Projets ENR : délais de recours de la période du COVID

Par Maître Sébastien Becue (Green law avocats) Pour la majorité des porteurs de projets, le déblocage des prêts bancaires est conditionné par l’obtention et la purge contentieuse des autorisations administratives nécessaires à la mise en œuvre du projet. Autrement dit tant que le délai de recours contre une autorisation n’est pas échu, il n’est pas possible de lancer les opérations de construction. Le secteur immobilier a obtenu la reprise des délais d’instruction et de recours en matière d’urbanisme par deux ordonnances dérogatoires qui créent notamment un article 12bis dans l’ordonnance « délais » du 25 mars 2020 (Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période). Par le jeu de ces ordonnances, les délais de recours contre les permis de construire nécessaires à la construction des projets reprennent dès le 24 mai 2020. Jusqu’au 13 mai rien d’équivalent n’avait été prévu en matière des titres d’exploitation ICPE, pourtant tout aussi nécessaires à la mise en œuvre des projets, ce qui pouvait exposer le titre environnement ENR à un contentieux prorogé jusqu’au 11 octobre 2020… Fort heureusement, le gouvernement est revenu par une ordonnance sur cette solution ubuesque (Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire, JORF n°0118 du 14 mai 2020 texte n° 25). Ainsi la période de référence prise ne compte pour l’autorisation environnementale s’achève-t-elle désormais au 23 juin inclus avec une reprise des délais contentieux à cette date. Signalons par ailleurs que ce texte prévoit pour les enquêtes publiques une  reprise des délais au 30 mai inclus.  

Les modalités de régularisation du vice de l’information du public bientôt précisées ?

Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats) Nous l’exposions dans un récent article du présent blog, le Conseil d’Etat a décidé, aux termes d’un avis du 22 mars dernier, que le vice de l’information du public est susceptible d’être régularisé devant le juge de plein contentieux de l’autorisation environnementale ; et ce, sans même qu’il soit forcément nécessaire, selon les cas, d’organiser une nouvelle enquête publique. Plus précisément, le Conseil d’Etat exposait que lorsque « le caractère incomplet du dossier d’enquête publique a affecté la légalité de la décision », il est « nécessaire de compléter l’information du public ». Le juge (sous-entendu) du fond « peut alors fixer des modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public, qui n’imposent pas nécessairement de reprendre l’ensemble de l’enquête publique ». Pour les spécialistes du contentieux, cet avis, malgré sa richesse impressionnante, a néanmoins semblé ouvrir autant, sinon plus de questions qu’il n’en a résolu… Le Tribunal administratif d’Orléans par un jugement avant dire droit (TA Orléans, 24 avril 2018 n° 1602358 ; téléchargeable ici) s’est chargé de solliciter des éclaircissements au Conseil d’Etat . Après avoir jugé que le moyen tiré du vice de l’information du public résultant de ce que l’avis sur l’étude d’impact du projet aurait été rendu par une autorité environnementale ne disposant pas d’une autonomie réelle au sens de la jurisprudence communautaire (voir notre article sur ce thème) est le seul à être susceptible d’entraîner l’annulation de l’autorisation, le Tribunal se saisit de la demande des défendeurs visant à ce qu’il fasse usage du pouvoir de sursis à statuer dans l’attente d’une régularisation, dont il dispose désormais en vertu du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Le Tribunal rappelle que dans ce cas, le juge doit, dans un jugement avant dire droit : –          préciser les modalités de cette régularisation, –          et indiquer quelle phase doit être regardée comme viciée afin de simplifier la reprise de la procédure administrative. On aurait alors pu imaginer que le Tribunal prescrive directement des modalités de régularisation ou reprenne celles proposées par le défendeur, une solution courageuse mais qui aurait comporté un risque important pour le porteur de projet, potentiellement victime de cette expérimentation procédurale. Mais, sans expliquer plus avant ses doutes, le Tribunal sursoit alors à statuer et pose trois questions au Conseil d’Etat. La première question est relative au caractère régularisable ou non du vice tiré de l’absence d’autonomie réelle de l’autorité environnementale ayant rendu l’avis sur l’étude d’impact. Son raisonnement semble être le suivant. Le droit applicable au moment de la délivrance de l’autorisation imposait que l’avis sur l’étude d’impact soit rendu par une autorité environnementale, la DREAL, qui ne disposait pas d’une autonomie réelle vis-à-vis de l’autorité compétente pour délivrer, le Préfet de région. Or, le Conseil d’Etat a exposé dans son avis que l’autorité compétente doit pour la régularisation faire application des dispositions en vigueur à la date à laquelle l’autorisation a été délivrée. Ainsi, s’il fallait appliquer ces dispositions, la DREAL serait encore saisie de la demande d’avis sur l’étude d’impact et le Préfet de région serait compétent. En cas d’interprétation extensive de l’avis du Conseil d’Etat, la régularisation serait donc impossible En revanche, si l’on tient compte des dispositions applicables au moment de la régularisation pour la définition des mesures de régularisation, la DREAL resterait autorité environnementale mais le Préfet aujourd’hui compétent serait le Préfet de département, du fait de la péremption de l’arrêté d’évocation du Préfet de région ; et il y aurait donc autonomie effective. On constate néanmoins que cette question ne règle du coup pas le cas dans lequel le Préfet de département nouvellement compétent se trouverait également être le Préfet de région, auquel cas il n’y aurait toujours pas autonomie effective entre les deux autorités. Et on a envie d’ajouter : le juge ne pourrait-il pas ordonner une mesure ad hoc, comme par exemple enjoindre à l’administration de saisir la MRAE, autorité environnementale dont l’autonomie est réelle mais qui ne dispose pas encore d’une compétence expresse en matière de projet ? Dans une perspective de sécurité juridique, il apparaît de la responsabilité du gouvernement de créer au plus vite une autorité environnementale indépendante expressément compétente pour donner son avis sur les études d’impact pour les projets, afin justement de permettre cette régularisation. La deuxième question est relative aux modalités de régularisation du vice de l’information du public envisageables par le juge du fond. Autrement dit, quelles sont ces modalités de publicité qui peuvent se substituer à une nouvelle enquête publique ? Enquête publique complémentaire, simple affichage sur le site internet de la Préfecture, mise en ligne sur le site officiel du demandeur… Doivent-elles d’ailleurs avoir une base légale ou peut-il s’agir de modalités ad hoc ? Surtout, doivent-elles permettre simplement l’information du public, ou également sa participation ? Comment doit raisonner le juge du fond ? Sur ce point, on pourrait imaginer que le Conseil d’Etat fournisse quelques pistes au juge du fond en listant les indices qui doivent le guider… La troisième question est relative au degré de précision avec lequel le juge peut formuler l’invitation à régularisation qu’il adresse à l’administration dans son jugement. Cette question est également très intéressante. Indéniablement, avec ce pouvoir, le juge jusque-là principalement cantonné un rôle de censeur malgré les pouvoirs de plein contentieux dont il dispose, se retrouve également prescripteur…