Déchets dangereux et “entrées miroirs” : la CJUE focalise sur la précaution

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) En se prononçant pour la première fois sur la classification des déchets de la catégorie des « entrées miroirs », la Cour de Justice (CJUE, 28 mars 2019, C-487/17 à C-489/17) opte pour une méthode de classification par « principe » « précautionneuse ». En l’espèce, une trentaine de responsables d’installations de stockage de déchets italiens étaient accusés de trafic de déchets, et d’avoir notamment qualifié en déchets non dangereux des déchets potentiellement dangereux. Étaient en causes des déchets de la rubrique dite des « entrées miroirs », c’est-à-dire pouvant relever de la catégorie des déchets dangereux et non dangereux. Ils auraient, sur la base d’analyses chimiques non exhaustives et partielles, attribué auxdits déchets des codes correspondant à des déchets non dangereux et les auraient, ensuite, traités dans des décharges pour déchets non dangereux. Dans ce contexte, le Giudice per le indagini preliminari del Tribunale di Roma (juge des enquêtes préliminaires près le tribunal de Rome, Italie) a ordonné diverses mesures de saisie visant les décharges où les déchets en cause avaient été traités ainsi que les capitaux appartenant aux propriétaires de ces décharges et a, dans ce contexte, nommé un commissaire judiciaire chargé de la gestion desdites décharges et des sites de collecte et de production de déchets pour une période de six mois. Saisi de plusieurs recours introduits par les prévenus contre lesdites mesures, le Tribunale di Roma (tribunal de Rome) a décidé, par trois ordonnances distinctes, d’annuler ces mêmes mesures Au final la Cour de cassation italienne saisit à titre préjudiciel la CJUE s’interrogeant sur les obligations pesant sur le détenteur de déchets figurant dans la rubrique des « entrées miroirs » en vertu du droit européen de l’environnement. Selon le droit de l’Union européenne, un déchet est qualifié de dangereux lorsqu’il répond à un critère matériel, celui de ses propriétés. Ainsi, l’annexe III de la directive 2008/98 du 19 novembre 2008, modifiée par le  de la Commission détermine la liste des propriétés qui rendent les déchets dangereux. La directive de 2008 a également modifié la décision 200/532/CE en permettant d’établir le caractère dangereux des déchets figurant dans la liste de son annexe et l’article 7 de la directive de 2008 dispose qu’il est nécessaire de tenir compte de « l’origine et de la composition des déchets et, le cas échéant, des valeurs limites de concentration de substances dangereuses ». Sur ces bases communautaires, le classement en dangerosité est d’abord réalisable par la consultation de la « nomenclature déchet », qui est une liste de références établie par la décision CE du 3 mai 2000 modifiée (par la décision n° 2014/955/UE du 18/12/14 et annexée à l’article R. 514-8 du code de l’environnement français). Les déchets marqués d’un astérisque dans la nomenclature sont considérés comme dangereux. La nomenclature déchets est organisée en 20 chapitres avec des sections dotées de trois types de rubriques : les entrées « déchets dangereux dans l’absolu », les entrées « déchets non dangereux dans l’absolu » et les entrées dites « miroirs ». Les deux premières catégories permettent de classer les déchets sans avoir à réaliser une évaluation complémentaire.  Les entrées « miroirs » désignent les  cas  de  figure  où  les  déchets  à  classer  peuvent être dangereux ou non dangereux selon les situations, ceci eu égard à leur composition et/ou à leur mode production mal connus. Dans le cas des entrées « miroirs », il convient de caractériser précisément si le déchet à classer contient des substances dangereuses et en quelles concentrations. La caractérisation de la dangerosité est fondée sur l’étude des propriétés de danger (HP 1 à HP 15), qui nécessite d’évaluer quinze propriétés physico-chimiques, toxiques et écotoxiques d’un déchet par des analyses de laboratoire et des tests spécifiques. Le déchet est classé comme dangereux s’il possède au moins une propriété de danger. Or en l’espèce, les déchets relevant de la catégorie « d’entrées miroirs », leurs détenteurs ne connaissaient pas prétendument la composition des déchets et il leur était difficile d’en apprécier leur dangerosité ; ce qui constituait la base de leur critique des mesures coercitives dont ils étaient l’objet. Le juge italien a souligné les débats que soulève cette catégorie incertaine de déchets, source de complexité. Ainsi, les partisans de la thèse dite de « probabilité » considèrent que dans une telle situation, le détenteur dispose d’un pouvoir d’appréciation dans la détermination de la dangerosité dès lors que des analyses préalables ont été menées. A l’inverse et selon la thèse dite de « sécurité », en vertu du principe de précaution, le détenteur se doit de renverser une présomption de dangerosité afin de classer un déchet en tant que non dangereux. Dans ce contexte, la Cour de cassation italienne a donc opéré un renvoi en interprétation à la Cour de Justice et lui a posé les quatre questions suivantes : «  1)      L’annexe à la décision 2014/955 ainsi que le règlement no 1357/2014 doivent-ils être interprétés, s’agissant de la classification des déchets sous des entrées miroirs dans le sens que, lorsque la composition de déchets n’est pas connue, le producteur de ces déchets doit procéder à leur caractérisation préalable et, dans l’affirmative, dans quelles limites ? 2)     La recherche de substances dangereuses doit-elle être effectuée en vertu de méthodes uniformes prédéterminées ? 3)      La recherche de substances dangereuses doit-elle être fondée sur une vérification précise et représentative qui tienne compte de la composition d’un déchet, si elle est déjà connue ou identifiée lors de la phase de caractérisation, ou bien doit-elle être effectuée selon des critères de probabilité, eu égard aux substances qui pourraient raisonnablement être présentes dans un déchet ? 4)      En cas de doute ou d’impossibilité de déterminer avec certitude la présence ou non de substances dangereuses dans un déchet, ce dernier doit-il, en tout état de cause, être classé et traité comme un déchet dangereux, en application du principe de précaution ? » Malgré des réserves du procureur italien relatives à la recevabilité du renvoi, ce dernier ne mentionnant des actes de l’Union que pour la première des quatre questions, la Cour de Luxembourg a rejoint la position de l’avocat général, estimant que les questions avaient une incidence sur le…

IMPORTANT – Eoliennes / Expertise Radar Météo: l’expert récusé en raison du doute quant à son impartialité!

Il est des décisions courageuses…et le jugement rendu par le Tribunal administratif d’Amiens le 10 avril 2012  en est assurément une!    TA-Amiens-10.04.12-jugement-récusation-expert Les faits: Un Préfet a refusé des permis de construire éoliens en se fondant sur un risque prétendu pour la sécurité publique (article R 111-2 Code de l’urbanisme), tiré d’une “perturbation” par les éoliennes du radar météorologique à proximité. A l’occasion du recours en annulation contre ces refus de permis devant le Tribunal administratif, l’opérateur éolien a sollicité une expertise judiciaire. L’expert désigné fut le même que celui à l’origine du rapport d’expertise présenté devant la Cour administrative d’appel de Douai, et qui a conduit à cette décision dorénavant brandie par l’Etat (et bien connue des opérateurs éoliens), confirmant les refus de PC fondés sur l’impact des éoliennes à l’égard des radars météo (CAA Douai, 30 juin 2011, “Nuevas Energias de Occidente Galia”, n°09DA01149). La procédure D’emblée, le TA d’Amiens a fait preuve de courage en faisant droit à la demande d’expertise, dont l’étendue dépasse celle diligentée devant la Cour administrative d’appel de Douai. En effet, non seulement l’expert devait “analyser la validité, d’un point de vue scientifique, du modèle utilisé par l’Agence nationale des fréquences, sur lequel se fonde Météo France, pour déterminer les risques de perturbation d’un radar, notamment météorologique, par référence en particulier à la SER, et la pertinence des zones d’exclusions et de toutes les sujétions  qui en découlent ainsi que de préciser les conséquences de l’atteinte au mode Doppler sur le fonctionnement global d’un radar“; Mais surtout, il lui a été demandé de “décrire les missions de sécurité civile opérationnelles assurées par le radar Météo France d’Avesnes ainsi que les risques naturels et technologiques effectivement identifiés ou suivis par ce radar dans le cadre de ses mission de sécurité civile ; – De déterminer si et dans quelles mesures les éoliennes du projet de la SOCIETE X seraient susceptibles de perturber le radar météorologique d’Avesnes en précisant  la SER et la zone de perturbation de mesures Doppler attendues ; – De caractériser les enjeux localement pertinents pour la sécurité des biens et des personnes d’une éventuelle perte de détection du radar d’Avesnes engendrée par le fonctionnement  des éoliennes en projet ;” L’impartialité de l’expert mise en doute compte tenu des propos anti éoliens tenus Néanmoins, il s’est avéré en cours d’expertise que l’impartialité de l’expert désigné à la fois par la Cour et par le Tribunal pouvait être sérieusement mise en doute. L’expert tient en effet des propos hostiles aux opérateurs éoliens et à la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne en général, et ce, de façon nommément revendiquée sur le page internet librement accessible de la Ville de Sèvres “vert de rage”, laissant clairement transparaître ses opinions personnelles. Dès qu’il a eu connaissance des propos de l’expert, l’opérateur n’a pu alors que solliciter sa récusation en usant de l’article R621-6 du Code de justice administrative. Rappelons que la récusation peut être demandée “s’il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité” (article L721-1 du Code de justice administrative), ce qui est indubitablement le cas s’agissant d’une expertise conditionnant plusieurs milliers de mégawatts de développement éolien selon les chiffres du SER. Alors que tout s’opposait à ce que l’opérateur ait gain de cause (l’Etat demandant le rejet de la requête, l’expert s’y opposant également et le rapporteur public ayant proposé au Tribunal de rejeter la requête en récusation) le Tribunal administratif vient courageusement de récuser l’expert M. XXXXXX, en considérant que le “commentaire litigieux du 30 décembre 2009 doit être regardé, compte tenu des termes dans lesquels il est rédigé, comme une raison sérieuse de mettre en doute l’impartialité objective de M. XXXXXX pour la réalisation de l’expertise diligentée“. En conséquence de quoi, les opérations d’expertises, irrégulières, sont annulées. Gageons, comme l’a fait le Rapporteur Public M. Larue au sujet de l’arrêt de la CAA de Douai précité (M. Xavier Larue, Conseiller à la cour administrative d’appel de Douai, commentant l’arrêt : AJDA 2011 p. 1497, « L’impact des éoliennes sur le fonctionnement des radars météorologiques »), que la portée du jugement du Tribunal administratif excèdera le seul cas d’espèce, et conditionnera l’avenir du développement éolien terrestre!  David DEHARBE Avocat associé