Loi 3DS du 21 février 2022 : Panorama de la réforme

La Loi n°2022-217 de Différenciation, Déconcentration, Décentralisation et Simplification dite « 3DS » a été publiée le 22 février 2022. Fruit de plus de deux ans de travail sur l’efficacité de l’action publique, la Loi 3DS vient approfondir le transfert de compétences dans plusieurs domaines, et tente de créer une dynamique de travail en bonne intelligence entre les autorités déconcentrées et décentralisées de l’Etat. Plusieurs Décrets d’application sont encore à prévoir, mais on peut d’ores-et-déjà dresser un panorama des grands axes du texte et leurs implications potentielles (Document de présentation disponible ici: . Dense et riche en informations, elle traite de sujets divers tels que : Reste cependant à savoir si elle sera à la hauteur de ses ambitions.  

Action en préjudice écologique contre le plan de vigilance : quel juge ?

Par Maître Anaïs BIEHLER (Green Law Avocat) Par une décision (signalée par Actu environnement, 19 nov. 2021) en date du 18 novembre 2021 [Cour d’Appel de Versailles, 18 novembre 2021, n°21/01661], la Cour d’Appel de Versailles a confirmé la décision du Tribunal Judiciaire de Nanterre rendue le 11 février 2021, laquelle a affirmé la compétence du Tribunal Judiciaire pour juger le groupe Total dans le litige l’opposant à cinq associations et quatorze collectivités locales pour inaction climatique. La société TOTAL estimait relever du Tribunal de Commerce dans la mesure où le litige concernait également la conformité de son plan de vigilance aux dispositions de l’article L.225-102-4 du code de commerce. Pour rappel, ce dernier instaure le devoir de vigilance, obligation faite aux entreprises multinationales d’être vigilants dans toutes leurs activités et de respecter une norme dite de « diligence raisonnable ». D’emblée remarquons que la question de fond n’est pas traitée par l’arrêt rapporté. L’on sait en effet que la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (JORF n°0074 du 28 mars 2017, Texte n° 1) oblige les grandes entreprises françaises à élaborer, publier et mettre en œuvre des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes, et à l’environnement. Ainsi un « plan de vigilance » élaboré, mis en œuvre et publié par l’entreprise contient les mesures propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société, de ses filiales, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie. C’est la sincérité et le sérieux de ce plan qu’il incombe à la société TOTAL d’élaborer qui a été contestée devant le juge judiciaire sous l’angle singulier d’une action en préjudice écologique. Or s’est posée une question préalable de compétence pour connaître de cette action. Le Code de l’organisation judiciaire semble clair en la matière : l’article L.211-20 dispose que les actions relatives au préjudice écologique relèvent du Tribunal Judiciaire spécialement désigné. Semblablement, la Commission mixte paritaire (CMP) avait tranché en ce sens le 21 octobre 2021, à l’occasion des discussions sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Cette question n’était toutefois pas encore tranchée judiciairement, et dans une autre affaire intéressant également la Société TOTAL (la filiale TOTAL en Ouganda dans le cadre de la conduite de projet en Ouganda et de la mise en place d’un plan de vigilance à cet escient), le Tribunal Judiciaire de Nanterre s’était déclaré en janvier 2020, au contraire, incompétent au profit du tribunal de commerce. Par la suite, la Cour d’Appel de Versailles avait confirmé ce jugement en décembre 2020 [Cour d’Appel de Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692, téléchargeable sur doctrine]. Si ces décisions semblaient de prime abord souffrir d’une instabilité jurisprudentielle, la Haute Juridiction a fini de clore le débat par un Arrêt rendu le 15 décembre 2021 [Cour de Cassation, 15 décembre 2021, n°893 FS-B, téléchargeable ci-dessous] rappelant ainsi l’option offerte au demandeur non-commerçant dans le cadre d’un litige l’opposant à une partie commerçante : celle d’agir à son choix devant les tribunaux judiciaires ou de commerce. Plus encore, il semble désormais sans équivoque que le plan de vigilance, mesure phare de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017, ne se rattache pas seulement à un acte de gestion de nature purement commerciale, mais s’analyse en réalité comme un acte mixte. Selon la Cour de cassation, « Il résulte de ces textes que le plan de vigilance, incombant à une société anonyme en application du troisième texte, ne constitue pas un acte de commerce au sens du 3° du deuxième texte et que, si l’établissement et la mise en œuvre  d’un tel plan présentent un lien direct avec la gestion de cette société, justifiant la compétence des juridictions consulaires par application du 2° du deuxième texte, le demandeur non commerçant qui entend agir à cette fin dispose toutefois, en ce cas, du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce.» Finalement, ces récentes décisions s’inscrivent en conformité avec la loi du 27 mars 2017 et en consolident l’assise. En effet, le débat sur la compétence étant clos, les magistrats pourront s’adonner à une analyse sur le fond du respect du devoir de vigilance. Reste à espérer que les décisions qui suivront donneront des clés de lecture, à notre sens essentielles, sur la mise en œuvre de cette obligation.

Protection fonctionnelle des élus locaux : qui l’accorde et quand ?

Protection fonctionnelle des élus locaux : qui l’accorde et quand ?

Par Maître David DEHARBE, Avocats associé gérant, spécialiste en droit public (Green Law Avocats) Dans un jugement récent (TA Lille, 12 Octobre 2021, n° 1909928) le Tribunal administratif a annulé une décision du 28 juin 2019 de la métropole européenne de Lille accordant la protection fonctionnelle à son président et ordonné sous trois mois à l’E.P.C.I. de récupérer les sommes versées pour le conseil du chef de son exécutif. Certes, il n’est pas contestable qu’en vertu de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales (C.G.C.T.), applicable au président et vice-présidents ayant reçu délégation des établissements publics de coopération intercommunale en vertu des dispositions de l’article L. 5211-15 du même code : « La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ». Reste que le le Tribunal administratif de Lille rappelle à la Métropole européenne de Lille (MEL) que le conseil communautaire, organe délibérant de la MEL, demeure, sauf délégation expresse à son exécutif, seul compétent pour se prononcer sur une demande de protection fonctionnelle d’un élu local (cf. CAA Versailles, 20 déc. 2012, Cne de Servan, no 11VE02556 : AJDA 2013.1497, chron. Agier-Cabanes et CAA Marseille, 14 mars 2014, Cne de Marsillargues, no 12MA01582) et, d’autre part, qu’il n’y a poursuites pénales qu’à compter de la mise en œuvre de l’action publique. Or en l’espèce non seulement la protection fonctionnelle avait été accordée par une décision du premier vice-président de la Métropole, nullement habilité à cette fin ; mais, de surcroît, c’est à la suite d’un simple signalement au Procureur de la République et de l’envoi d’une convocation des services de police mais sans déclenchement de poursuites que la protection fonctionnelle avait été accordée au président par son premier vice-président.

Compteurs LINKY: mais que peuvent encore faire les communes? (CE, 11 juillet 2019)

Par Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats Par une décision du 11 juillet 2019 (n°426060), le Conseil d’Etat s’est prononcé une deuxième fois en l’espace d’un mois au sujet des controversés compteurs électriques de type « Linky ». L’arrêt, qui sera mentionné dans les Tables du recueil Lebon, rappelle de nouveau qui est le propriétaire des appareils. Et anesthésie également les compétences du maire au titre de ses pouvoirs de police générale.     Depuis le début de leur déploiement en 2015, les installations de comptage ont mauvaise presse. Selon leurs détracteurs, de nombreuses zones d’ombre existent en ce qui concerne la collecte des données personnelles, le risque d’incendie, la propagation d’ondes électromagnétiques pouvant potentiellement impacter la santé, etc. Le sénateur de La République En Marche (LREM) Robert NAVARRO avait déjà relayé cette inquiétude par une question écrite adressée au ministre de la transition écologique et solidaire au sujet de l’impact des compteurs Linky sur la santé. Tout en mentionnant le fait que les champs électromagnétiques-radioélectriques ont été classés par l’OMS dans la catégorie cancérigène 2B, tout comme l’amiante ou le plomb. Plus récemment, une quinzaine de députés ont déposé auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences du programme d’installation des compteurs communicants Linky. Et la controverse se traduit également devant les tribunaux, puisque de nombreuses actions sont menées par des citoyens mais également par des communes désireuses d’interdire le déploiement des dispositifs sur leur territoire, comme ce fut le cas de la commune de Cast (Finistère) qui est à l’origine de l’affaire ici commentée. Par une délibération du 16 juin 2016, le conseil municipal de Cast a ainsi demandé la mise en place d’un moratoire relatif au déploiement des compteurs intelligents en attendant les conclusions de l’étude réalisée sous l’autorité du ministère de la santé relative aux expositions liées au déploiement des compteurs numériques et à leurs conséquences éventuelles en termes de santé publique. Les jours suivants, le maire de la commune a décidé de suspendre sur l’installation des dispositifs sur le territoire. Par un jugement du 9 mars 2017, le Tribunal administratif de Rennes a annulé les délibérations et la décision du maire. La Cour administrative d’appel de Nantes a approuvé la solution des juges du premier degré et débouté la municipalité le 5 octobre 2018. Qui est propriétaire des compteurs Linky: Saisi du pourvoi de la commune, la Haute Assemblée se prononce tout d’abord sur la question de la propriété des compteurs « Linky », en reprenant la solution dégagée deux semaines plus tôt dans l’affaire de la commune de Bovel (CE, 28 juin 2019, n°425975, aux Tables), elle aussi opposée au dispositif de comptage. Sur ce point, le Conseil d’Etat considère que sur le fondement des dispositions combinées des articles L.322-4 du Code de l’énergie et L.1321-1 du Code général des collectivités territoriales, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune, et par voie de conséquence propriétaire des ouvrages des réseaux. En l’espèce, la commune de Cast a transféré sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité au syndicat départemental d’électricité du Finistère, lequel est donc l’autorité organisatrice sur le territoire communal. Dès lors, la commune ne pouvait se voir attribuer la qualité de propriétaire des installations de comptage et ne disposait donc pas de la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs sur ce fondement. Dans la mesure où la très grande majorité des communes ont transféré leur compétence en la matière à un établissement public, celles-ci se voient désormais privées d’un moyen de s’opposer au déploiement des compteurs sur leur territoire. Compteur Linky et pouvoirs du Maire: Mais l’arrêt retiendra également l’attention du lecteur concernant la possibilité pour le maire de s’opposer au déploiement des compteurs au titre de ses pouvoirs de police générale, qu’il se doit d’utiliser afin de veiller au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques sur le territoire communal. En l’occurrence, le maire de Cast avait décidé de suspendre l’implantation des compteurs sur le territoire communal pour des motifs liés à l’utilisation des données et à l’impact des dispositifs sur la santé humaine. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a procédé à l’interprétation suivante de la réglementation applicable : D’une part, il appartient au Premier ministre de fixer par décret les modalités de mise à disposition des données devant être recueillies par les compteurs électriques communicants ; D’autre part, l’article R. 323-28 du code de l’énergie prévoit que les dispositions techniques adoptées pour les ouvrages de réseaux publics d’électricité doivent satisfaire aux prescriptions techniques fixées par un arrêté pris conjointement par le ministre chargé de l’énergie et le ministre chargé de la santé ; les prescriptions de cet arrêté visant notamment à éviter que ces ouvrages compromettent la sécurité des personnes et des biens et qu’ils excèdent les normes en vigueur en matière d’exposition des personnes à un rayonnement électromagnétique. De plus, les compteurs sont soumis aux dispositions du décret du 27 août 2015 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques. La Haute Assemblée en déduit ainsi que le Maire ne peut intervenir via des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises  : « 9. Il appartient ainsi aux autorités de l’Etat de veiller, pour l’ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d’interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d’expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la…

Loi Montagne II : l’heure du bilan déjà ?

Par Maître Graziella DODE, Green Law Avocats, avec l’aide de Lucie MARIN, juriste stagiaire, Green Law Avocats Un an après l’adoption de la loi n°2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, dite Loi Montagne II, que nous avions commentée sur ce blog, l’heure est elle déjà au bilan ? Malgré la présentation du rapport d’information n°538 du 21 décembre 2017 présenté à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, nous ne le pensons pas. En effet, l’article 145-7 du règlement de l’Assemblée nationale permet à deux députés de présenter un rapport sur la mise en application d’une loi six mois après son entrée en vigueur lorsque celle-ci nécessite la publication de textes de nature réglementaire. Les députés Marie-Noëlle Battistel (Isère) et Jean-Bernard Sempastous (Hautes-Pyrénées) se sont alors saisis de cette mission d’information. Leur rapport d’information n°538 du 21 décembre 2017 a été présenté à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Les députés ont constaté que sur dix textes d’application nécessaires, quatre ont été publiés à ce jour. Les six autres décrets concernent divers sujets et quatre de ces six décrets devraient ainsi paraître prochainement. Les deux décrets restant en suspens concernent néanmoins des points importants. Il s’agit du texte prévoyant des exonérations fiscales pour la collecte du lait en montagne (article 61 de la loi montagne II), et celui prévoyant des adaptations sur les normes de sécurité et d’hygiène concernant les refuges de montagne (article 84). Le Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, s’était pourtant engagé à ce que le décret relatif à la collecte de lait soit pris avant la fin de l’année 2017. La députée Marie-Noëlle Battistel regrette de plus que la « spécificité montagne » ne soit pas encore suffisamment prise en compte par les administrations et les collectivités. Par exemple, l’Association Nationale des Elus de Montagne (Anem – dont la députée Marie-Noëlle Battistel est la présidente) déplore « l’absence d’attribution d’un siège aux représentants de la montagne au sein de la Conférence nationale des territoires ». De même, elle souligne que la compétence « Eau » a été transférée aux intercommunalités sans que la spécificité montagne ne soit prise en compte. S’agissant enfin des unités touristiques nouvelles (UTN) que nous avions déjà présentées, le rapport note que le décret d’application n° 2017-1039 du 10 mai 2017 relatif à la procédure de création ou d’extension des unités touristiques nouvelles « n’est pas suffisant pour permettre une application précise de la loi : beaucoup de zones d’ombre demeurent, par exemple dans les cas d’extension d’une UTN déjà existante ou dans les cas où une autorisation préfectorale dérogatoire de création d’UTN est encore valable, indépendamment des documents d’urbanisme précités ». Une circulaire sur l’urbanisme en montagne viendra donc le compléter. Il faudra donc attendre encore quelques mois pour pouvoir apprécier pleinement les effets tangibles de la loi Montagne 2.

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