Achat d’un terrain en zone inconstructible en vue d’y construire une habitation : responsabilité du notaire pour manquement à son devoir de conseil
La Cour de cassation ne manque pas une occasion de rappeler et d’affirmer l’importance de l’obligation de conseil qui pèse sur les notaires, rédacteurs d’actes, et tenus, à cet égard, d’en assurer la pleine efficacité juridique et pratique. L’acquisition d’un terrain inconstructible pour construction… En l’espèce, des époux avaient acquis un terrain nu, en fait un pré, en vue d’y édifier ultérieurement un immeuble à usage d’habitation. L’acte authentique de vente mentionnait le projet de construction des acquéreurs ainsi qu’aux termes du certificat d’urbanisme annexé et repris au sein même de l’acte le classement en zone ND du terrain objet de la vente. Les époux faisant état de la découverte postérieure du caractère inconstructible du terrain acquis ont alors assigné le notaire rédacteur de l’acte, sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du Code civil, pour manquement à son obligation de conseil aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’ils estimaient subir de ce fait. Déboutés en appel, ils ont alors formé un pourvoi en cassation qui a été accueilli par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation. Le manquement du notaire à son obligation de conseil retenu La Haute juridiction, aux termes d’un arrêt en date du 5 avril 2012 (Cass. 1ère civ., 5 avril 2012, n°11-15.056,439 : Juris-Data n°2012-007061), a censuré la Cour d’appel de Poitiers qui avait retenu l’absence de défaut de conseil du notaire en considération des circonstances de fait suivantes développées par l’officier ministériel : – l’acte de vente précisait expressément le classement en zone ND du terrain et le certificat d’urbanisme était dûment annexé, – le classement en zone ND et le caractère inconstructible en résultant était justifié par le risque d’inondation en raison de la proximité d’une rivière, – les acquéreurs auraient donc dû savoir que le terrain était inconstructible, et ce d’autant plus qu’ils possédaient des compétences suffisantes en immobilier pour avoir fait, précédemment, plusieurs acquisitions et s’être passés, dans le cadre de la présente transaction, d’un agent immobilier ou d’un notaire pour procéder à la négociation, – en tout état de cause, le projet de construction n’était visé à l’acte de vente que comme réalisation ultérieure et le plan d’occupation des sols était toujours susceptible d’évoluer postérieurement, ce qui pouvait laisser penser que les acquéreurs espéraient une telle modification pour l’avenir. La Cour de cassation fait fi de ces arguments et affirme : « l’intention manifestée par les acquéreurs d’édifier une construction sur le terrain litigieux imposait au notaire, tenu de s’assurer de l’efficacité de l’acte auquel il prêtait son concours, d’attirer leur attention sur le caractère inconstructible du terrain et sur le sens d’une classification du bien en « zone ND », peu important à ce titre les compétences personnelles des époux… ». La distinction obligation de renseignement/devoir de conseil Cet arrêt permet tout d’abord d’illustrer la distinction, souvent confuse, entre la simple obligation de renseignement et le véritable devoir de conseil qui impose une charge beaucoup plus lourde à son débiteur. L’obligation de renseignement suppose de fournir toutes les informations utiles au client, c’est-à-dire l’ensemble des données brutes et objectives nécessaires à la conclusion de l’acte. L’obligation de conseil va, quant à elle, beaucoup plus loin dès lors qu’elle impose de tirer toutes les conséquences des renseignements donnés et de s’interroger sur l’opportunité de l’acte eu égard au but et objectifs poursuivis par le client. En l’espèce, l’information donnée par le notaire quant au classement en zone ND relevait de l’obligation de renseignement dont est tenu l’officier ministériel. Le notaire avait donc correctement rempli celle-ci en sollicitant la délivrance d’un certificat d’urbanisme, en l’annexant à l’acte et en reprenant son contenu au sein même de l’acte. Cependant le classement en zone ND étant, de par l’inconstructibilité qu’il générait, susceptible de remettre en cause le projet de construction d’un immeuble à usage d’habitation envisagé par les acquéreurs, le notaire aurait dû attirer expressément leur attention sur cette question. Il aurait dû interroger les potentiels acheteurs sur leur volonté réelle quant à l’acquisition qui lui était soumise, et, au besoin, clairement leur déconseiller celle-ci en raison de leur projet manifestement compromis au jour de la signature de l’acte, ce qu’il n’a pas fait ou, en tout état de cause, ce dont il n’a pu apporter la preuve. L’étendue de l’obligation de conseil La question qui se posait ensuite était de savoir si la compétence des clients en la matière pouvaient être prise en compte pour limiter voire occulter ladite obligation de conseil et permettre ainsi au notaire d’échapper à sa responsabilité professionnelle. Si pendant longtemps la jurisprudence a appréhendé l’intensité du devoir de conseil en fonction de la compétence éventuelle du client du notaire (Cass. 1ère civ., 2 juillet 1991, n°90-12065 : Bull.civ. I, n°228, p. 150 : « l’étendue de l’information que le notaire doit donner à son client au titre de son devoir de conseil varie selon que le client est ou non un professionnel avisé »), tel n’est cependant plus le cas aujourd’hui. En effet, les tribunaux estiment que les notaires ne peuvent échapper à leurs obligations en raison des connaissances particulières de leurs clients (Cass. 1ère civ., 12 juillet 2005, n°03-19.321 : Bull. civ. I, n°323, p. 267 : « le notaire n’est pas dispensé de son devoir de conseil par les compétences ou connaissances personnelles de son client » ; pour une espèce où le client était lui-même notaire, Cass. 1ère civ., 3 avril 2007, n°06-12831 : Juris-Data n°2007-038320). L’appréciation de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans la présente affaire s’inscrit donc parfaitement dans la droite ligne de la jurisprudence qui tend à un véritable durcissement des obligations des professionnels. Il reste donc à la cour de renvoi, en l’espèce la Cour d’appel de Limoges, à se prononcer sur le préjudice susceptible de résulter de ce manquement à l’obligation de conseil. Cela donnera assurément lieu à une autre bataille juridique sur les chefs de préjudices indemnisables ou non à ce titre et où la qualité des parties a également un rôle à jouer dans le cadre d’un éventuel partage de responsabilité… …