Le projet de décret sur l’Ae en consultation

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) En application de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, le Gouvernement a lancé une consultation publique du 7 février 2020 au 28 février 2020 sur le Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale, texte très attendu. I/ L’objet du projet de décret Ce projet de décret (téléchargeable ici) soumis à la consultation du public a pour principal objet d’appliquer la décision « association FNE » du Conseil d’État du 6 décembre 2017 (n° 400559) et l’article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat. On sait en effet que le précédent décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 relatif à l’autorité environnementale confiait, pour un certain nombre de projets, aux préfets de région la compétence  d’Ae (s’agissant des avis comme des examens au cas par cas), aux côtés de l’Ae du CGEDD et des MRAe. Or dans sa décision du 6 décembre 2017 (n° 400559, recours contre le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale), le Conseil d’État a jugé que l’autorité environnementale, dans son rôle consultatif (avis), pouvait également être autorité compétente pour autoriser le projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage sous réserve qu’une séparation fonctionnelle au sein de cette autorité soit organisée. Cette solution trouve son fondement dans les directives dites projet et programme de l’Union européenne et surtout dans l’interprétation que donne la CJUE de la seconde dans  son arrêt Seaport (CJUE, 20 oct. 2008, C-474/10). Le décret 28 avril 2016 n’avait pas prévu un tel dispositif dans les cas où le préfet de région était compétent pour autoriser le projet ou lorsqu’il était en charge de l’élaboration ou de la conduite du projet au niveau local. En conséquence, le Conseil d’État a annulé le 1° de l’article 1er du décret 28 avril 2016 en tant qu’il maintenait, au IV de l’article R.122-6 du code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité environnementale. Pour tenter de sauver les projets en cours, des instructions ont été données aux préfets afin que les dossiers concernés soient transférés aux Missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) pour ce qui concerne les avis ; de son côté le juge administratif a admis l’indépendance fonctionnelle de la MRAe et a même validé la possibilité de régulariser avec une nouvelle consultation de la MRAe les projets dont l’autorisation environnementale avaient été annulée (CE, avis, 27 sept. 2018, nº 420119 – CE, 27 mai 2019, nº420554/nº420575 ; cf. sur le refus de prononcer le sursis à exécution d’un arrêt d’appel qui n’aurait pas relevé un tel vice : CE, 6 nov. 2019, nº 430352) Reste que le Conseil d’Etat a confirmé son exigence d’autonomie fonctionnelle de l’Ae (CE, 21 août 2019, Assoc. Citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et a., n° 406892, 406894 – CE, 13 mars 2019, n°414930). Ainsi s’agissant du contentieux éolien, le Conseil d’Etat a nettement jugé que les services placés sous l’autorité hiérarchique du préfet de région, tels que les DREAL ne disposaient pas, « en principe », d’une autonomie réelle à son égard (CE, 20 sept. 2019, nº428274) et qu’ainsi ne commettait aucune erreur de droit, la Cour qui avait estimé que, en l’espèce, cet avis de l’autorité environnementale comme irrégulier. Désormais avec le projet décret mis à consultation du public, le Gouvernement envisage de confier à la MRAe la responsabilité de rendre les avis sur les projets ne relevant pas d’une autorité environnementale nationale (ministre chargé de l’environnement ou formation nationale du Conseil général de l’environnement et du développement durable). Reste que le gouvernement a toujours maintenu, même après l’arrêt « association FNE » du Conseil d’Etat, la compétence du préfet de région pour l’examen au cas par cas, Au demeurant, ce projet de décret s’efforce de transcrire l’article L.122-1 du code de l’environnement qui a été modifié, par l’article 31 de la n° 2019-1147 du 8 novembre 2017 relative à l’énergie et au climat, afin de distinguer, pour les projets, autorité chargée de l’avis et autorité chargé de l’examen au cas par cas. la loi confie cette compétence non plus à l’« autorité environnementale » mais à une « autorité chargée de l’examen au cas par cas » qui sera définie par décret. Mais le Parlement a accepté ce transfert de compétence à la condition toutefois que  soient prévenus les conflits d’intérêt avec le « maître d’ouvrage » ou la personne « en charge du projet ». II/ Principales modifications opérées par le projet de décret : L’article R. 122-3 actuel est scindé en deux articles distincts (article R. 122-3 et R. 122-3-1) afin de distinguer plus explicitement les dispositions visant à désigner l’autorité en charge de réaliser l’examen au cas par cas des projets qui y sont soumis (article R. 122-3) de celles visant à préciser le déroulé de la procédure d’examen au cas par cas (article R. 122-3-1) ; L’article R. 122-6 est modifié pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat et confier aux MRAe le soin de rendre les avis qui relevaient précédemment de la compétence du préfet de Région ; L’article R. 122-7 est toiletté à la marge afin de clarifier la durée dont disposent les collectivités territoriales pour rendre leur avis ; L’article R. 122-17 est complété par un alinéa prévoyant, à l’instar du dispositif applicable aux projets, la possibilité pour le ministre en charge de l’environnement d’évoquer certains dossiers relatifs à des plans ou programmes relevant normalement de la compétence des MRAe ; L’article R. 122-24 clarifie l’organisation interne des MRAe qui bénéficient de l’appui technique des agents de la DREAL ; Les articles R. 122-24-1 et R. 122-24-2 sont créés afin de faire application des dispositions relatives au conflit d’intérêt introduites par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et codifiées au V bis de l’article L. 122-1. On relève avec le plus grand intérêt qu’aux termes de l’article R.122-24-1 en projet « Ne constitue pas un conflit d’intérêt le fait, pour l’autorité…

L’INDEPENDANCE DE L’AUTORITE ENVIRONNEMENTALE SE DECRETE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr En réponse à l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 (CE, 6 décembre 2017, n° 400559) le Gouvernement a soumis un projet de décret à consultation publique du 6 au 28 juillet 2018 : cf. Projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale des projets et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement, de la sécurité sociale et de l’urbanisme. En effet, tel qu’évoqué dans un précédent article (L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !), par cet arrêt le Conseil d’Etat a annulé le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il désignait, à l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, le préfet de région à la fois comme autorité instructrice ou décisionnaire et autorité environnementale pour les projets mentionnés à l’article L. 122-1 du même code. La Haute juridiction a rappelé à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 20 octobre aff. C-474/10) qu’« il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle ». Au regard de ces dispositions le Conseil d’Etat a validé, en matière de plans et programmes, la qualification d’autorité environnementale des Missions Régionales de l’Autorité environnementale (MRAe) en ce qu’elles respectent cette « séparation fonctionnelle » avec l’autorité à l’origine de l’élaboration de ces documents. L’indépendance étant le mot-clé de cette procédure, l’enjeu réside dans l’organisation de l’autorité environnementale des projets qui doit répondre aux exigences européennes. Ainsi, le Gouvernement n’a pas seulement suivi les exigences rappelées par le Conseil d’Etat, mais a tout simplement de nouveau désigné les MRAe comme compétentes en matière d’avis environnementale non plus seulement pour les plans et programmes, mais également pour les projets. Ce projet de décret qui qualifie les MRAe d’autorité environnementale des projets s’explique pour deux raisons selon le Gouvernement. D’une part, le Conseil d’Etat a déjà jugé conforme la qualification de ces dernières comme autorité environnementale en matière de plans et programmes, ce qui permet de répondre à cette exigence d’autonomie. Or pour exercer cette compétence, chaque mission régionale bénéficiera, comme pour les plans et programmes, de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale.  D’autre part, la nécessité d’une sécurité juridique car depuis cet arrêt la MARe a validé un certain nombre de projets. Pour autant, cette solution semble loin d’être idéale. Premièrement, les décisions de cas par cas demeurent du ressort du préfet de région (cf. C.env. art. L. 122-1, IV., modifié par le projet de décret), ce qui revient à admettre que ce dernier peut dispenser d’étude d’impact un projet dont il délivrera l’autorisation… Ainsi, l’instauration de l’examen au cas par cas relance le débat sur l’indépendance de l’autorité environnementale vis-à-vis de l’autorité décisionnelle car finalement l’avis de la MRAe ne dépend plus que de la décision du préfet de région pour ces projets. Ensuite la question de la régularisation des avis émis par l’autorité environnementale reste en suspens particulièrement dans le cas où le contentieux est pendant alors que la critique de l’indépendance ne résulte pas d’un arrêté d’évocation qui serait caduc. Le décret n’en confirme pas moins l’indépendance de la Mrae et cela devrait inspirer le juge administrateur… (Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?). Troisièmement, l’Autorité environnementale (Ae) a émis un avis le 11 juillet 2018 en invoquant les difficultés fonctionnelles et le manque de moyens associés à l’exercice de sa fonction. En effet, l’Ae remet en cause la sécurité juridique tant recherchée par le Gouvernement en désignant les MRAe comme autorité environnementale des projets, car ce projet de décret présenté comme simplificateur des procédures d’autorisation s’avère au contraire « complexe, voire illisible ». Le décret désigne quatre autorités environnementales (le Ministre, l’Ae, les MRAe et le préfet de région) chacune compétente selon le stade d’avancement du dossier déposé par le maître d’ouvrage, et qui selon elle ne fait que complexifier la procédure. L’Ae relève notamment l’absence de garanties sur les ressources nécessaires au bon fonctionnement de cette autorité, car si le projet de décret se veut tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017, l’autorité environnementale doit disposer « d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ». Or, l’Ae relève d’ores et déjà que ce manque de moyens aura un impact considérable sur son fonctionnement. L’insuffisance des ressources nécessaires pose la question de la qualité des avis de l’autorité environnementale notamment pour les projets importants en termes d’impacts sur l’environnement. Ainsi, selon l’Ae le projet de décret présenté en juillet ne permet pas de garantir l’indépendance de l’autorité environnementale des projets. L’indépendance est, a priori, loin d’être décrétée pour l’autorité environnementale à la française qui semble lestée de pesanteurs administratives