Coup d’arrêt aux Sociétés Publiques Locales à la carte (14 novembre 2018)

Par Maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Après le rapport de la Cour des Comptes du 15 juin 2017, dans lequel elle estime que le cadre juridique et comptable des Entreprises Publiques Locales (EPL), regroupant notamment les Sociétés Publiques Locales (SPL) et les Société d’Economie Mixte (SEM), est inadapté (disponible ici), le Conseil d’Etat, dans une décision rendue le 14 novembre 2018 (Conseil d’Etat, 14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles, n° 405628, Mentionné dans les tables du recueil), a strictement limité la possibilité pour les collectivités territoriales, et leurs groupements, de participer à ces EPL en établissant un lien direct entre compétence de la collectivité et objet social de la société. Les juges du Palais-Royal ont décidé que les collectivités territoriales ne pourraient désormais plus participer à ce type de sociétés dès lors que celles-ci n’exercent pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. Cette décision va clairement dans le sens du rapport de la Cour des Comptes précité puisque ce dernier mentionnait l’existence de deux problématiques majeures concernant les EPL : l’évanescence de leur champ d’intervention qui doit être précisé ; et la nécessité de redéfinir leur actionnariat. On comprend donc que cette décision de la Haute Juridiction administrative limite fortement l’intérêt des EPL. En effet, si l’on considère, d’une part, que la loi NOTRe du 7 août 2015 a supprimé la clause générale de compétence pour les régions et les départements et, d’autre part, que les communes sont, pour la grande majorité, trop pauvres pour financer seule une EPL, on peut se demander si finalement cette décision ne constitue pas un véritable coup d’arrêt au développement de ces sociétés. En la matière, il convient de rappeler que le code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit, en son article L. 1531-1, que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général. Ces sociétés exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres. Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce et sont composées, par dérogation à l’article L. 225-1 du même code, d’au moins deux actionnaires. Sous réserve des dispositions du présent article, elles sont soumises au titre II du présent livre ». En l’espèce, le comité du syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles (SMADC), composé de communes et communautés de communes, avait donné son accord à la transformation de la Société d’Economie Mixte (SEM) pour l’exploitation des réseaux d’eau potable et d’assainissement en Société Publique Locale (SPL) dénommée société d’exploitation mutualisée pour l’eau, l’environnement, les réseaux, l’assainissement dans l’intérêt du public (SEMERAP) et avait approuvé le projet de statuts de cette société. Cependant, par un jugement du 1er juillet 2014, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur déféré du préfet du Puy-de-Dôme, annulé cette délibération. Le SMADC et la SEMERAP se sont pourvus en cassation contre l’arrêt du 4 octobre 2016 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel du SMADC contre ce jugement. Dans le cadre de cette affaire, le Conseil d’Etat était donc amené à statuer sur la possibilité pour les collectivités territoriales, et leurs groupements, de participer à une SPL alors qu’elle n’exerçait pas l’ensemble des compétences caractérisant l’objet social de la société. La chose n’était pas aisée pour le Conseil dès lors qu’un véritable débat jurisprudentiel s’était constitué entre les juridictions du fond débouchant sur des réponses, pour le moins, hétérogènes. En premier lieu, le tribunal administratif de Lille dans un jugement de 2012 (TA de Lille, 29 mars 2012, Communauté de communes Sambres-Aversnois, req. n°1201729) avait admis qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales pouvait participer au capital d’une SPL à la seule condition que cette collectivité ou ce groupement de collectivité exerce au moins une partie des compétences caractérisant l’objet social de la SPL. A l’inverse, certaines juridictions ont interprété les dispositions précitées du CGCT comme obligeant les collectivités territoriales ou les groupements de collectivités territoriales, à exercer l’ensemble des compétences entrant dans l’objet social de la SPL pour pouvoir participer au capital de celle-ci (CAA de Nantes, 19 septembre 2014, Syndicat intercommunal de la Baie, req. n°13NT01683). La cour administrative d’appel de Lyon a, quant à elle, jugé que les dispositions du CGCT font obstacle à ce qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales puisse être actionnaire d’une SPL dont la partie prépondérante des missions outrepasserait son domaine de compétence (CAA de Lyon, 4 octobre 2016, Préfet du Puy-de-Dôme, req. n°14LY02778). Les juges du Palais-Royal, qui devaient donc trancher ce débat et déterminer une ligne jurisprudentielle claire sur cette question essentielle pour le développement des SPL ont prescrit qu’ « hormis le cas, prévu par l’article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales, où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale, la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. » Le Conseil d’Etat a donc opté pour la position la plus restrictive en considérant qu’en participant à une SPL dont l’objet excède ses propres compétences, une collectivité…

Pas de mandat, pas de JA ! / La qualification de contrats de SEM et concession d’aménagement

Par Maître Thomas RICHET Avocat – Green Law Avocats La distinction contrat administratif/ contrat privé peut parfois s’avérer périlleuse… Et manifestement une piqure de rappel en la matière est toujours nécessaire… La décision commentée (Arrêt n° 404481 du 25 octobre 2017 Conseil d’Etat : téléchargeable ici) a le mérite de rappeler la méthodologie à adopter face aux contrats conclus par une  Société d’Economie Mixte (SEM) titulaire d’un contrat de concession d’aménagement. En effet, dans cette affaire, la communauté urbaine de Brest Métropole Océane avait conclu avec la société d’économie mixte locale d’aménagement Brest Métropole Aménagement (BMA)  un contrat de concession d’aménagement ayant pour objet la réalisation d’une zone d’aménagement commercial (ZAC) dite du « Plateau des Capucins », située à Brest. Pour réaliser cette ZAC la BMA avait, à son tour, conclu avec la société « Les Compagnons Paveurs » un marché de travaux tendant à l’aménagement des espaces publics et la viabilisation du Plateau des Capucins. Ce marché a fait l’objet d’une décision de résiliation pour un motif d’intérêt général le 29 novembre 2013. Afin d’obtenir une indemnité du fait de cette résiliation, la société évincée a décidé de porter l’affaire au contentieux. Par un jugement du du 16 juin 2016 , le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande d’indemnisation de la société « Les Compagnons Paveurs ». La solution a été confirmée par une ordonnance du 17 août 2016 du président de la 4ème chambre de la cour administrative d’appel de Nantes. La société « Les Compagnons Paveurs » a donc décidé de se pourvoir en cassation. La question contentieuse centrale dans cette affaire était relative à la nature juridique du contrat conclu entre la BMA et la société « Les Compagnons Paveurs ». S’agissait-il d’un contrat de droit privé ou d’un contrat de droit administratif ? Par un arrêt du  25 octobre 2017 n°404481, le Conseil d’Etat va considérer, par une application des critères jurisprudentiels classiques en la matière, que le contrat conclu entre la BMA et la société « Les Compagnons Paveurs » était de droit privé. Pour rappel, un contrat est qualifié « d’administratif » en présence de deux critères cumulatifs : Un critère organique: la présence d’une personne publique au contrat ou l’existence d’un donné par la personne publique à une personne privée (Cf. Conseil d’Etat, 1936, Prade ; Conseil d’Etat, 1975, Société d’équipement de la région Montpelliéraine) ; Un critère matériel : la présence de clauses exorbitantes du droit commun au sein du contrat, lorsque l’objet du contrat porte sur un service public ou encore lorsque le régime du contrat est exorbitant du droit commun. Qu’en était-il en l’espèce ? Tout d’abord relevons que le contrat avait été conclu entre deux personnes privées : la SEM BMA et la société « Les Compagnons Paveurs ». Ainsi, en principe, la qualification de contrat administratif devait être exclue car le critère organique n’était pas rempli. Cependant, la question se posait de savoir si la SEM BMA n’agissait pas, au titre du contrat de concession, en tant que mandataire de la communauté urbaine de Brest Métropole Océane. Le contrat aurait alors été administratif. Sur ce point, le  Conseil d’Etat relève, après avoir énoncé les missions du concessionnaire, que : « cette concession d’aménagement, qui prévoit la construction d’immeubles à usage privé destinés à la vente ou à la location au profit de la société BMA, concessionnaire, n’a pas comme seul objet de faire réaliser des ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine Brest Métropole Océane dès leur achèvement ou leur réception ; que, dès lors, la société BMA ne peut être regardée comme un mandataire agissant pour le compte de la communauté urbaine, y compris lorsqu’elle conclut des marchés de travaux ayant pour objet la réalisation d’équipements destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement ; que, par suite, le contentieux relatif à l’exécution et à la résiliation du marché de travaux conclu entre la société BMA et la société ” Les Compagnons Paveurs “, qui sont deux personnes morales de droit privé, ne relève pas de la compétence du juge administratif ». Ainsi le juge administratif considère en l’espèce que la présence d’un contrat de concession d’aménagement entre la SEM et la communauté urbaine de Brest Métropole Océane n’est pas suffisante pour considérer que cette société agissait en tant que mandataire de la personne publique. Pour emporter la compétence du juge administratif ce contrat aurait dû avoir pour objet exclusif la réalisation d’ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine de Brest Métropole Océane dès leur achèvement ou leur réception (Voir sur ce point Conseil d’Etat, 11 mars 2011, n° 330722). Faute de critère organique, le contrat ne peut être que de droit privé, et ce, même si le contrat remplissait le critère matériel. En effet, le juge indique qu’: « est sans incidence sur l’incompétence de la juridiction administrative la circonstance que la société BMA soit investie de prérogatives de puissance publique, qu’elle soit un pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, que le marché se réfère au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, qu’il comporte des clauses exorbitantes ou qu’il ait pour objet l’exécution de travaux publics ». Le contrat conclu entre la SEM BMA et la société « Les Compagnons Paveurs » est donc un contrat de droit privé qui relève de la compétence du juge judiciaire.