Nouvelle exception à la loi littoral

Par Maître DAVID DEHARBE (Green Law Avocats) Dans sa décision n°432944 (mentionné aux tables du recueil Lebon) du 10 juillet 2020, Association France Nature Environnement, le Conseil d’Etat précise le régime de l’implantation d’aménagements légers pouvant être implantés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Pour rappel, l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme énonce que « Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. […] ». Toutefois, l’article L. 121-24 permet de déroger à cette règle lorsqu’il est question de l’implantation d’aménagements légers. Depuis la loi n° 2018-1021, du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, l’article L. 121-24 prévoit que la liste limitative de ces aménagements légers doit être définie par décret en Conseil d’Etat. Cette liste est inscrite à l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme : « Des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu’ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site. […] ». En l’espèce, le décret n° 2019-482 du 21 mai 2019, relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, a modifié la liste des aménagements légers ; en ajoutant la nouvelle catégorie relative aux canalisations nécessaires au services publics ou aux activités économiques. Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 juillet et 22 août 2019 et 14 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France Nature Environnement demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-482 du 21 mai 2019 relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. La haute juridiction administrative  apporte deux éclaircissements : sur la légalité externe elle précise la portée de la consultation publique fondée sur articles L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l’environnement (I) ; sur la légalité interne elle explicite la portée du principe de non-régression issu de l’article L110-1 du code de l’environnement (II).  Concernant la portée de la consultation publique fondée sur articles L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l’environnement, le Conseil d’Etat a indiqué que l’obligation de consultation publique préalable à l’édiction de certains types d’actes ayant une incidence directe et significative sur l’environnement « n’imposent de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public sur les modifications qui sont ultérieurement apportées au projet de décision, au cours de son élaboration, que lorsque celles-ci ont pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public. ». Les projets soumis à consultation publique préalable peuvent ainsi être modifié sans qu’il y ait lieu de relancer une procédure de consultation. Le Conseil d’Etat pose toutefois un garde-fou : cette modification ne doit pas avoir pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public. Certes, cette solution n’est pas nouvelle (CE, 4 décembre 2013, n° 357839 358128 358234, Cons. 8 ; CE, 17 juin 2015, n°375853, Cons. 7 à 9 ; CE 22 octobre 2018, Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, n°408943) Mais cette solution relativise comme beaucoup d’autres de la juridiction administrative la consistances du principe de participation. En effet ce principe a été lu par exemple comme n’impliquant pas par lui-même l’obligation de procéder à une information du public préalablement à l’autorisation d’extension d’une installation nucléaire de base (CE, 16 mars 2001,  collectif national stop melox, n° 212930). Ce principe n’impose pas plus en lui-même l’organisation d’une enquête publique ou que le public soit associé à la décision publique. Mais surtout on sait que le Conseil d’Etat a une lecture stricte du « projet » ayant une incidence importante sur l’environnement (Ce qui exclut de son champ d’application le contentieux des ZDE : CE 26 juin 2013, Cne de Roquerfère, n°360466 ; plus étrangement encore l’arrêté fixant les règles de balisage des éoliennes afin de garantir la sécurité de la circulation aérienne : CE 13 mars 2020, n° 425161). Et cette solution s’inscrit encore dans une logique qui consiste désormais à accepter les régularisations des vices de formes et même de ceux qui semblent pourtant méconnaître le principe de participation (CE 22 mars 2018, n°415852)… si bien que l’on se demande parfois si le principe en est encore un et si le recours a encore un intérêt ! Bien évident la sécurité juridique explique largement ces entorses à la participation. On constate en fait qu’après le mépris de ses représentants, le peuple doit compter désormais avec le mépris des juges … On finit par se demander si, à ainsi torturer la loi plus qu’il ne l’interprète, le Conseil d’Etat ne prend pas le risque d’alimenter la thèse de ceux qui a l’instar de Dominique Rousseau proposent désormais sans détour la suppression de la Haute juridiction administrative (Dominique Rousseau : « Pour déconfiner la France politiquement, il faut reconnaître la compétence des citoyens »). Concernant la portée du principe de non-régression issu de l’article L110-1 du code de l’environnement, il est de bon ton de rappeler qu’il est le pendant de l’effet cliquet en droit de l’environnement. Le principe de non-régression est une création doctrinale du professeur Prieur qu’il considère être « la conséquence du caractère finaliste du droit de l’environnement, qui vise non seulement à protéger l’environnement dans ses différentes composantes, mais également à l’améliorer, ce qui désigne une action vers plus de protection » (Prieur M. et Sozzo G. (dir.), La non-régression en droit de l’environnement, Bruylant, 2012,…

Projet réglementaire à incidence environnementale et consultation du public

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Les juges du Palais Royal ont eu l’occasion de se prononcer sur la légalité du décret n°2017-32 d’application de l’article L.132-15-1 du code minier, au regard du principe de participation du public en matière environnementale (CE 22 octobre 2018, Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction n°408943). La question de la portée du principe n’est pas nouvelle et son invocation a souvent cet effet paradoxal : il sert moins la cause environnementale qu’à fonder un moyen développé contre les dispositions réglementaires participant de l’écologie (punitive selon certains). L’article précité du code en minier prévoit pour sa part l’instauration d’une redevance, pour les gisements en mer situés sur le plateau continental ou dans la Zone Economique Exclusive, imposée aux titulaires de concession d’exploitation de mines non-énergique. Le décret d’application litigieux établit quant à lui les différentes modalités de calcul de cette redevance, en tenant compte notamment de l’impact environnemental de l’exploitation ainsi que le risque de celle-ci sur l’environnement. Et c’est finalement assez classiquement que l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction dans cette affaire se fonde sur le non-respect du principe de participation du public en matière environnementale, prévu à l’article L.123-19-1 du code de l’environnement et l’article 7 de la Charte de l’environnement, pour tenter d’obtenir la censure d’un dispositif, qui pour s’inscrire dans le principe pollueur-payeur, n’en semblait pas moins insupportable à ce requérant. Lorsqu’une décision des pouvoirs publics est susceptible d’avoir, au sens de l’article L.123-19-1 I §3 du code de l’environnement une incidence significative et directe sur l’environnement, une participation du public doit être organisée. Deux questions étaient dans ce cadre posées au Conseil d’Etat. D’une part et l’interrogation s’avère somme toute très classique : dans quelle mesure une redevance peut-elle avoir une incidence directe significative sur l’environnement ? (1) D’autre part, la question subséquente et plus intéressante en ce qu’elle montre sans doute que les invocations contre nature du principe de participation ont leur limite : celle de savoir dans quelle mesure les modifications du texte soumis à consultation ont pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public et d’entacher d’illégalité l’adoption du texte ainsi modifié (2). Dans notre affaire, le décret litigieux avait déjà fait l’objet d’une consultation du public entre le 27 octobre et le 17 novembre 2016. En effet, aux termes aux termes de l’alinéa 1er de l’article L123-19-1 « Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration ». Or l’on sait qu’aux termes de l’alinéa 3 du I du même article dispose : « Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l’environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ». Cette disposition est venue tirer les conséquences qu’a fait la jurisprudence du conseil constitutionnel du champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement instituant le principe de participation (Cons. Const. 26 avril 2013 Association Ensemble pour la planète, QPC n°2013-308 ; Cons. Const. 24 mai 2013 Syndicat français de l’industrie cimentière et autre, QPC n°2013-317) En l’espèce, selon le Conseil d’Etat « Eu égard à l’intensité de l’incitation ainsi mise en place pour atteindre l’objectif de protection des milieux marins, ces dispositions doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l’environnement ». Sans surprise les deux critères, à savoir l’incidence directe et significative, sont donc réunis dans le cadre d’une redevance participant du principe pollueur payeur (cf. en ce sens : CE, 23 novembre 2015, Société Altus Energy et autres, n°381249) Dans notre cas le Conseil d’Etat relève en particulier : « Le décret attaqué fixe le montant de la redevance, instituée par l’article L. 132-15-1 du code minier, sur l’exploitation de substances non énergétiques sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive en y incorporant les coefficients de modulation prévus par cette disposition législative afin notamment d’inciter les opérateurs à adopter des pratiques limitant l’impact de l’activité extractive sur l’environnement. Il ressort des pièces du dossier que la modulation résultant notamment du coefficient relatif à l’impact environnemental des techniques employées peut aller jusqu’à augmenter la redevance de 50 %, celle-ci étant d’un montant pouvant atteindre une proportion de l’ordre de 3 % de la valeur des substances minérales extraites, s’agissant des granulats marins ». Remarquons que le Conseil a dans un cas au moins considérer que l’incidence d’un projet réglementaire sur l’environnement n’était pas suffisamment directe pour juger que la consultation du public n’était pas requise : à propos de l’arrêté du 25 avril 2014 du ministre de l’écologie, dont le seul objet était de supprimer, pour les producteurs d’électricité photovoltaïque dont l’installation est raccordée au réseau public de transport, l’obligation d’avoir achevé leur installation dans un délai de dix-huit mois lorsque la mise en service de celle-ci est retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement et  leur permettant de différer la mise en service de l’installation au plus de deux mois à compter de la fin des travaux de raccordement (CE, 23 novembre 2015, n°381249, précité) Néanmoins, postérieurement à la procédure de consultation du public, le décret a fait l’objet de plusieurs modifications concernant le calcul de la redevance. Le Conseil est donc invité à se pencher sur l’obligation ou non de procéder à une nouvelle participation du public, qui doit être mise en place uniquement lorsque la modification a pour effet de dénaturer le projet de texte. Le Conseil d’Etat avait déjà été confronté à cette problématique à plusieurs reprises. Notamment à l’occasion de son contrôle sur le décret du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes (CE, 4 décembre 2013, n° 357839 358128 358234, Cons….