PPRT: annulation d’un plan de prévention des risques ayant listé les immeubles devant être expropriés (TA Toulouse, 15 novembre 2012, n°121105)

Par un jugement du 15 novembre 2012, le Tribunal administratif de Toulouse a annulé un arrêté préfectoral approuvant un Plan de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) (121105 décision TA Toulouse PPRT dépôt ESSO). Cette décision, pionnière en la matière, se révèle être très éclairante concernant les dispositions relatives à l’élaboration des PPRT, et notamment celles ayant trait à la concertation, au contenu du dossier d’enquête publique, à l’avis motivé du commissaire enquêteur et à la délimitation des secteurs soumis à des risques importants à cinétique rapide présentant un danger très grave pour la vie humaine.   Aussi, de par les indications qu’elle apporte à la définition de l’objet de ces plans, elle nous rappelle combien les enjeux des PPRT sont importants.   Définition et difficultés de mise en œuvre des PPRT C’est par la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 « relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages » que l’obligation pour l’Etat de créer des PPRT a été instituée à l’article L. 515-15 du Code de l’environnement. Comme le note très justement le Tribunal administratif de Toulouse, un PPRT a pour objet « de limiter les effets d’accidents susceptibles de survenir dans une installation classée telle que mentionnée au IV de l’article L. 515-8 du code de l’environnement, en délimitant notamment autour de celle-ci un périmètre d’exposition aux risques dans lequel des règles spécifiques destinées à réduire, et non supprimer, l’effet de ces risques sur les personnes trouveront à s’appliquer ».   En 2003, on dénombrait 677 installations dites SEVESO seuil haut, et ce chiffre n’a quasiment pas évolué depuis. En revanche, l’estimation en 2003 aboutissant au chiffre de 200 PPRT nécessaires s’est trouvée être grandement erronée puisqu’aujourd’hui on considère que ce chiffre est de l’ordre de 418. Egalement, l’objectif ambitieux de la mise en œuvre de tous ces plans dans un délai de 5 ans à compter de l’adoption de la loi de 2003 s’est vite révélé irréalisable compte tenu du coût économique (et social) de ces plans.  En effet, ces plans doivent délimiter un périmètre d’exposition aux risques technologiques à l’intérieur duquel peuvent être instituées dans certaines zones prévues par l’article L. 515-16 du Code de l’environnement, des prescriptions relatives à la construction, à l’utilisation ou à l’exploitation d’ouvrages,  un droit de délaissement des bâtiments existants, un droit d’expropriation pour les communes à l’encontre des immeubles et droits réels immobiliers. Ces mesures foncières devant être financées par l’Etat, les collectivités territoriales et  l’exploitant, à des parts de contribution déterminées par convention négociée entre ces parties, il n’est pas rare qu’aucun accord ne soit trouvé, entrainant des retards dans la mise en œuvre des PPRT. Une circulaire du 03 mai 2007 de la Ministre de l’écologie adressée aux préfets tentait de résoudre ce problème en fixant la part de contribution de l’état entre 25 et 40 % du coût total des mesures foncières en fonction de certains critères. Cependant, le rapport du Sénat n°107 pour la période 2011-2012 note que seulement trois conventions de financement ont été signées fin 2011. Pour tenter de remédier à ce problème, la loi de finance pour 2012 (loi n°2011-1977 du 28 décembre 2011) est venue prévoir expressément la part de contribution de chaque partie aux mesures foncières (un tiers du coût total).   En tout état de cause si l’absence de signature des conventions n’empêche pas l’approbation des PPRT, les réticences des collectivités et des exploitants à supporter la charge de ces plans expliquent sans aucun doute qu’au 30 juin 2012, sur les 418 à mettre en œuvre, 406 ont été prescrits mais seuls 182 ont été approuvés.   On rappellera enfin pour information que le PPRT doit aussi fixer des mesures de protection des populations face aux risques encourus (C. env., art. L.515-16, IV) qui sont prises en charges par les particuliers concernés. Même s’il est prévu que les travaux de protection prescrits par ces mesures ne peuvent porter que sur des aménagements dont le coût n’excède pas 10 % de la valeur vénale ou estimée du bien avant l’intervention de l’arrêté de prescription du plan (C. env., art. R.515-42), cette disposition est vécue comme injuste et inégale par les particuliers concernés. D’ailleurs, cette disposition a fait l’objet d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) au motif qu’elle porterait « atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques ainsi qu’au principe constitutionnel d’égalité, en ce qu’elles ne prévoient pas d’indemnisation pour le dommage résultant de l’obligation, pour les propriétaires riverains, de supporter la charge de mesures de protection des populations consistant en des travaux d’aménagement pouvant atteindre 10% de la valeur de leur bien et qui sont engendrées par l’activité de l’exploitant à l’origine du risque technologique » (TA Amiens, 23/06/2011, n°1001556). Cependant, le Conseil d’Etat n’a pas jugé bon de transmettre cette QPC au Conseil Constitutionnel (CE, 23/09/2011, n°350384).   Par conséquent, il devient évident que le coût des PPRT, que ce soit pour les riverains, les collectivités publiques ou les exploitants, soit l’une des principales motivations de contestation juridique et sociale de ces plans.   Pour autant, dans l’affaire ayant abouti à l’annulation du PPRT du dépôt ESSO à Toulouse, la question du coût des mesures du plan ne faisait pas partie de celles au centre des débats.     La question de la concertation des collectivités et des personnes intéressées à l’élaboration du PPRT   Un PPRT comportant des enjeux importants quant au devenir des zones habitées comprises dans son périmètre, il semblait normal que l’élaboration de ce genre de document fasse l’objet d’une concertation importante.   Ainsi, l’article L. 515-22 du Code de l’environnement prévoit expressément que :  « Le préfet définit les modalités de la concertation relative à l’élaboration du projet de plan de prévention des risques technologiques dans les conditions prévues à l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme ».   En combinant cet article avec l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme, le Tribunal administratif de Toulouse aboutit très logiquement au principe selon lequel, en plus des exploitants à l’origine des installations à l’origine des risques…

Modulation dans le temps des annulations et « intérêt public de la promotion des ENR »

La guérilla contentieuse n’a pas toujours les effets escomptés.  Le contentieux des énergies renouvelables voit ainsi de plus en plus souvent le juge moduler dans le temps ses annulations contentieuses touchant leurs actes réglementaires. L’on sait que le Conseil d’Etat s’est vu proposer la semaine dernière la modulation dans le temps de l’annulation de certaines dispositions de l’arrêté tarifaire liée à l’obligation d’achat de l’électricité photovoltaïque, pour sauver les contrats en cours d’une baisse de rémunération du fait d’un risque d’annulation sèche pour rupture d’égalité. On attend avec impatience l’arrêt en la matière mais l’on sait déjà que la modulation qu’il comportera n’interviendra vraisemblablement pas au nom de la contribution des ENR à l’intérêt général… Le Rapporteur public considère que la validation législative est justifiée par un impérieux motif d’intérêt général. L’on sait que dans la même veine le Conseil d’Etat (CE, Juge des référés, 28 janv. 2011, 344973, Inédit au recueil Lebon) a refusé d’accueillir le référé contre le décret de suspension de l’obligation d’achat au nom d’un bilan des urgences plombé par le coût prétendument insupportable pour la CSPE d’une bulle spéculative créée par le gouvernement lui-même.  Au fond le même décret sera validé avec une lecture qui purge l’article 6 de la Charte de l’environnement de toute portée écologique (CE, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 16 nov. 2011, n° 344972). Les membres du Palais ne sont manifestement sensibles qu’à l’intérêt économique immédiat de l’Etat et du consommateur et demeurent délibérément ignorants des coûts écologiques induits des différents modes de production de l’électricité  … La faute est assurément politique, tant il est vrai que l’on ne cesse pas d’en faire sous prétexte que l’on rend la justice administrative, bien au contraire. Nous avons eu l’occasion de le souligner au colloque qui s’est déroulé vendredi dernier à la Faculté de droit de Bordeaux et fort opportunément organisé par le CERDARE (dont nous joignons ici le power point de notre intervention dans l’attente d’un commentaire de l’arrêt attendu dans un prochain numéro de Droit de l’environnement: GREEN LAW AVOCAT- Bordeaux, 23 mars 2012 CERDARE). Une autre voie a pourtant été initiée en particulier par certaines juridictions du fond, peut-être il est vrai plus sensibilisées à la protection de l’environnement que ne le sont les 9ème et 10ème sous-sections du Conseil d’Etat. En particulier nous relevons ce jugement remarquable du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a jugé : « Considérant que la société SAS SFE parc éolien de l’Orme-en-Champagne fait valoir, sans être contredite, que l’annulation de l’arrêté attaqué aurait pour conséquence de lui faire perdre son droit à l’obligation d’achat de l’électricité produite par les parcs éoliens qu’elle envisage d’implanter dans le périmètre de la zone de développement de l’éolien litigieuse ; que la péremption des permis de construire et la caducité du certificat d’obligation d’achat qui lui ont été délivrés lui causerait un préjudice qu’elle estime à 3 millions d’euros ; qu’ainsi, compte tenu de l’intérêt public de la promotion des énergies renouvelables poursuivi par les zones de développement de l’éolien, de l’intérêt privé, notamment économique, de ladite société et de la circonstance que l’unique moyen d’annulation est un vice de procédure, la rétroactivité de l’annulation de l’arrêté attaqué aurait des conséquences manifestement excessives ; que, dans ces conditions, il y a lieu de limiter dans le temps les effets de l’annulation en ne donnant effet à cette dernière qu’au 1er juillet 2012 » (TA Chalon en Champagne, 26 mai 2011, n° 0900403). Mais attention tout semble être question d’espèce. Ainsi un arrêté de ZDE se voit certes annulé et pourtant la modulation se trouve refusée en ces termes : « Considérant que la Compagnie du Vent demande que soient limités dans le temps les effets de l’annulation prononcée par le présent arrêt, aux motifs que, selon elle, l’annulation aura des conséquences considérables pour l’intérêt public de la promotion des énergies renouvelables et que la rentabilité de l’exploitation du parc d’éoliennes repose sur l’obligation d’achat à laquelle est soumise Electricité de France ; que, toutefois, il n’apparaît pas, alors que les permis de construire des éoliennes ont été délivrés près d’un an avant l’arrêté en litige que, dans les circonstances de l’espèce, les effets du présent arrêt entraîneraient des conséquences manifestement excessives justifiant qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ; que par suite, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la Compagnie du Vent » (CAA Marseille, 7ème chambre – formation à 3, 20 déc. 2011, n° 09MA00361, Inédit au recueil Lebon). La motivation n’est guère explicite les raisons qui fondent le refus de moduler, même s’il est vrai que dans cet arrêt la Cour relève que c’est l’administration elle-même qui a été induite en erreur par certaines omissions du dossier de ZDE. David DEHARBE Avocat associé

Energie: vers des lettres de cachet contre les opérateurs photovoltaïques ?

[dropcap]L[/dropcap]a publication au Journal officiel d’hier d’un décret limitant le montant de l’indemnisation due par les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité a pu faire croire à une partie de la filière photovoltaïque qu’un nouvel obstacle venait d’être dressé contre la possibilité de faire valoir ses droits (Décret n° 2012-38 du 10 janvier 2012 fixant le barème des indemnités dues en cas de dépassement des délais d’envoi de la convention de raccordement ou de réalisation du raccordement des installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable d’une puissance inférieure ou égale à trois kilovoltampères ). Cependant, s’il fait incontestablement penser à une réduction supplémentaire du sentiment d’Etat de droit (1), il faut en relativiser juridiquement la portée (2). 1) Un sentiment d’affaiblissement de l’Etat de droit Indéniablement, les opérateurs photovoltaïques auront été déçus par l’Etat de droit, trompés par le Ministère de l’Ecologie et le Gouvernement et sacrifiés par la perception à court terme que se fait le Conseil d’Etat de l’intérêt général (ordonnance de référé du 28 janvier 2011 et arrêt “ciel et terre” du 18 novembre 2011). Le décret ci-dessous téléchargeable leur donnera probablement le sentiment d’un retour à l’Ancien régime et au règne de l’arbitraire. Ce décret_n°2011-2020_du_29_décembre_2011 établit un barème dérisoire des préjudices causés aux producteurs d’installations photovoltaïques d’une “puissance installée” de 3kVA par l’envoi tardif des conventions de raccordement par les gestionnaires de réseau d’électricité, et par le raccordement pouvant lui-même être tardif. Après avoir malmené le principe de non rétroactivité (dont il avait pourtant été mis en garde par plusieurs parlements: voir les débats parlementaires de la Loi Grenelle II, et notamment les discussion en Commission des Affaires économqiues sur l’article 33 du texte devant l’Assrbmlée Nationale…devenu l’article 88), le Gouvernement et sa Ministre de l’Environnement sacrifient celui de la réparation du sur l’autel des besoins de financement du tout nucléaire. 2) Une portée du barème à relativiser Cependant, à bien lire le décret, qui revient finalement à un décret d’application de l’article 88 V de la Loi Grenelle II codifié à l’article L342-3 du Code de l’énergie, il convient de voir qu’il n’a pour objet – que de garantir légalement une indemnisation minimale – aux producteurs d’une installation de moins de 3kVA. Il serait erroné d’y voir là l’exclusion légale ou réglementaire du régime d’inmnisation de droit commun pour les installations d’une puissance supérieure: cela ne ressort ni directement du texte, ni indirectement des débats parlementaires. Et s’agissant d’un exception, elle s’interprète strictement. En tout état de cause, certains avaient fort heureusement anticipé ce type de manoeuvre et pourront se contenter d’arguer de l’antériorité de leur recours juridictionnel contre le gestionnaire … ils ne seront pas privés du procès en réparation auquel ils pouvaient légitiment prétendre à moins que le Gouvernement entende méconnaître (comme il l’a déjà fait pour le même article 88 de la loi grenelle II, mais en son III° : TC, 13 décembre 2010, “Green Yellow) le droit à un procès équitable garanti par l’article 6,§1 de la CEDH. Rappelons en effet que le gestionnaire a des obligations dont le non respect est d’ores et déjà reconnu (voir les décisions du CoRDIS du cabinet commentées ici) Pour les attentistes, l’exception d’illégalité voire d’inconstitutionnalité du décret, si tant est que le gestionnaire entende l’invoquer au contentieux, sera indispensable avec les aléas que l’on sait. David DEHARBE Avocat au Barreau de Lille Green Law Avocat

  • 1
  • 2