Riverains de la pollution de l’usine Lubrizol : comment obtenir réparation ?

Par David DEHARBE, avocat associé gérant (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, installation classée pour la protection de l’environnement et Seveso seuil haut, a été déclaré éteint le vendredi 27 septembre. Circulez, rien à voir tout va très bien il n’y a pas de risque sanitaire selon les pouvoirs publics. Il n’y a “pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués”, a assuré la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne. Il n’en demeure pas moins  que la pollution est bien présente au-delà même de l’incertitude qui entoure d’éventuelles pollutions sanitaires directes : des galettes d’hydrocarbures ont fait leur apparition sur la Seine, à Rouen et la suie à couvert à plusieurs kilomètres à la ronde les jardins. A minima les riverains sont contraints de prendre des mesures de prévenir la migration de la pollution : détruire leur légumes, renoncer à les consommer … etc. Et plus grave : les sols sont sans aucun doute impactés. Le droit de l’environnement permet avec certitude la réparation des préjudices ainsi subis (cf. notre ouvrage : Sébastien BECUE et David DEHARBE, Assurer le risque environnemental des entreprises, éditions de l’Argus de l’assurance).   D’abord une action en trouble de voisinage devant le juge judiciaire permettra assurément à tout riverain d’obtenir la remise en état de sa propriété ou de sa parcelle louée. Cette action est très simple à engager car il ne faut pas démontrer la faute de l’industriel mais seulement l’existence d’un lien de causalité entre la pollution causée par l’industriel et le préjudice anormal subi par le riverain. De surcroît les associations agréées de protection de l’environnement comme les collectivités territoriales impactées  peuvent encore agir contre l’exploitant de l’installation Seveso en réparation du préjudice écologique subi par leur territoire. Ainsi le préjudice écologique après avoir été consacré par le juge (cf. par ex. :Le préjudice écologique reconnu suite à la pollution de l’estuaire de la Loire par la raffinerie de Donges (CA RENNES, 9 déc.2016) ) a été intégré dans le code civil : “Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer” (Article 1246, créé par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 – art. 4). Ajoutons que s’agissant du préjudice écologique et du risque sanitaire une action dite de groupe à l’américaine est désormais ouverte, via une association agréée. On doit aussi signaler que sur le terrain assurantiel tous les contrats d’assurance de biens des particuliers (multirisques habitation, multirisques automobile) comportent obligatoirement une garantie qui couvre les catastrophes technologiques. La garantie peut être déclenchée si l’accident rend inhabitable au moins 500 logements et qu’un arrêté de catastrophe technologique précisant les zones et la période de survenance des dommages est publié au Journal officiel dans les quinze jours qui suivent la catastrophe. L’assuré doit déclarer le sinistre au plus tôt et respecter dans tous les cas le délai indiqué dans le contrat. On verra ce qu’il en sera ici et surtout si les collectivités locales vont exiger de l’Etat qu’il prenne un arrêté de catastrophe technologique. Pour les riverains le nettoyage des suies persistantes sur leurs biens en serait grandement facilité. Enfin on peut encore s’interroger sur d’éventuelles carences de l’Etat dans le contrôle de l’installation classée au regard de l’importance des zones impactées. Là aussi une action en responsabilité de l’Etat devant la juridiction administrative serait sans doute pertinente. Ainsi au-delà des actions pénales très médiatiques, le droit de la responsabilité civile en ce compris la réparation du préjudice environnemental devrait plus discrètement mais surement permettre d’assurer les réparations qui s’imposent. Si l’affaire AZF a accouché d’actions juridictionnelles bien décevante, la conscience environnementale du moment parait au contraire réellement favorable à ce que l’affaire de l’usine Lubrizol suscite des actions juridictionnelles exemplaires … les pistes ne manquent pas !  

Arrêtés couvre-feu pour prévenir les troubles de voisinage : contrôle étroit du juge

 Par Maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats) Souvent les riverains se sentent démunis face aux troubles de voisinages dont ils sont victimes en milieux urbains et dans des zones où le vouloir vivre ensemble semble très difficile au quotidien. Pour y remédier certains élus locaux ont décidé de mobiliser leur pouvoir de police administrative en prenant des arrêtés « couvre-feu ». Ils ne sont pas forcément illégaux mais comme l’appelé le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ils font l’objet d’un contrôle juridictionnel étendu. Ainsi, le jour du 230e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a d’abord été l’occasion pour le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement des dispositions de l’article L.521-1 CJA, de préciser les règles applicables en matière de concours entre polices administratives générales au sein de communes où la police est étatisée (TA Cergy-Pontoise ord. 26 août 2019, Ligue des droits de l’homme, n° 1910034 et n° 1910057). Des arrêtés « couvre-feu » pris par les maires de Meudon et Sèvres Au début de l’été 2019, les maires de deux communes de la banlieue ouest de Paris avaient proscrit par arrêté les rassemblements « non liés à des manifestations ou fêtes publiques » à certaines heures de la soirée ou de la nuit, et sur des secteurs délimités de leurs communes respectives : le maire de Meudon avait interdit, sur un périmètre restreint de sa commune et pour une période d’un an courant à compter du 10 juin 2019, les regroupements de personne non liés à des rassemblements autorisés ; à Sèvres, le maire n’avait empêché ce type de réunion que jusqu’au 30 septembre 2019, sur une petite portion de son territoire communal, mais sur une plage horaire plus importante. La Ligue des droits de l’homme a alors intenté une action en référé-suspension devant le juge administratif. La requérante estimait que les actes administratifs édictés par les deux édiles, à défaut d’être « nécessaires et adaptés », portaient en tout état de cause une atteinte « disproportionnée » à deux grandes libertés publiques : la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion des personnes susceptibles de circuler sur le territoire concerné. Outre le vice d’incompétence du maire pour édicter de telles dispositions – nous y reviendrons – le périmètre géographique et l’amplitude horaire présents dans les deux arrêtés étaient contestés. La reconnaissance de la compétence du maire pour réprimer les troubles du voisinage dans les communes où la police est étatisée Dans les deux espèces, le juge des référés a, prima facie, reconnu l’existence d’une situation d’urgence, nécessaire au vu des dispositions de l’article L.521-1 CJA pour qu’il fasse usage de ses pouvoirs. Les deux ordonnances du 26 août 2019 ont ensuite permis au juge administratif de préciser l’étendue des compétences du maire en matière de police administrative générale dans des communes où la police est étatisée. Le magistrat statuant en référé a opéré une combinaison entre l’article L.2212-2 et l’article L.2214-4, deux textes de la partie législative du Code général des collectivités territoriales relatifs aux pouvoirs de police du maire (L.2212-2) et du Préfet (L.2214-4) en matière de répression des troubles à l’ordre public. « Dans les communes où la police est étatisée, le maire est compétent pour réprimer les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les troubles du voisinage, le représentant de l’Etat étant pour sa part compétent pour réprimer les autres atteintes à la tranquillité publique au sens des dispositions du 2° de l’article L.2212-2 CGCT ». La reconnaissance de la compétence du maire reposait donc sur la qualification par le juge des actes proscrits au sein des arrêtés : seule la qualification de troubles de voisinage portant atteinte à la tranquillité publique pouvait emporter compétence municipale, écartant au passage la compétence légale du Préfet par le jeu de la combinaison des deux dispositions précitées. C’est chose faite dans les deux espèces « eu égard aux atteintes à la tranquillité publique que vise à prévenir l’arrêté attaqué, qui doivent être regardées comme consistant en des troubles du voisinage, le moyen tiré de l’incompétence du maire de Sèvres (Meudon) ne peut être regardé comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ». On remarquera que la qualification de trouble de voisinage est particulièrement motivé dans les deux ordonnances. S’agissant de la commune de Sèvres, l’Ordonnance relève  que « à Sèvres, le tribunal constate « ces troubles ont donné lieu à des plaintes de riverains faisant état de rassemblements de plusieurs personnes en soirée et jusque dans la nuit, caractérisés notamment par du tapage nocturne, des mouvements de scooter, de la consommation de substance illicites, des stationnements illégaux, des déjections et des dégradations de véhicules particuliers, et, le cas échéant, des repas sauvages. S’agissant du centre d’art et de culture, situé aux abords d’un secteur résidentiel, ces troubles se manifestent notamment de nuit et en dehors même de toute activité du centre. Ces plaintes sont matérialisées, sur une période incluant la fin de l’hiver et le printemps 2019, par des interventions auprès du maire de particuliers, deux mains courantes de riverains (rue du Val et rue Hélène Loiret), par quatre mains courantes des services de la police municipale (rue du Val, place Jules Janssen et rue Basse de la Terrasse), et par une restitution d’une réunion d’un comité de quartier. A cet égard, il ressort de ces pièces que la police municipale de Meudon est intervenue, sur signalement de particuliers, avec des résultats inégaux et sans pouvoir verbaliser les intéressés, en l’absence de prérogative en ce sens, les services de la police d’Etat ne pouvant donner suite dans tous les cas à ces interventions, ou intervenant avec retard par rapport au signalement des faits, en raison notamment de la diminution de leurs effectifs dans les Hauts-de-Seine. S’agissant de la rue du Cerf, une tentative de médiation avec les personnes intéressées, organisée en avril 2019, n’a pas abouti. Aucun équipement en caméras de vidéo-surveillance n’existe dans les secteurs concernés eu…