, avait pour mission :  – d’identifier de nouvelles procédures de concertation et d’information locale pour accompagner les projets d’implantation d’antennes relais ;  – d’évaluer la faisabilité d’un abaissement de l’exposition aux radiofréquences émises par les antennes relais de téléphonie mobile.    Les recommandations du COMOP à ce stade sont résumées ainsi:    “Tenir notre engagement par rapport à toutes les collectivités sélectionnées, donc – poursuivre la réalisation des états des lieux, des simulations numériques de l’abaissement de puissance des antennes relais et de plusieurs expérimentations terrain de la baisse du niveau d’exposition assortie d’un contrôle des points les plus exposés sur l’ensemble des villes pilotes, propositions de quelques solutions de reconfiguration. – consolider l’ensemble des résultats des travaux techniques dans un document synthétique et pédagogique à l’attention des élus locaux et du grand public.”    Le rapport est disponible ici: Rapport d’étape COMOP antennesrelais.