Architecture et transition écologique : extension du « permis de faire »

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par une ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018, publiée au Journal officiel du 31 octobre 2018, le Gouvernement entend franchir une seconde étape en matière d’innovation technique et architecturale. Ce texte définit les modalités selon lesquelles les maîtres d’ouvrage des opérations de construction de bâtiments peuvent être autorisés à déroger à certaines règles de construction lorsqu’ils apportent la preuve qu’ils parviennent, par les moyens techniques qu’ils mettent en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des normes de référence. Le caractère innovant des procédés, d’un point de vue technique et architectural, doit également être démontré.   Par cette réforme, le Gouvernement généralise et étend un dispositif déjà prévu par la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Cette loi avait ainsi institué le « permis de faire », qui permettait à certains maîtres d’ouvrage, pour la réalisation d’équipements publics et de logements sociaux, de déroger à titre expérimental aux règles applicables en matière d’incendie, de risques de panique et d’accessibilité, dès lors que leur étaient substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles.   Avec l’ordonnance du 30 octobre 2018, cette possibilité est étendue à toutes les typologies de bâtiments ainsi qu’à tous les maîtres d’ouvrage. Surtout, les règles de construction concernées par le nouveau dispositif sont étendues à d’autres domaines : l’aération, la performance énergétique et environnementale et les caractéristiques énergétiques et environnementales, les caractéristiques acoustiques, la construction à proximité de forêts, la protection contre les insectes xylophages, la prévention du risque sismique ou cyclonique ainsi que les matériaux et leur réemploi.   Le modus operandi de la réforme est le suivant : les maîtres d’ouvrage souhaitant innover dans l’un des domaines précités devront soumettre leur projet à des organismes, désignés par décret, qui attesteront du caractère équivalent des résultats obtenus par les moyens alternatifs proposés, et valideront leur caractère innovant. Si l’attestation est délivrée, elle devra figurer dans le dossier de demande d’autorisation ou de déclaration nécessaire à l’opération projetée (demande de permis de construire, de permis d’aménager, déclaration préalable, etc.).   Une fois autorisées, les opérations font l’objet, jusqu’à leur achèvement, d’une vérification effectuée par un contrôleur technique. Celui-ci fournira à la fin des travaux une attestation de la bonne mise en œuvre des moyens utilisés par le maître d’ouvrage. Précisons que les opérations restent soumises au droit commun relatif aux contrôles applicables à l’ensemble des opérations de construction.   En cas de mauvaise mise en œuvre des moyens précités, l’autorité compétente est alors tenue, selon les cas, soit de s’opposer à la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux, soit de refuser de délivrer l’autorisation d’ouverture de l’article L. 111-8-3 du code de la construction et de l’habitation ou l’attestation de conformité des travaux au titre du code du patrimoine.   Notons que l’ordonnance insiste sur la nécessaire impartialité des organismes agrées devant délivrer l’attestation initiale. L’article 5 de l’ordonnance impose ainsi que ces organismes n’aient « aucun lien, pour l’opération en cause, avec le maître d’ouvrage, les constructeurs ou le contrôleur technique […] qui soit de nature à porter atteinte à leur indépendance ». Une exigence similaire s’applique aux contrôleurs techniques vérifiant la bonne mise en œuvre des moyens innovants autorisés.   Un décret en Conseil d’Etat fixera les conditions d’application de cette ordonnance. En particulier, le décret désignera les organismes agrées devant délivrer les attestations, ainsi que les résultats équivalents à atteindre lorsqu’il est dérogé à une règle de construction. Si cette réforme constitue le second acte d’une « libération » de l’innovation technique et architecturale, un nouveau texte devrait être publié prochainement. En effet, l’article 49 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) avait autorisé le Gouvernement à prendre deux ordonnances : la première est celle du 30 octobre 2018, la seconde doit être prise dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation de la loi.   Cette seconde ordonnance vise à réécrire le livre Ier du code de la construction et de l’habitation afin de pérenniser les dispositions de la première ordonnance notamment en offrant aux maîtres d’ouvrage la possibilité de plein droit de satisfaire à leurs obligations en matière de construction en apportant la preuve qu’ils parviennent, par les moyens alternatifs qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents.

AMVAP (aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine) : des conditions d’application soulignées par voie de circulaire

  Avec l’article 28 de la loi Grenelle II n° 2010-788 du 12 juillet 2010, les AMVAP (aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine) se sont substituées aux ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) créées par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales. Proches des ZPPAUP, les AMVAP demeurent initiées par les communes et les intercommunalités en charge du plan local d’urbanisme. Présentant le caractère d’une servitude d’utilité publique, elles permettent  de promouvoir la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces dans le respect du développement durable. Introduit dans les  articles L. 642-1 à L. 642-10 du code du patrimoine par la loi Grenelle II,  le régime juridique  des AMVAP a été précisé par le décret n° 2011-1903 du 19 décembre 2011 relatif aux aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (publié au JORF du 21 décembre 2011) – lui-même codifié aux articles D. 642-1 à R. 642-29 du code du patrimoine – , avant qu’ une circulaire  du ministère de la Culture et de la Communication NOR : MCCC1206718C en date du 2 mars 2012 relative aux aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP: circulaire AMVAP 02.03.2012), à laquelle sont annexées 6 fiches techniques détaillant les étapes de la création d’une AMVAP et ses modalités de mise en œuvre, en rappelle l’importance  du rôle de conseil des services de l’Etat dans le bon déroulement de la procédure de création et de suivi des AMVAP. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Grenelle II, aucune procédure de création, de révision ou de modification d’une ZPAUP ne peut être lancée. Néanmoins,  les  ZPPAUP (650) n’ont pas disparu du paysage juridique : en application de l’ article L. 642-8 du code du patrimoine,  « les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager mises en place avant la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 précitée continuent à produire leurs effets de droit jusqu’à ce que s’y substituent des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine et, au plus tard, dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de cette même loi ». La circulaire met  en garde  les élus contre leur éventuel attentisme puisqu’ « à défaut de transformation des ZPPAUP existantes en AVAP à la date du 14 juillet 2015, le régime des abords des monuments historiques ainsi que celui des sites inscrits au titre du code de l’environnement seront rétablis de plein droit sur l’ensemble des territoires concernés. » Des mesures transitoires ont été prévues pour les modifications et révisions des ZPPAUP en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi portant engagement national pour l’environnement (Loi Grenelle II) : lorsque, à cette date,  les procédures d’élaboration ou de  révision (cf. art. 2 de la loi n°2011-665 du 15 juin 2011 visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Ile-de-France) ont atteint le stade de l’enquête publique, elles restent soumises aux dispositions antérieures. L’on notera que, parmi les fiches techniques, la fiche n° 3  relative à la conception d’une AVAP et à la prise en compte des objectifs de développement durable revient sur la nécessaire conciliation à opérer entre la protection du patrimoine et le développement de l’éolien. Par ailleurs, il est précisé que si la préservation des milieux biologiques n’est pas une problématique directement associée à l’AMVAP, « en tout état de cause, la qualité architecturale, patrimoniale et paysagère, du territoire de l’AVAP concourt en elle-même au maintien des espèces et plus largement des biotopes »  aussi, est-il suggéré de prendre appui sur les trames vertes et bleues attachées au schéma régional de cohérence écologique. Quant à la fiche n°6 (application de l’AVAP et instruction des demandes d’autorisation de travaux), elle revient sur l’évolution juridique entourant l’avis émis par l’architecte des bâtiments de France (ABF) pour les demandes de travaux et les recours qui peuvent être soulevés à son encontre. Obligatoire, quel que soit le régime d’autorisation de travaux, l’avis de l’architecte est rendu dans le délai  d’un mois (avis favorable en cas de silence gardé par l’ABF). Quelle que soit le régime de l’autorisation, un recours peut être introduit devant le préfet de région qui dispose d’un délai de 15 jours (déclarations préalables et demandes d’autorisation spéciale) ou d’un mois (permis après consultation éventuelle de la commission locale) pour se prononcer sur le projet de décision, le ministre chargé des monument historiques et des espaces protégés  disposant de la possibilité d’évoquer les dossiers d’intérêt national.  Enfin, cette dernière fiche complétant la circulaire du 2 mars 2012  rappelle que les travaux illicites entrepris dans les AMVAP sont passibles, pour leur auteur,  d’une contravention de cinquième classe  d’un montant de 1.500 euros ou de 3.500 euros en cas de récidive (art. R. 642-29 du code du patrimoine – décret  n° 2011-1903 du 19 décembre 2011).   Patricia Demaye-Simoni Maître de conférences en droit public