Air – Un Etat membre de l’UE peut exiger la restitution des quotas d’émission de GES indument attribués à une entreprise (CJUE 8 mars 2017)

Par Jérémy TAUPIN- GREEN LAW AVOCATS Par un arrêt n°C‐321/15 en date du 8 mars 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») a estimé qu’un Etat membre peut exiger la restitution des quotas d’émission de GES (ci-après « GES ») non utilisés, et ce sans indemnité, dans le cas où ces quotas ont été attribués de manière indue au bénéficiaire, qui n’a pas respecté son obligation d’informer en temps voulu l’autorité compétente de la cessation de l’exploitation de son installation. Les faits Dans cette affaire, l’entreprise ArcelorMittal Rodange et Schifflange SA (ci-après « Arcelor ») était opposée au Grand­Duché de Luxembourg. En l’espèce, le 2 février 2008, le ministre de l’Environnement du Grand­Duché de Luxembourg avait alloué à Arcelor à titre gratuit, pour son usine sidérurgique de Schifflange (Luxembourg), un total de 405 365 quotas d’émission de GES, pour la période comprise entre le 1 er janvier 2008 et le 31 décembre 2012. Le 19 octobre 2011, l’assemblée Arcelor a décidé de suspendre l’activité de l’aciérie. Cette décision n’a pas été notifiée à l’administration luxembourgeoise. Le 22 février 2012, Arcelor a donc reçu les quotas qui lui avaient été alloués pour l’année 2012. Le 21 décembre 2012, le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures a communiqué à Arcelor sa décision de modifier rétroactivement le Plan national d’allocation des quotas pour les années 2008-­2011 et d’exiger la restitution de quotas délivrés pour l’année 2012 à l’aciérie de Schifflange. Arcelor ne souhaitant pas procéder à la restitution des quotas, le ministre a enjoint à Arcelor, par un arrêté du 6 juin 2013, de restituer 80 922 quotas d’émission de GES avant le 31 juillet 2013. Arcelor a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif, qui a lui-même saisi la Cour constitutionnelle (Luxembourg) d’une demande de décision préjudicielle portant sur la conformité à la Constitution de la disposition de la loi luxembourgeoise transposant la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de GES dans la Communauté, disposition permettant d’exiger la restitution totale ou partielle, sans indemnité, des quotas délivrés mais non utilisés. Dans le cadre de cette procédure préjudicielle, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de justice du présent renvoi préjudiciel. En l’espèce, Arcelor soutenait que les quotas devaient être considérés comme des biens et non comme des autorisations administratives, et qu’il avait ainsi subi une expropriation indue, non conforme à la directive précitée.   La question préjudicielle La question préjudicielle posée à la CJUE contenait en réalité 2 points de droit. Ceux-ci étaient les suivants : La loi établissant un système d’échange de quotas d’émission de GES au Luxembourg, dans la mesure où elle permet au ministre compétent d’exiger la restitution sans indemnité totale ou partielle des quotas délivrés conformément la même loi, mais non utilisés, est­elle conforme à la directive 2003/87/CE ce plus particulièrement à l’économie du système d’échange des quotas ? Dans l’affirmative, quid de la qualification juridique de la restitution de quotas délivrés, mais non utilisés, de même que celle des quotas en eux-mêmes ? » L’appréciation de la Cour L’avocat général Manuel Campos Sanchez­Bordona, après avoir largement rappelé le cadre juridique applicable aux quotas de GES, que ce soit au sein de l’UE ou au Luxembourg, ainsi que la philosophie et le but du système, a estimé, dans ses conclusions en date du 5 juillet 2016, que « le souci d’exactitude des chiffres et des circonstances entourant les quotas répond à la volonté de l’Union d’améliorer le fonctionnement du marché, en évitant les distorsions qui résulteraient de tout doute en ce qui concerne la validité des quotas, eu égard à leur rôle de monnaie d’échange sur ce marché ». De plus, « au‑delà de l’intérêt purement économique ou mercantile du maintien de sa fiabilité et de sa solvabilité, on trouve l’objectif poursuivi par le marché en lui­-même, à savoir sa mission d’instrument de lutte contre la pollution. Garantir la concordance entre les émissions réelles et les émissions autorisées grâce aux quotas constitue, pour cette raison, une priorité impérative du système dans son ensemble » (point 65). La CJUE a largement suivi les conclusions de l’avocat général, en estimant que : “La directive 2003/87/CE doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale qui permet à l’autorité compétente d’exiger la restitution sans indemnité, totale ou partielle, de quotas non utilisés qui ont été indûment délivrés à l’exploitant, en conséquence de la violation par ce dernier de l’obligation d’informer en temps voulu l’autorité compétente de la cessation de l’exploitation d’une installation.  Les quotas délivrés après qu’un exploitant a cessé les activités exercées dans l’installation concernée par ces quotas, sans en avoir informé au préalable l’autorité compétente, ne peuvent être qualifiés de « quotas » d’émission, au sens de l’article 3, sous a), de la directive 2003/87“. Ainsi, la Cour ne se prononce en réalité pas sur la qualification juridique des quotas, estimant en l’espèce que les quotas indument délivrés « ne peuvent être qualifiés de quotas ». En réalité, une telle restitution implique non pas l’expropriation d’un bien qui ferait déjà partie intégrante du patrimoine de l’exploitant, mais simplement le retrait de l’acte allouant des quotas. En effet, si une installation a cessé ses activités à une date antérieure à celle de l’allocation de quotas d’émission, ces derniers ne pourront pas, de toute évidence, être utilisés en vue de comptabiliser les émissions de GES qui ne sont plus susceptibles d’être produites par celle­ci. Ainsi, l’injonction de restitution était légitime. Dans ces conditions, le défaut de restitution des quotas litigieux porterait atteinte aux exigences de comptabilité stricte, d’exactitude et de concordance entre les émissions réelles et les émissions autorisées. En effet, la CJUE rappelle, après l’avocat général, que « l’économie générale de la directive 2003/87 repose sur une stricte comptabilité des quotas délivrés, détenus, transférés et annulés, dont le cadre est fixé à l’article 19 de celle-ci. Cette comptabilité précise est inhérente à l’objet même de ladite directive, à savoir l’établissement d’un système communautaire d’échange de quotas…

Les modalités de restitution d’une installation classée par le preneur

Par Maître Aurelien BOUDEWEEL Green Law Avocats Par un arrêt en date du 23 juin 2016 (C.cass., civ 3ème, 23 juin 2016, n°15-11.440) la Cour de cassation rappelle que le réaménagement  du site sur lequel a été exploitée une installation classée fait partie intégrante de l’activité exercée. Par conséquent l’indemnité d’occupation due pendant la remise en état du site après cessation de l’activité est fixée par référence au loyer prévu au bail. En l’espèce, une société a exploité en qualité de preneur, un terrain en vue d’exploiter une décharge par enfouissement de déchets industriels, installation classée au sens du Code de l’environnement. Dans la perspective de l’arrêt d’exploitation du site, la société exploitante de l’installation avait donné congé au bailleur avec effet au 31 décembre 2004 et, a dans le même temps déposé un dossier de fin d’exploitation. Il est utile de préciser que la société exploitante a alors inévitablement continué à occuper le site afin de pouvoir se conformer aux prescriptions préfectorales de remise en état postérieurement au 31 décembre 2004. Les propriétaires bailleurs ont alors assigné la société exploitante afin d’obtenir une indemnité d’occupation que cette dernière refusait de verser. Rappelons qu’aux termes des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, désormais codifiée aux articles L. 511-1 et suivants du code de l’environnement, la charge de dépollution d’un site industriel incombe en effet au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué. Au visa de ces dispositions, une Cour d’appel a ainsi déduit, à bon droit, que cette obligation de remise en état d’une installation classée, résultant d’une obligation « particulière », commençant avec la déclaration faite par l’exploitant à l’Administration, en l’espèce par le locataire, et s’achevant avec le nettoyage des cuves à la fin de l’exploitation, était à la charge du preneur (Cass. 3e civ., 10 avr. 2002, n° 00-17.874 : JurisData n° 2002-013924 ). Saisi du litige, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait rejeté l’action des propriétaires: « Attendu qu’il résulte de ces textes que le réaménagement du site sur lequel a été exploitée une installation classée fait partie intégrante de l’activité exercée et de ce principe que l’indemnité d’occupation due pendant la remise en état d’un site, après cessation de l’activité, doit être fixée par référence au loyer prévu au bail ; Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 27 novembre 2014), que la société X, venant aux droits de la société Y, locataire de terrains destinés à l’usage de décharge de déchets industriels, installation classée dont l’exploitation a été autorisée jusqu’au 30 juin 2004, a déposé, le 2 juin 2004, un dossier de fin d’exploitation et notifié, les 28 et 29 juin 2004, aux bailleurs, Mme Elisabeth X…veuve Y…, MM. Christophe, Stéphane, Guillaume et Florent Y… et Mmes Judith et Sara Y… (les consorts Y…) un congé à effet du 31 décembre 2004 ; que, la société X ayant continué à occuper les terrains au-delà de cette date pour procéder à un réaménagement conforme aux prescriptions préfectorales, les consorts Y… ont sollicité sa condamnation au paiement d’un arriéré de loyers ou d’une indemnité d’occupation ; Attendu que, pour fixer l’indemnité d’occupation à une certaine somme correspondant à la valeur locative d’une terre agricole, l’arrêt retient qu’au-delà du 31 décembre 2004, les propriétaires ne pouvaient plus donner leurs terrains à usage de décharge ni même à un autre usage commercial ou industriel, en considération des contraintes environnementales résultant de l’exploitation de cette ancienne carrière à usage d’enfouissement de déchets, que l’occupation des terrains par la société X privant les propriétaires de jouissance pour la période concernée ne leur a causé qu’un préjudice très limité, qui ne peut être évalué sur la base du loyer convenu entre les parties pendant la période d’exploitation commerciale de la décharge et qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité correspondant à la fourchette basse de la valeur locative des terres agricoles de moyenne qualité, seul usage potentiel envisageable de ces terrains à l’issue du suivi post-exploitation de trente ans». L’arrêt rendu par la Cour de cassation confirme le courant jurisprudentiel de ces dernières années. Relevons que dans une espèce relative à des locaux à usage commercial de garage automobile donnés à bail, les bailleurs ayant notifié au preneur un congé avec refus de renouvellement et offre d’une indemnité d’éviction, les juges du fond ont pu à juste titre considérer que l’indemnité d’occupation avait couru jusqu’au 1er  juin 2006, date à laquelle la locataire avait justifié avoir pris les mesures relatives à la mise en sécurité du site et s’agissant des réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes de les avoir neutralisés conformément aux dispositions de l’article 18 de l’arrêté du 22 juin 1998 (A. 22 juin 1998, art. 18) ; peu important que la locataire ait libéré les lieux en 2005 (Cass. 3e civ., 19 mai 2010, n° 09-15.255 : JurisData n° 2010-006605). La solution est logique dans la mesure où le propriétaire d’un immeuble et/ou terrain sur lequel un preneur a exploité une installation classée, ne peut le remettre en location tant qu’une remise en état conforme à la législation sur les installations classées n’est pas intervenue. La décision de la Haute juridiction est l’occasion de rappeler aux bailleurs de terrains qui sont occupés par des industriels qu’ils sont en droit d’obtenir une indemnisation même après un congé donné par ces derniers. L’indemnité sera calculée sur celle fixée par le bail conclu. En cas de doute sur la soumission de l’entreprise au régime des installations classées, rappelons que le bailleur a toujours la possibilité comme tout administré de solliciter auprès de l’administration des renseignements en la matière.