Accidents d’escalade en extérieur/ de la responsabilité du grimpeur en cas de risque accepté ! (Loi Falaise)

Accidents d’escalade en extérieur/ de la responsabilité du grimpeur en cas de risque accepté ! (Loi Falaise)

Par Me Ségolène REYNAL et Marie KERDILES – Green Law Avocats Après des années de bataille, la « loi falaise » vient enfin d’être adoptée.  Désormais, si le dommage causé par un accident résulte « de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée », le gardien d’un site n’est plus tenu pour responsable.  C’est un réel changement dans la gestion des sites naturels d’escalade. En effet, le nouvel article L.311-1-1 du code du sport introduit la notion d’acceptation du risque des pratiquants d’escalade en extérieur et ce afin de limiter le régime de responsabilité de plein droit des propriétaires/gestionnaires des sites d’escalade. Vers la fin de la responsabilité du fait des choses En cas d’accident lors de la pratique de l’escalade en extérieur, la responsabilité était jusqu’à très récemment automatiquement recherchée auprès du propriétaire/gestionnaire (publics ou privés) du site naturel, et ce en vertu du régime de responsabilité du fait des choses prévu de l’article 1242 du code civil qui énonce que : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». Cette responsabilité du fait des choses engageait donc la responsabilité du gestionnaire/propriétaire du site naturel. En effet, ce régime institue « une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute qui pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage sauf à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, le fait d’un tiers ou la faute de la victime présentant les caractères de la force majeure » (Cour de cassation 16 juillet 2020  n°19-14.033). Si ce régime était très protecteur des grimpeurs, elle a eu pour effet d’inciter les propriétaires des sites d’escalade de conclure avec la FFME (Fédération Française de Montagne et d’escalade) des « conventions d’autorisation d’usage avec les propriétaires privés et publics de terrains favorables à l‘escalade » qui transfèrent la responsabilité du propriétaire du site à la FFME ainsi que ses assureurs. Un risque de fermetures des sites d’escalade en extérieur Face à l’augmentation des condamnations pour responsabilité sans faute de la FFME et de ses assureurs (voir en ce sens la décision de la Cour d’appel de Toulouse en date du 21 janvier 2019 (n°16/02863), confirmé par la Cour de cassation en date du 16 juillet 2020 (n°19-14.033)), ces derniers ont augmenté leur prime d’assurance, voire résilié les polices d’assurance souscrites par la FFME, qui a annoncé la résiliation de toutes les conventions d’ici à fin 2022. Les propriétaires (publics et privés) de sites d’escalade avaient alors de nouveau le risque de voir leur responsabilité recherchée et ce même en l’absence de toute faute de leur part. La conséquence concrète et directe est qu’au regard de la responsabilité accrue des propriétaires de sites, ces derniers décident d’en interdite l’accès et donc la fermeture de nombreux sites d’escalade. La reconnaissance par le législateur de la théorie du risque accepté par le grimpeur C’est dans ce contexte que l’article L.311-1-1 du code du sport a été adopté par la loi 3DS (N°2022-217) promulguée le 21 février 2022 qui prévoit que : « Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant, sur le fondement du premier alinéa de l’article 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée. » Cet article introduit donc la notion d’acceptation du risque pas le pratiquant. Concrètement le propriétaire/gestionnaire ne verra pas sa responsabilité engagée lorsque l’accident résulte d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique de l’escalade. Le législateur reconnaît enfin que l’escalade est une activité sportive intrinsèquement risquée, et que le pratiquant l’accepte. La notion de « risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive » devra être déterminée au cas par cas par le juge judiciaire qui prendra certainement en compte le comportement du grimpeur, l’aménagement du site et la signalétique. Ce nouveau régime s’articule avec l’article L.365-1 du code de l’environnement qui concerne des sites naturels particuliers et vise au-delà des activités de loisirs la simple circulation des piétons sur les sites. A compter du 23 février 2022, tous les accidents d’escalade en extérieur seront soumis à ce nouveau régime. En cas de contentieux, il appartiendra alors aux conseils des grimpeurs de démontrer que les circonstances de l’accident ne résultaient pas d’un risque normal et prévisible !

Loi Montagne II : l’heure du bilan déjà ?

Par Maître Graziella DODE, Green Law Avocats, avec l’aide de Lucie MARIN, juriste stagiaire, Green Law Avocats Un an après l’adoption de la loi n°2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, dite Loi Montagne II, que nous avions commentée sur ce blog, l’heure est elle déjà au bilan ? Malgré la présentation du rapport d’information n°538 du 21 décembre 2017 présenté à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, nous ne le pensons pas. En effet, l’article 145-7 du règlement de l’Assemblée nationale permet à deux députés de présenter un rapport sur la mise en application d’une loi six mois après son entrée en vigueur lorsque celle-ci nécessite la publication de textes de nature réglementaire. Les députés Marie-Noëlle Battistel (Isère) et Jean-Bernard Sempastous (Hautes-Pyrénées) se sont alors saisis de cette mission d’information. Leur rapport d’information n°538 du 21 décembre 2017 a été présenté à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Les députés ont constaté que sur dix textes d’application nécessaires, quatre ont été publiés à ce jour. Les six autres décrets concernent divers sujets et quatre de ces six décrets devraient ainsi paraître prochainement. Les deux décrets restant en suspens concernent néanmoins des points importants. Il s’agit du texte prévoyant des exonérations fiscales pour la collecte du lait en montagne (article 61 de la loi montagne II), et celui prévoyant des adaptations sur les normes de sécurité et d’hygiène concernant les refuges de montagne (article 84). Le Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, s’était pourtant engagé à ce que le décret relatif à la collecte de lait soit pris avant la fin de l’année 2017. La députée Marie-Noëlle Battistel regrette de plus que la « spécificité montagne » ne soit pas encore suffisamment prise en compte par les administrations et les collectivités. Par exemple, l’Association Nationale des Elus de Montagne (Anem – dont la députée Marie-Noëlle Battistel est la présidente) déplore « l’absence d’attribution d’un siège aux représentants de la montagne au sein de la Conférence nationale des territoires ». De même, elle souligne que la compétence « Eau » a été transférée aux intercommunalités sans que la spécificité montagne ne soit prise en compte. S’agissant enfin des unités touristiques nouvelles (UTN) que nous avions déjà présentées, le rapport note que le décret d’application n° 2017-1039 du 10 mai 2017 relatif à la procédure de création ou d’extension des unités touristiques nouvelles « n’est pas suffisant pour permettre une application précise de la loi : beaucoup de zones d’ombre demeurent, par exemple dans les cas d’extension d’une UTN déjà existante ou dans les cas où une autorisation préfectorale dérogatoire de création d’UTN est encore valable, indépendamment des documents d’urbanisme précités ». Une circulaire sur l’urbanisme en montagne viendra donc le compléter. Il faudra donc attendre encore quelques mois pour pouvoir apprécier pleinement les effets tangibles de la loi Montagne 2.

Des éoliennes sur les pistes de ski de fond

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) C’est un jugement bien singulier que vient de rendre le Tribunal administratif de Lyon (9 mai 2017, n°1403956) concernant une délibération autorisant une communauté de communes à signer une convention de mise à disposition et d’une promesse de bail à construction sur des parcelles aménagées pour le ski de fond pour l’installation et l’exploitation de cinq éoliennes.   Ces délibérations en date du 4 décembre 2013, ont fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, intenté par l’association Vent du Haut Forez en 2014, qui soutenait en particulier que les terrains d’assiette des conventions faisaient partie du domaine public de la collectivité, et non de son domaine privé, et que le projet porterait atteinte à la vocation touristique du site.     1° La domanialité privée des parcelles traversées par des pistes de ski de fond   Selon l’association requérante, une erreur sur la qualification de la nature du domaine d’appartenance (privé ou public) engendrait une illégalité de la délibération prise quant à la mise à disposition des parcelles comportant ces pistes.     Certes l’on sait qu’en vertu de l’article L.342-13 du code du tourisme l’exploitation et la protection du domaine montagnard sont un service public industriel et commercial (SPIC). Et pour sa part, la Cour administrative d’appel de Lyon a  pu juger qu’en vertu de cet article, “l’exploitation des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial (CAA Lyon, 9 janvier 2014 13LY02160).   Pour autant la qualification d’une activité comme étant de service public n’épuise la question de savoir si le bien sur lequel elle est exercée relève du domaine public ou du domaine privé. En effet, qu’aux termes de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public. » ;     Toute la question est dès lors de savoir, si en elles-mêmes, les pistes de ski, en elles-mêmes font l’objet d’un aménagement indispensable à leur affectation au service public ?     L’on sait que la question de la nature domaniale des pistes de ski alpin a suscité un débat finalement arbitré par le Conseil d’Etat : la Haute juridiction a pour sa part considéré qu’il fallait appréhender l’activité dans sa globalité (qu’il s’agisse de la partie remontée ou de la piste de descente à proprement parler) comme étant constitutive d’une mission de service public faisant l’objet d’aménagements fonciers spéciaux à leur affectation (Conseil d’État, Section du Contentieux, 28/04/2014, 349420, Publié au recueil Lebon).  Mais cette approche n’en payait pas moins un tribut important au critère de l’aménagement indispensable qui ne pouvait se réduire à la seule présence de remontées mécaniques. Dans l’espèce de 2014 le Conseil d’Etat précisait que l’autorisation d’aménagement délivrée pour aménager les pistes permettait de caractériser un aménagement indispensable à leur affectation au SPIC. Ainsi, l’ensemble de la zone ayant fait l’objet d’une autorisation d’aménagement relève du domaine public. Ainsi pour le Conseil d’Etat c’est l’aménagement des terrains d’assiette des pistes qui emportent au final leur qualification d’élément du domaine public.   Or c’est très exactement en rendant compte de toute la subtilité de cette jurisprudence que le Tribunal administratif de Lyon peut juger que les pistes de ski de fond aménagées n’entrainent pas à elles-seules l’entrée des parcelles qu’elles traversent dans le domaine public de la commune. “Si les parcelles sont parcourues par des itinéraires de ski de fond, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier qu’elles auraient fait l’objet, en tout ou partie, d’aménagements fonciers indispensables à leur affectation au service public de l’exploitation des pistes de ski de fond et que, en particulier, le balisage et le damage de ces pistes, qui affectent uniquement la couche de neige, à l’exclusion du terrain d’assiette, constitueraient de tels aménagements et que, de ce fait, elles appartiendraient au domaine public de le communauté de communes”.   Ici le Tribunal refuse de reconnaitre que l’aménagement des pistes de ski serait la preuve de l’affectation au service public de ces pistes, au motif que le damage-balisage n’affecterait pas les sols mais seulement la neige et en tout cas certainement pas le terrain d’assiette des pistes qui n’ont pas été aménagés aux fins du service public. Et le Tribunal refuse d’infléchir son analyse en se penchant sur d’autres aménagements : « la présence, sur l’une de ces parcelles, d’un chalet d’accueil, avec bar restaurant et hébergement d’une capacité de 50 lits touristiques ainsi que d’un bâtiment à usage de magasin et de salle hors sac, dont rien ne permet de dire qu’ils seraient des aménagements indispensables à la pratique du ski de fond, ne saurait conférer à l’ensemble de cette parcelle le caractère d’une dépendance du domaine public de la communauté de communes ; qu’il n’apparaît pas davantage que les parcelles B 562 et B 590 seraient indissociables des autres éléments immobiliers formant le domaine skiable nordique du col de la Loge, et notamment de la base d’école de ski de fond, située sur un terrain voisin »   Distinction byzantine diront sans doute certains … mais ce sont celles voulues par le Conseil d’Etat en tant que juridiction supérieure. Et de ce point de vue en tant qu’elle portait sur le domaine privé de la commune la délibération attaquée est jugée légale.     2° Les parcs éoliens compatibles avec le développement du tourisme en montagne   Autre intérêt du jugement rapporté, de la domanialité privée des parcelles, le Tribunal administratif en déduit que les conventions privées portant sur la création d’un parc éolien étaient tout à fait envisageable, même si la commune s’était engagée à affecter spécifiquement les terrains au développement touristique.   Le juge lyonnais indique en effet que les parcelles faisant partie du domaine privé, “même si (la commune) s’était engagée à…