Régularisation de l’insuffisante présentation des capacités financières : le TA d’Amiens se lance !
Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocat) Aux termes d’un jugement du 29 mai 2018 (n°1601137), le Tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté d’autorisation d’exploiter une porcherie pour insuffisance de la présentation des capacités financières dans le dossier soumis à enquête publique. Ce motif d’annulation est devenu extrêmement courant depuis que le Conseil d’Etat a décidé, ex nihilo et sans laisser le temps aux porteurs de projet de s’adapter, que le pétitionnaire doit justifier d’engagements fermes dès le stade de la demande d’autorisation (CE, 22 fév. 2016, n°384821). Parallèlement, le Tribunal a délivré à l’exploitant une autorisation d’exploiter temporaire de 12 mois, le temps que l’instruction soit régularisée et qu’une nouvelle autorisation soit délivrée. La première originalité de cette décision réside dans le choix du Tribunal de la fonder sans aucune référence au nouveau régime contentieux issu de l’autorisation environnementale (1) ; la seconde, dans la prescription finale du Tribunal : le Préfet doit se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières (2). Une illustration des pouvoirs de plein contentieux « classiques » du juge des installations classées Le Tribunal décide d’annuler l’autorisation tout en délivrant une autorisation provisoire. Pourtant, tous les critères des dispositions issues du I du nouvel article L. 181-18 du code de l’environnement étaient satisfaits. Le Tribunal aurait ainsi pu : soit annuler partiellement l’autorisation en tant que la phase de l’enquête publique avait été viciée (comme l’avait fait le Tribunal administratif de Lille, 25 avril 2017, n°n°1401947, également pour une insuffisance de présentation des capacités financières), soit prononcer un sursis à statuer aux termes d’un jugement avant dire droit dans l’attente de la régularisation du dossier (solution préconisée par le Conseil d’Etat dans son récent avis du 22 mars 2018, n°415852, là aussi dans le cadre de la problématique capacités financières). De même, en complément de cette décision d’annulation partielle ou de sursis à statuer, le Tribunal aurait pu décider d’appliquer cette fois le II de l’article L . 181-18 précité. Il aurait ainsi décidé de ne pas suspendre l’exécution, respectivement : soit des parties non viciées de l’autorisation, soit de l’autorisation elle-même, dans l’attente de sa régularisation dans le cadre du sursis. Mais là encore, le Tribunal a préféré faire usage du pouvoir classique de délivrance d’une « autorisation provisoire » le temps de la régularisation, en se fondant sur l’article L. 171-7 du code de l’environnement tel qu’interprété par la jurisprudence (les modalités de mise en œuvre sont rappelées dans l’avis du 22 mars 2018 précité), et non sur les nouvelles dispositions. Dans les deux cas, le résultat aurait été le même puisque le Tribunal aurait eu la possibilité de préciser dans son jugement que le vice de l’information du public constaté peut être régularisé par la seule mise à disposition du public des documents, tout en permettant à l’exploitant de continuer à exploiter le temps de cette régularisation. Le Tribunal démontre ainsi le caractère en réalité peu novateur des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement : le juge de plein contentieux disposait déjà de ces pouvoirs. 2. Un exemple de « modalité de régularisation du vice de l’information autre que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique » La véritable innovation provient en réalité de l’avis du 22 mars 2018 qui permet la régularisation du vice de l’information du public, jusque-là non régularisable, et non du nouveau texte. Notons néanmoins qu’il est probable que l’ajout dans le texte de l’article L . 181-18 de la possibilité d’une annulation au stade d’une « phase de l’instruction » a certainement joué en rôle dans cette levée de verrou. Nous le chroniquions sur le blog de Green Law Avocats, aux termes d’un récent avis (22 mars 2018, n°415852), le Conseil d’Etat a ainsi clairement précisé que le juge des installations classées, face à une irrégularité procédurale ayant eu pour effet de vicier l’information du public, est susceptible de « fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». A la suite de cette décision, confronté au moyen tiré de l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact du dossier, le Tribunal administratif d’Orléans (24 avr. 2018, n°1602358) a décidé d’interroger le Conseil d’Etat notamment sur ces modalités de régularisation du vice de l’information du public autres que la reprise de l’ensemble de l’enquête publique. Nous nous interrogions dans notre commentaire : quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? En l’espèce, le Tribunal administratif d’Amiens prend ses responsabilités et prescrit directement au Préfet de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation, « après avoir rendu publics les documents permettant d’attester » les capacités financières. Le Tribunal ne semble ainsi pas juger nécessaire qu’il y ait participation du public, c’est à dire que celui-ci soit en mesure de commenter les documents : ceux-ci doivent simplement être rendus publics. Ce qui somme toute est fort logique : le public aura tout loisir de saisir le juge de la nouvelle autorisation s’il juge les capacités encore insuffisantes et en ce sens le principe de participation est sauf. Remarquons également que pour le Tribunal les modalités précises du dévoilement des documents restent à l’appréciation du Préfet, sous le contrôle du juge.