Suspension de l’arrêté limitant en Hauts-de-France les retournements de prairie

Suspension de l’arrêté limitant en Hauts-de-France les retournements de prairie

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Par une ordonnance (TA Lille, 26 janvier 2024, ord. n° 2311301), le juge des référés du Tribunal administratif de Lille, sur requête de l’UNION DES SYNDICATS AGRICOLES DE L’AISNE (USAA), l’exécution de l’arrêté du préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord en date du 27 novembre 2023 fixant les modalités du régime d’autorisation de conversion des prairies permanentes à d’autres usages au sein de la région Hauts-de-France au titre du programme d’actions régional en vue de la protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole.

Algues vertes : annulation partielle des 4e programmes d’action départementaux

On dit qu’”Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir”. Cette annulation contentieuse (les jugements sont téléchargeables sur ce lien : n° 1000233 à 36) ne saurait pourtant surprendre quant à son motif l’Etat français : elle interventient en raison de mesures insuffisantes prises pour lutter contre la pollution des sols par les nitrates d’origine agricole. A la requête des associations BRETAGNE VIVANTE et EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE, le Tribunal administratif de Rennes a annulé partiellement, par quatre jugements en date du 30 mars 2013 (n°1000233, 1000234, 1000235, 1000236), les arrêtés pris respectivement par les Préfets du Finistère, du Morbihan, de l’Ile et Vilaine, et des Côtes d’Armor établissant les quatrièmes programmes d’action départementaux en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole.   C’est la directive communautaire n°91/676/CEE du 12 décembre 1991, dite « directive nitrate », qui est à l’origine de ces programmes d’actions lesquels ont pour objectif de maîtriser la pollution des sols par les nitrates d’origine agricole. A la suite de cette directive, la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 a été adoptée et l’ensemble de la Bretagne a été classée comme zone vulnérable et soumise alors une protection renforcée.   Les arrêtés contestés autorisaient l’épandage des effluents d’élevage à partir du 15 février de chaque année sur les terres de culture de maïs. Cette date a été jugée trop précoce par le Tribunal administratif car, lointaine de la période d’ensemencement, elle ne permet pas d’éviter le ruissellement des éléments -dont nitrates- apportés par l’épandage et donc de lutter suffisamment contre la prolifération des algues vertes :   « qu’il résulte de ces éléments comme de l’instruction que les dates retenues pour l’épandage au 15 février sont sans rapport avec les exigences du maïs dont les semis interviennent plus tardivement, sans que le tribunal ne trouve d’ailleurs au dossier d’autre obstacle au recul de la date d’épandage que les capacités de stockage du lisier par les exploitants en cas d’épandage plus tardif ; qu’il apparaît incontestable , au vu des pièces du dossier, que le recul de la date d’épandage est de nature à éviter le ruissellement des éléments apportés par l’épandage alors que le préfet lui-même prévoira dans son arrêté complémentaire un tel recul afin de lutter dans les bassins versants contre la prolifération des algues vertes ; » (Tribunal administratif de Rennes, 30 mars 2013, n°1000233, ASSOCIATIONS BRETAGNE VIVANTE et EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE)   Par ailleurs, le programme d’action ne comportait aucune mesure spécifique relative à la maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles sur les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les algues vertes. Le Tribunal a jugé cette absence de mesure spécifique illégale, compte tenu de l’importance du phénomène de prolifération des algues vertes et de la nécessité de renforcer les moyens de restauration de la qualité de l’eau :   « 10. Considérant que le préfet des Côtes-d’Armor a refusé de faire droit à la demande de l’association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE et de l’association BRETAGNE VIVANTE d’inclure dans le programme d’action des mesures particulières et renforcées à l’égard des secteurs les plus sensibles que constituent les bassins versants des cours d’eaux alimentant les baies où se constate de la façon la plus marquée la prolifération des algues vertes ; que l’importance de ce phénomène, majoritairement lié au phosphore et à l’azote contenu dans le lisier épandu, qui relève avec une particulière acuitédes objectifs de la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991, dont les dispositions ont été transposées notamment dans celles des articles R. 211-80 et R. 211-81 du code de l’environnement relatif aux programmes d’action, implique un renforcement majeur des moyens de restauration de la qualité de l’eau ; que l’arrêté pris le 21 juillet 2010, moins d’une année après l’arrêté attaqué, par le préfet des Côtes-d’Armor pour satisfaire à ces objectifs dans les bassins versants, alors que la situation n’avait pas connu d’aggravation particulièrement importante depuis 2009, atteste du bien-fondé de la demande de l’association EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE et de l’association BRETAGNE VIVANTE et de l’erreur manifeste d’appréciation commise dans l’arrêté initial ; qu’il y a lieu, par suite d’annuler la décision du 20 novembre 2009 également sur ce point ; » (Tribunal administratif de Rennes, 30 mars 2013, n°1000233, ASSOCIATIONS BRETAGNE VIVANTE et EAU ET RIVIERES DE BRETAGNE)   En conséquence, le Tribunal a annulé partiellement les arrêtés préfectoraux et enjoint l’Etat de fixer d’une part, dans un délai de trois mois, « une nouvelle date autorisant l’épandage ne pouvant être antérieure au 31 mars » et d’autre part, de « compléter le 4e programme d’action par toute mesure de maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles dans les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les échouages d’ulves dans le délai de trois mois ».   C’est une victoire pour les deux associations bretonnes de protection de la nature qui militent pour une refonte de la réglementation sur les nitrates en France.   Ces associations avaient déjà pu se réjouir de la condamnation récente de l’Etat à indemniser le coût de ramassage communal des algues vertes prononcée par la Cour administrative d’appel de Nantes le 22 mars 2013 (nous en avions parlé ici : https://www.green-law-avocat.fr/letat-encore-condamne-a-indemniser-le-ramassage-communal-des-algues-vertes/). Me Anaïs  DE BOUTEILLER (Green Law Avocat)  

L’Etat encore condamné à indemniser le ramassage communal des algues vertes !

L’amitié est comme les algues, nous enseigne un proverbe gabonais : quand on s’en approche, elles s’éloignent et quand on s’éloigne, elles se rapprochent.   En Bretagne  les choses sont bien moins poétiques : les algues restent et les vrais pollueurs prennent le large…   La prolifération des algues vertes en Bretagne causée par des pollutions d’origine agricole des eaux superficielles et souterraines donne lieu à un contentieux indemnitaire récurrent, dont l’unique responsable est l’Etat qui renonce par ces « carences fautives » à imposer le respect des règles environnementales.   Dans quatre arrêts récents, la Cour administrative d’appel de Nantes a donné gain de cause à quatre communes bretonnes en condamnant l’Etat à indemniser le préjudice subi par la prolifération des algues vertes, constitué en l’espèce par le coût du ramassage et du transport de ces algues pour l’année 2010 (Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00342, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00343, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00344, Inédit au recueil Lebon ; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00345, Inédit au recueil Lebon).   Les quatre communes ont obtenu des indemnités comprises entre 9000 et 72 000 euros.   En 2009, la même Cour avait condamné l’Etat à indemniser, cette fois-ci, des associations en réparation du préjudice moral résultant pour elles « d’une atteinte importante aux intérêts collectifs environnementaux qu’elles se sont données pour mission de défendre » et imputé à la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des réglementations européenne et nationale en matière de pollution des eaux par les nitrates (Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre , 01/12/2009, 07NT03775). Les montants octroyés étaient compris entre 3 000 et 15 000 euros.   Dans chacun des arrêts précités de mars 2013, la Cour reprend un raisonnement identique à son arrêt de 2009 pour admettre la responsabilité de l’Etat dans la prolifération des algues.   La Cour indique que l’Etat a commis une faute en ne contrôlant pas suffisamment la qualité de l’eau et les pollutions diffuses d’origine agricole dans le sol, en ne respectant pas notamment la réglementation européenne. Ces carences ont entraîné dans un premier temps des pollutions très importantes de nitrates dans les eaux, puis la prolifération d’algues vertes sur le littoral breton. Les communes ont dû ramasser et transporter ces algues mais le coût de cette prise en charge n’a pas été supporté en intégralité par l’Etat.   Aussi, la Cour considère que le surcoût du transport et de ramassage des algues constitue un préjudice financier pour les communes, lequel présente un lien direct et certain avec les carences fautives de l’Etat :   « 8. Considérant qu’il résulte des développements qui précèdent que les carences de l’Etat dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole sont établies ; que ces carences sont constitutives d’une faute de nature à engager sa responsabilité ; que la circonstance invoquée par le ministre que l’Etat aurait mis en place, depuis 2003, des programmes d’action en matière de lutte contre les pollutions existantes, dont les résultats, ainsi qu’il a été dit plus haut, ne sont pas démontrés et dont il n’est pas contesté qu’ils ne seront pas en mesure, en tout état de cause, compte tenu de la nature et de l’ampleur des pollutions existantes liées aux carences sus-décrites, d’améliorer la situation avant de nombreuses années, n’est pas susceptible d’atténuer cette responsabilité; 9. Considérant que si l’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales précise que les communes concourent avec l’Etat à la protection de l’environnement, et si l’article L. 2212-3 du même code prévoit que le pouvoir de police du maire s’exerce, dans les communes riveraines de la mer, sur le rivage de la mer jusqu’à la limite des eaux, ces dispositions ne sauraient, contrairement à ce que soutient le ministre, être interprétées comme ayant pour effet d’exonérer, même partiellement, l’Etat de sa responsabilité à raison des fautes commises par lui, ainsi qu’il vient d’être dit, dans l’application des règlementations européenne et nationale en matière de prévention des pollutions d’origine agricole ; 10. Considérant, enfin, que le ministre ne peut invoquer, pour exonérer l’Etat de sa responsabilité, les stipulations de la convention du 15 avril 2010 portant délégation de maîtrise d’ouvrage à Lannion-Trégor agglomération pour la mise en œuvre du ramassage et de l’évacuation des algues vertes, celles de la convention du 26 mai 2010 relative au ramassage expérimental et préventif des algues vertes pour l’année 2010, et celles de la convention du 30 novembre 2010 relative au traitement des algues vertes, auxquelles la commune de Tréduder est partie, qui ne prévoient nullement la prise en charge, par cette dernière, d’une partie des frais exposés pour le ramassage des algues vertes ; 11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’obligation de payer dont se prévaut la commune de Tréduder à l’égard de l’Etat, n’est, dans son principe, pas sérieusement contestable ; »Cour Administrative d’Appel de Nantes, 2ème Chambre, 22/03/2013, 12NT00342, Inédit au recueil Lebon     Notons que les différentes indemnisations ont été octroyées malgré la conclusion de conventions de délégation de service public passées entre l’Etat et certains EPCI pour financer le ramassage et le transport des algues vertes, dès lors que l’enveloppe financière octroyée par l’Etat ne correspondait pas aux frais réels supportés par les collectivités.   On peut par ailleurs s’interroger sur l’exclusivité du chef de préjudice invoqué par les requérants, constitué par le coût du ramassage des algues. La responsabilité de l’Etat étant établie, pourquoi les communes n’ont-elles pas sollicité l’indemnisation d’autres préjudices tels que le préjudice financier lié à la baisse de fréquentation touristique ou encore le préjudice d’image ? Dans d’autres circonstances certaines grandes sociétés concessionnaires ne s’en étaient pas privées (D. Deharbe et L. Chabanne-Pouzynin, « L’affaire de Guingamp ou la condamnation de l’Etat en matière de pollution de l’eau par les nitrates – note sous TA Rennes, 2 mai 2001, Société Suez…