Phytosanitaires : les maires out !

Par Maëliss LOISEL (Juriste Green Law Avocats) Par trois jugements en date du 8 octobre 2020, n°1916081, n°1915489, n° 2000727, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise a annulé des arrêtés anti-pesticides, pris respectivement par les maires des communes d’Us, de Pierrelay et de Bessancourt. Ces jugements faisaient suite à une requête introduite par le Préfet du Val d’Oise sur le fondement des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales (procédure contentieuse dite du déféré préfectoral).   Le Préfet demandait l’annulation de ces trois arrêtés par lesquels les maires avaient interdit l’utilisation de tout produit phytosanitaire contenant du glyphosate ou de tout produit phytopharmaceutique à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle comprenant un bâtiment à usage d’habitation, ou à usage professionnel. Cette interdiction était applicable sans limite de temps et pouvait être cantonnée à 100 mètres dans certaines configurations sur la commune d’Us. Ces arrêtés ont été suspendus par ordonnances du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy Pontoise (9 janvier 2020 n°1915493, 15 janvier 2020 n°1916079, 6 février 2020 n°2000726) qui ont été confirmées par 2 arrêts du juge des référés de la Cour d’appel de Versailles le 25 juin 2020 (n°20VE00615, n°20VE00340). Le juge des référés avait alors considéré, notamment pour retenir la suspension de l’arrêté de la Commune de Pierrelay qu’ : « Il résulte des dispositions précitées que la police spéciale relative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques a été attribuée au ministre de l’agriculture. S’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières » Si ces circonstances n’ont pas été reconnues en l’espèce, le juge des référés du Tribunal de Cergy Pontoise avait déjà eu l’occasion par deux décisions très remarquées de reconnaitre que de telles circonstances justifiaient le maintien d’arrêtés pris par les maires des communes de Gennevilliers et de Sceaux, interdisant sur leur territoire, l’utilisation de pesticides (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 8 novembre 2019, n°1912597 et 1912600, refus de suspension d’arrêtés anti-pesticides : le TA de Cergy prend le maquis !, David DEHARBE, 11 novembre 2019, TA Cergy-Pontoise, Ordonnance du 25 novembre 2019 N° 1913835). Or par ces décisions du 8 octobre 2020,  le juge du fond du Tribunal administratif de Cergy Pontoise a adopté une solution de rupture, en  considérant que la police spéciale de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et phytosanitaires était une police exclusive de toute intervention, même résiduelle, du maire. Le Tribunal a choisi de suivre l’argumentaire de son rapporteur public Mme Corinne Charlery, qui préconisait de transposer la solution retenue en matière de police spéciale des OGM ou d’antennes relai (CE 24 sept. 2012, n° 342990, Commune de Valence, Lebon, CE, ass., 26 oct. 2011, n° 326492, Commune de Saint-Denis, Lebon ; n° 329904, Commune des Pennes-Mirabeau, Lebon). Mais si la question en jurisprudence est tranchée concernant les antennes relai ou les OGM et plus récemment les compteurs électriques communicants (CE 11 juill. 2019, n° 426060, Commune de Cast, Lebon), la solution n’était pas acquise, concernant la police spéciale des produits phytosanitaires. Des solutions plus ou moins strictes ont été prises jusqu’alors dans ce domaine, notamment concernant l’arrêté « anti pesticides » pris par le maire de Langouët  (TA Rennes 27 août 2019 n°1904033, TA Rennes, 25 oct. 2019, n° 1904029, Préfet d’Ille-et-Vilaine, AJDA 2019. 2148) et en particulier le Tribunal administratif de Cergy Pontoise reconnaissait jusqu’alors la possibilité d’une immixtion exceptionnelle du maire dans la police spéciale environnementale. (TA Cergy Pontoise, ordonnances du 8 nov. 2019, n° 1912597, et 1912600 précitées et concernant notre affaire, TA Cergy Pontoise ordonnances du 9 janvier 2020 n°1915493, 15 janvier 2020 n°1916079, 6 février 2020 n°2000726). Ces ordonnances ont été annulées ou confirmées en appel (CAA Versailles  ordonnances du 14 mai 2020, n°19VE03891 et n°19VE03892,  et du 25 juin 2020 n°20VE00615, n°20VE00340) mais le juge des référés de la Cour n’a pas remis en cause, par principe, la possibilité pour le maire d’intervenir en présence de circonstances locales particulières ou de péril grave et imminent, il avait simplement reconnu que des telles circonstances n’étaient pas établies en l’espèce. Le Tribunal administratif de Cergy Pontoise dans sa formation collégiale et au fond opère par les trois nouveaux jugements commentés un revirement dans son approche tenant à l’appréciation de la légalité des arrêtés anti-pesticides que proposait le juge des référés : non seulement le juge du fond opte pour une conception stricte de l’exclusivité accordée à la police spéciale en matière de réglementation de l’utilisation des produits phytosanitaires et phytopharmaceutiques,  mais il l’impose même à supposer une carence des autorités de police spéciale. Ces jugements feront l’objet d’un commentaire approfondi au Bulletin Juridiques des Collectivités Locales (BJDC).

Le maire et les pesticides : pas d’immixtion !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) L’on sait que la jurisprudence du Conseil d’Etat (en matière d’ICPE, d’antennes relais, d’arrêté anti-OGM et d’installations de compteurs électriques communicants) est désormais parfaitement établie en matière de risques environnementaux ou sanitaires encadrés par une police spéciale, très souvent confiée au préfet département et/ou à un Ministre. Si,  en  vertu  de  ces  dispositions du  code  général  des  collectivités  territoriales, il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures  de  police  générale  nécessaires  au  bon  ordre,  à  la  sûreté,  à  la  sécurité et  à  la  salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer, par l’édiction d’une règlementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon national et confiée à l’État. Et le principe de précaution ne saurait faire échec à cette solution : s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder  son  champ  de  compétence  et  d’intervenir  en  dehors  de  ses  domaines d’attributions (CE, du 26 octobre 2011, n°326492). C’est sur cette base jurisprudentielle que le tribunal administratif de Rennes a ordonné mardi 27 août (par une ordonnance référencée n° 1904033) la suspension de l’arrêté pris par Daniel Cueff, le maire de Langouët (Ille-et-Villaine), limitant l’épandage de pesticides sur sa commune à plus de 150 mètres des habitations (la décision est téléchargeable ici). Pourtant la défense du premier magistrat de Langouët s’est efforcée de puiser au plus de la hiérarchie des normes française pour essayer de justifier qu’en vertu de la police générale un maire puisse tout de même réglementer la prévention d’un risque environnemental et sanitaire. Ainsi une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été posée au juge des référés. La défense mettait en cause  la  conformité au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution des  articles  L.253-7,L.253-7-1,  R.253-45,  D.253-45-1  du  code  rural  et  de  la pêche  maritime  et  L.1311-1  et  L.1311-2  du  code  de  la  santé  publique en tant qu’ils instituent une  police spéciale  des  produits phytopharmaceutiques centralisée et déconcentrée mais non décentralisée privant sans motif la collectivité locale de tout pouvoir réglementaire. Mais pour le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, « il résulte des  termes  mêmes  des  articles  34  et  72 de  la  Constitution que  les collectivités territoriales s’administrent librement et disposent d’un pouvoir règlementaire  pour l’exercice de leurs compétences, dans les conditions prévues par la loi. Il n’en résulte aucune obligation pour le législateur de définir les circonstances dans lesquelles il  entend  réserver  à l’État ou à ses représentants, plutôt qu’aux collectivités  territoriales,  le  pouvoir  de  règlementer certaines  matières  et  encore  moins  de  justifier  des  raisons  de  son  choix.  Par ailleurs, les dispositions constitutionnelles précitées n’interdisent pas au législateur qui organise à l’échelon national une police spéciale dans un domaine particulier de prévoir que l’autorité administrative compétente soit désignée par la voie règlementaire ». De même, la défense invoquait encore l’inconventionnalité du principe de non immixtion de la police générale dans le cercle de la police spéciale en sollicitant que soit posée une question préjudicielle à la CJUE : «En cas de carence avérée d’un Etat membre pour promulguer sur toute l’étendue du territoire national les mesures concrètes de protection des personnes vulnérables exigées par les articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement  du Parlement européen  et  du  Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009,  les  principes  de  primauté  et d’effectivité du droit de l’Union, emportent-ils le droit et/ou le devoir pour toute autorité locale disposant  d’un  pouvoir  de  police  sanitaire,  de  prendre,  sur  l’étendue  de  sa  compétence territoriale, des mesures, au moins provisoires, de protection des personnes vulnérables au sens des textes précités?». Le juge refuse cette transmission au motif principal qu’un doute sérieux suffit pour prononcer la suspension. Mais il ajoute encore ce motif sans doute bien plus discutable : « En tout état de cause, aucun des textes et principes du droit de l’Union européenne invoqués par la commune de Langouët ne peut être sérieusement interprété comme emportant, en cas de carence ou de retard d’un État  membre,  le  droit pour toute collectivité territoriale disposant d’un pouvoir de police sanitaire, de prendre, dans la limite de sa compétence territoriale, des mesures de protection des personnes vulnérables, ne serait-ce qu’à titre provisoire. ». Ce d’autant que l’utilisation  des  produits phytopharmaceutiques,  qui,  quoique régie par le droit de l’Union européenne, fait l’objet de textes nationaux incomplets, en violation des articles 12 de la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 et 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil  n°1107/2009  du  21  octobre  2009, en  ce  qu’ils  omettent  totalement  la protection des riverains des zones traitées, ainsi que l’a relevéle Conseil d’État dans sa  décision du  26  juin  2019  (nos 415426,  415431)  statuant  sur  une  requête  en annulation du décret du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et l’utilisation des produits  phytopharmaceutiques  et  de  leurs  adjuvants. Ainsi   le Conseil d’Etat dans son arrêt du 26 juin dernier avait donné au gouvernement jusqu’au 26 décembre pour revoir le dispositif sur l’application des pesticides et prévoir des mesures de protection des riverains. Daniel Cueff, a été le premier maire de France à avoir pris, le 18 mai dernier, un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides «à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel». Depuis plusieurs maires et conseils municipaux ont décidé et voté la limitation des épandages de pesticides à plus de 150 mètres des habitations (le Perray-en-Yvelines, le conseil municipal d’Us dans le Val d’Oise)… ce contentieux va s’étoffer, affaires à suivre.

Risques et radiofréquences : une nouvelle étude du National Toxicology Program

Par Maître Fanny ANGEVIN (Green Law Avocats) Le National Toxicology Program, organisme dépendant du département de la santé et des services humains du gouvernement américain, vient de publier deux études relatives aux effets des radiofréquences des téléphones portables sur les rats et les souris (https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/february2/index.cfm, étude sur les souris : https://tools.niehs.nih.gov/cebs3/views/?action=main.dataReview&bin_id=3801, et sur les rats :  https://tools.niehs.nih.gov/cebs3/views/?action=main.dataReview&bin_id=3800). Selon le communiqué de presse de l’Institut National de l’Environnement et des Sciences Humaines (« National Institute of Environmental Health Sciences »), ces deux études concluraient au fait qu’une haute exposition à une radiation de radiofréquence serait liée à la présence de tumeurs chez les rats males. Le communiqué de presse précise que cette haute exposition à des radiations de radiofréquences a provoqué des tumeurs dans les tissus entourant les nerfs du cœur des rats males. Il indique également que ces conclusions n’ont pas été les mêmes pour les rats femelles et les souris. Par ailleurs, le communiqué de presse souligne ensuite le fait que les taux d’expositions utilisés dans les études étaient similaires et supérieurs aux niveaux d’expositions autorisés pour l’exposition locale des tissus humains en ce qui concerne les émissions des téléphones portables. Il est également indiqué que les téléphones portables émettent typiquement des niveaux inférieurs de radiations de radiofréquences que le maximum autorisé. Néanmoins, il demeure que ces études semblent établir un lien entre l’exposition à aux radiofréquences et la présence de tumeurs chez le rat male. Ces études doivent encore faire l’objet d’une revue critique par la communauté scientifique (prévue pour mars 2018). Mais elles auront en tout état de cause vocation à ouvrir à nouveau le débat en France relatif aux taux d’expositions aux radiofréquences, un sujet qui est particulièrement anxiogène pour les riverains d’antennes relais notamment. Rappelons que la procédure de mise en place d’antennes relais en France ne fait l’objet d’aucune « réelle » concertation des populations locales : certes, depuis un décret n°2016-1211 du 9 septembre 2016 relatif à l’information locale en matière d’exposition du public aux champs électromagnétiques, les maires ou présidents d’EPCI doivent mettre à disposition des habitants les informations en ce qui concerne les projets d’implantation d’installations radioélectriques sur le territoire de la commune. Le maire peut également donner la possibilité aux habitants de formuler des observations sur ces projets. Néanmoins, force est de constater, en pratique, que les riverains de tels projets découvrent très souvent l’existence de ces derniers à un stade très avancé de la procédure, c’est à dire, au moment où l’affichage sur le terrain du permis de construire ou de la déclaration préalable est effectuée. S’ensuivent alors des procédures contentieuses en raison des craintes des riverains sur les effets de l’exposition à ces antennes, qui ne sont néfastes tant pour les opérateurs de téléphonie mobiles, pour les Communes et pour les riverains des projets et qui auraient certainement pu être évitées, si une meilleure concertation existait. Une véritable remise en question de ces procédures doit donc être mise en place ainsi qu’un réel débat sur les taux d’exposition aux radiofréquences.