Energie: vers des lettres de cachet contre les opérateurs photovoltaïques ?

[dropcap]L[/dropcap]a publication au Journal officiel d’hier d’un décret limitant le montant de l’indemnisation due par les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité a pu faire croire à une partie de la filière photovoltaïque qu’un nouvel obstacle venait d’être dressé contre la possibilité de faire valoir ses droits (Décret n° 2012-38 du 10 janvier 2012 fixant le barème des indemnités dues en cas de dépassement des délais d’envoi de la convention de raccordement ou de réalisation du raccordement des installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable d’une puissance inférieure ou égale à trois kilovoltampères ). Cependant, s’il fait incontestablement penser à une réduction supplémentaire du sentiment d’Etat de droit (1), il faut en relativiser juridiquement la portée (2). 1) Un sentiment d’affaiblissement de l’Etat de droit Indéniablement, les opérateurs photovoltaïques auront été déçus par l’Etat de droit, trompés par le Ministère de l’Ecologie et le Gouvernement et sacrifiés par la perception à court terme que se fait le Conseil d’Etat de l’intérêt général (ordonnance de référé du 28 janvier 2011 et arrêt “ciel et terre” du 18 novembre 2011). Le décret ci-dessous téléchargeable leur donnera probablement le sentiment d’un retour à l’Ancien régime et au règne de l’arbitraire. Ce décret_n°2011-2020_du_29_décembre_2011 établit un barème dérisoire des préjudices causés aux producteurs d’installations photovoltaïques d’une “puissance installée” de 3kVA par l’envoi tardif des conventions de raccordement par les gestionnaires de réseau d’électricité, et par le raccordement pouvant lui-même être tardif. Après avoir malmené le principe de non rétroactivité (dont il avait pourtant été mis en garde par plusieurs parlements: voir les débats parlementaires de la Loi Grenelle II, et notamment les discussion en Commission des Affaires économqiues sur l’article 33 du texte devant l’Assrbmlée Nationale…devenu l’article 88), le Gouvernement et sa Ministre de l’Environnement sacrifient celui de la réparation du sur l’autel des besoins de financement du tout nucléaire. 2) Une portée du barème à relativiser Cependant, à bien lire le décret, qui revient finalement à un décret d’application de l’article 88 V de la Loi Grenelle II codifié à l’article L342-3 du Code de l’énergie, il convient de voir qu’il n’a pour objet – que de garantir légalement une indemnisation minimale – aux producteurs d’une installation de moins de 3kVA. Il serait erroné d’y voir là l’exclusion légale ou réglementaire du régime d’inmnisation de droit commun pour les installations d’une puissance supérieure: cela ne ressort ni directement du texte, ni indirectement des débats parlementaires. Et s’agissant d’un exception, elle s’interprète strictement. En tout état de cause, certains avaient fort heureusement anticipé ce type de manoeuvre et pourront se contenter d’arguer de l’antériorité de leur recours juridictionnel contre le gestionnaire … ils ne seront pas privés du procès en réparation auquel ils pouvaient légitiment prétendre à moins que le Gouvernement entende méconnaître (comme il l’a déjà fait pour le même article 88 de la loi grenelle II, mais en son III° : TC, 13 décembre 2010, “Green Yellow) le droit à un procès équitable garanti par l’article 6,§1 de la CEDH. Rappelons en effet que le gestionnaire a des obligations dont le non respect est d’ores et déjà reconnu (voir les décisions du CoRDIS du cabinet commentées ici) Pour les attentistes, l’exception d’illégalité voire d’inconstitutionnalité du décret, si tant est que le gestionnaire entende l’invoquer au contentieux, sera indispensable avec les aléas que l’on sait. David DEHARBE Avocat au Barreau de Lille Green Law Avocat

QPC relative aux PPRT : Le Conseil d’Etat considère qu’il n’y a pas de rupture d’égalité devant les charges publiques

Nous l’avions déjà évoqué sur ce blog : la QPC était un instrument pertinent s’agissant de l’appréciation du dispositif PPRT à l’égard des propriétaires riverains d’installations Seveso (voir nos brèves ici et là ).  Néanmois, le Conseil d’Etat vient de refuser, par une décision du 23 septembre 2011, de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la rupture d’égalité des citoyens que pourrait créer l’élaboration et l’approbation des PRRT (CE, ss sect. 6 et 1, 23 septembre 2011, n°350384). Le rôle de filtre du Conseil d’Etat Dans cette espèce, la société AUTOIMPIANTI MARINI France avait soulevé, dans le cadre d’une requête en annulation d’un arrêté approuvant le plan de prévention des risques technologiques pour la société TOTAL GAZ, la question de la conformité des dispositions de l’article L. 515- 16 et L. 515-19 du Code de l’Environnement avec les droits et libertés garantis par la Constitution, et invoquait notamment la rupture d’égalité devant les charges publiques. La question ayant été transmise par le président du Tribunal administratif d’Amiens, la Haute juridiction administrative a alors opéré son rôle de filtre des QPC en appliquant les trois conditions nécessaires pour apprécier l’opportunité d’une transmission au Conseil Constitutionnel : – la ou les dispositions contestées doivent être applicables au litige en cours, – la ou les dispositions contestées ne doivent pas avoir déjà été déclarées conformes à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel, – la question posée doit être nouvelle et présenter un caractère sérieux. Pas d’influence de l’article L. 515-9 du CE sur le litige en cours Le Conseil d’Etat a ici rapidement écarté la problématique soulevée au sujet de l’article L. 515-9 du Code de l’Environnement qui prévoit notamment la conclusion d’une convention entre l’Etat, les exploitants des installations classées concernées et les collectivités territoriales aux fins de fixer leur contribution respective relative au financement des mesures prescrites dans le cadre du PPRT. En effet, cette disposition était sans influence sur le litige en cours, à savoir l’appréciation de la validité du PPRT approuvé. En conséquence, et conformément aux exigences posées par les dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, le Conseil d’Etat a écarté la saisine du Conseil Constitutionnel concernant cette question. Absence de caractères nouveau et sérieux de la question posée selon le Conseil d’Etat Restait l’examen de l’article L. 515-16 du Code de l’Environnement, et plus précisément son alinéa IV qui permet de mettre à la charge des propriétaires, exploitants et utilisateurs riverains des mesures de protection des populations. La société AUTOIMPIANTI MARINI France soutenait que ces dispositions portent atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques mentionné à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen ainsi qu’au principe général d’égalité visé à son article 6. Néanmoins, la Haute juridiction administrative, après avoir pris le soin de rappeler l’existence de limites fixées par décret concernant ces mesures, la différence de situation entre l’exploitant de l’installation à l’origine du PPRT et les propriétaires riverains qui ne sont sollicités, s’agissant de la mise place de mesures de protection de la population, qu’à titre très subsidiaire, ainsi que l’existence d’avantages fiscaux et d’aides publiques, a jugé que les dispositions déférées n’étaient pas contraires  au principe d’égalité et d’égalité devant les charges publiques. En conséquence, les juges du Palais Royal ont estimé que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux, n’était pas nouvelle et ne nécessitait donc pas d’être renvoyée au Conseil constitutionnel. Une telle solution comporte toutefois au moins une faiblesse dans le raisonnement : en effet, une analyse concrète des sujétions imposées au riverain montre qu’elles sont loin d’être négligeables ! Certes, le montant des travaux est limité, mais il s’agit d’une limite à 10% de la valeur de l’habitation, ce qui peut constituer une charge excessive pour certains propriétaires. D’autre part, faut il le rappeler (voir notre brève du 6 décembre 2010 sur la question), le crédit d’impôt a été réduit à 25%. Une décision prévisible de la Haute Juridiction Finalement, une telle solution ne surprend guère lorsque l’on connait la jurisprudence administrative en matière de rupture d’égalité devant les charges publiques. En effet, les juges réfutent systématiquement le moyen tiré d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, notamment en matière de servitudes environnementales crées par exemple par les plans de prévention des risques naturels prévisibles ou s’agissant de l’institution de servitudes d’urbanismes prévues à l’article L. 160-5 du Code de l’Urbanisme. A ce titre, et pour la petite histoire, il est intéressant de noter que la société AUTOIMPIANTI MARINI France, demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité au cas d’espèce, avait déjà tenté d’invoquer ce même principe de rupture d’égalité devant les charges publiques s’agissant du refus d’indemnisation qu’elle s’était vu opposé concernant des mesures d’éloignement adoptées dans le cadre d’un POS approuvé autour du site exploité par TOTAL GAZ…. La Cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt du 6 août 2010, avait ainsi jugé qu’aucune charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif de sécurité publique poursuivi n’était imposé à la requérante et qu’il n’existait pas de rupture d’égalité devant les charges publiques (CAA DOUAI, 6 août 2010, n°08DA01055, inédit). La voie de la question prioritaire de constitutionnalité n’aurait également pas eu de chances de prospérer puisque le Conseil d’Etat avait, dans un même temps, refusé la saisine du Conseil Constitutionnel s’agissant de la prétendue contrariété des servitudes de l’article L. 160-5 du Code de l’Urbanisme avec le principe d’égalité (CE, ss sect. 9 et 10, 16 juillet 2010, JurisData n° 2010-011682). Il faudra donc trouver un autre fondement pour s’attaquer à la charge financière des servitudes instaurées ou des mesures de protection imposées dans le cadre des PPRT, mais à coeur vaillant, rien d’impossible. Marie Letourmy Avocat au Barreau de Lille Green Law Avocat