Eoliennes/radar météo: le juge administratif annule des refus de permis, faute d’enjeu pour la sécurité publique (TA Amiens, 18 février 2014)

Le Tribunal administratif d’Amiens vient de rendre sa décision quant à la compatibilité d’éoliennes avec un radar météorologique de bande C en zone de coordination et ceci après expertise. Cette décision attendue par les opérateurs ne déçoit pas : elle annule des refus de permis de construire pour des machines situées à 16km du radar d’Avesnes s/ Helpe (TA Amiens, 18 février 2014, « Ecotera c/ Préfet de Région Picardie », jurisprudence cabinet: jugement BTN 18.02.14). Notre analyse synthétique est publiée par le site spécialisé actu-environnement. De manière plus approfondie, il est nécessaire de mettre en perspective les deux considérants essentiels du jugement en question. A l’aune d’une démocratie des risques très exigeante avec la participation du public et d’une démarche préventive n’hésitant plus à se saisir des situations de précaution, le juge administratif ne peut demeurer béat face aux avis techniques des services et autres établissements publics qui se réclament de la sécurité publique dans le cadre de procédures d’autorisation préalables. Il y a certes un dilemme pour le juge administratif : d’un côté il ne peut ignorer que les avis techniques servent d’appui à la décision administrative et la fondent en scientificité, de l’autre il ne peut renoncer à s’assurer de la matérialité des faits, ce qui est exigible même d’un contrôle juridictionnel restreint sur la décision attaquée. Subrepticement, ces avis techniques sont dès lors acceptés par le juge administratif comme des données faisant foi, jusqu’à preuve du contraire. Or, même si traditionnellement les juridictions administratives s’avèrent naturellement perméables aux argumentaires de l’Etat se réclamant de la sécurité publique, le Tribunal administratif d’Amiens vient de donner raison à un opérateur éolien contestant les thèses de l’établissement public Météo-France quant à la perturbation par les aérogénérateurs des radars météorologiques et aux enjeux de sécurité civile. Avec son jugement Sté Ecotera /Préfet de Région Picardie (n°0903355-4), lu le 18 février 2014, le juge administratif dévoile au grand jour la véritable comédie jouée par Météo-France à l’autorité de police en charge de la délivrance des permis de construire, pour faire systématiquement interdire par les préfets tout développement éolien dans les zones dites « de coordination » autour de ses radars. Cette zone de coordination a jusqu’ici été imposée aux demandes de permis de construire avec pour seule base légale l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme sachant que cette disposition interdit la délivrance du permis portant atteinte à la sécurité publique. Or pour fonder en scientificité le risque de perturbation et l’évaluer, Météo-France fait reposer ses avis défavorables sur le rapport de la commission consultative de la compatibilité électromagnétique de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) en date du 19 septembre 2005, dit « rapport CCE5 n°1 » et sur le guide relatif à la problématique de la perturbation du fonctionnement des radars par les éoliennes, élaboré par la même commission consultative de la compatibilité électromagnétique le 3 juillet 2007. Aux termes de ce que le juge administratif avait fini par qualifier de « données acquises de la science », il est ainsi considéré que l’implantation, d’éoliennes dans un rayon de 20 kilomètres autour d’un radar météorologique fonctionnant en fréquence « bande C », est susceptible de perturber le fonctionnement de ce dernier par le blocage de son faisceau, par des échos fixes ou par la création, en raison de la rotation des pales, de zones d’échos parasites au sein desquelles les données recueillies par « mode Doppler » sont inexploitables. En conséquence, il est « recommandé » : –        D’une part, de n’implanter aucune éolienne à moins de 5 kilomètres d’un tel radar et de subordonner leur installation, dans un rayon d’éloignement de 5 à 20 kilomètres, dite distance de coordination, â des conditions relatives à leurs caractéristiques techniques, et notamment leur «surface équivalent radar» (SER), à leur visibilité avec le radar, ainsi qu’à leur nombre et leur disposition ; –        D’autre part, s’agissant des risques de création d’échos parasites affectant les données recueillies par mode Doppler, ces conditions sont destinées à ce que l’exploitant du radar puisse s’assurer que la taille de la zone de perturbation engendrée par les éoliennes ne soit pas supérieure, dans sa plus grande dimension, à 10 kilomètres. Guidé par la volonté de mettre à bonne distance de leurs radars les éoliennes par précaution commerciale, dans une logique de R&D et avec « toujours un temps d’avance », la stratégie de l’établissement public était simple : il rendait des avis défavorables en zone de coordination sur la base d’une perturbation exagérée des radars météorologiques et dont les conséquences pour les missions de sécurité civile étaient tout simplement postulées. Englué dans cette stratégie systématisée par Météo-France, l’Etat a fini par se faire prendre en flagrant délit d’exagération de la perturbation quand le juge a décidé d’en passer par une expertise judiciaire. Ladite expertise ruine les thèses de Météo-France, tant au regard de l’évaluation de la perturbation (1) que sur le terrain de ses impacts sur la sécurité civile (2). La relativité de la perturbation révélée en expertise par les productions de Météo-France Le jugement du Tribunal administratif d’Amiens se réclame d’abord d’une expertise qui semble relativiser en fait l’appréciation par Météo-France de la zone d’impact Doppler : « Considérant d’une part, que le projet de parc présenté par la société Ecotera au préfet de l’Aisne est constitué de six éoliennes, d’une hauteur de 150 mètres chacune et comprenant des pales d’une longueur de 50 mètres, dont la plus proche se situe à 16,3 kilomètres du radar d’Avesnes, soit, dans la zone dite de coordination sus décrite ; qu’il ne se situe à proximité d’aucun autre parc autorisé dans la zone de coordination de 20 kilomètres autour de ce radar, en sorte que sa zone d’impact, même calculée sur le fondement d’une surface équivalent radar de 200 m2 ne se superpose à aucune autre ; que la plus grande dimension de cette zone d’impact, calculée par Météo France sur le fondement de cette surface, est égale à 11,9 km, soit un dépassement limité de la dimension maximale de 10 km recommandée par l’ANFR ; que ce projet respectait par ailleurs les huit autres points d’analyse des projets éoliens,…