Orages, inondations et dommages de travaux publics : n’oublions pas l’équation de la responsabilité administrative

En cette période où les orages seront bientôt de retour, j’ai demandé à Gaspard LEBON, jeune étudiant en droit de la Faculté de droit de Lille 2  major de Licence 1 et 2 et en stage actuellement chez Green Law, de nous rappeler, l’existence en matière d’intempéries violentes d’un régime de responsabilité administrative toujours plus favorable aux victimes de ces dommages. Par une série de quatre arrêts similaires rendus le même jour (27 janvier 2017, N° 15NT01092, N° 15NT01190, N° 15NT01187, N° 15NT01096 ), la Cour administrative d’appel de Nantes réaffirme justement une solution déjà solidement établie en jurisprudence (Conseil d’Etat, 3 / 5 SSR, du 18 mars 1988, 80504, inédit au recueil Lebon ; CE, 10/ 1 SSR, du 23 décembre 1988, 70883)  dans le domaine de la responsabilité de l’administration du fait de dommages de travaux publics liés à des inondations. Je laisse Gaspard, vous présenter cette solution jurisprudentielle. D. Deharbe (Green Law Avocats) *   Par Gaspard LEBON (étudiant Lille 2)   En effet au terme de ces décisions, l’administration engage sa responsabilité en cas de dommages de travaux publics subis par les tiers du fait d’inondations et ce, même lorsque les pluies et orages sont qualifiés d’évènements de force majeure dès lors que ces dommages ont été aggravés en raison d’un défaut d’entretien d’un ouvrage public. Ce contentieux s’inscrit dans le cadre très large de la responsabilité de l’administration. Rappelons tout d’abord qu’à côté du régime de responsabilité que l’on qualifierait de « classique », à savoir la responsabilité pour faute de l’administration, il existe également une responsabilité sans faute de l’administration : Construction largement prétorienne, ses origines remontent à la fin du XIXe siècle (Conseil d’Etat, 21 juin 1895, « Cames »), il s’agit d’un domaine où la « créativité » du juge administratif a pu largement se manifester afin de dégager des solutions plus adaptées pour les victimes. Ce choix pour une responsabilité sans faute étant destiné de garantir une indemnisation pour des victimes qui, dès lors, n’auront pas à rapporter la preuve parfois difficile d’un comportement fautif de l’administration. En effet, la victime dans ce type de responsabilité a juste à démontrer que l’activité (défaillante) de l’administration est à l’origine de son dommage. Une des raisons d’être de cette responsabilité sans faute étant que l’administration, par son activité, fait courir un risque aux tiers, risque qu’elle doit garantir en cas de dommage peu importe qu’il y ait une faute commise par elle ou non. (Conseil d’Etat, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers , Conseil d’Etat, 19 décembre 1969, établissements Delannoy). C’est notamment dans cette optique que s’inscrit la responsabilité de l’administration du fait des dommages de travaux publics. Inondations + défaut d’entretien de l’ouvrage public = dommages de travaux publics Dans notre cas cela débouche sur cette équation finalement très simple. Les dommages de travaux publics s’inscrivent au sein de cette responsabilité sans faute de l’administration. Il s’agit de dommages survenus du fait d’un défaut d’entretien, d’un entretien anormalement défaillant de l’ouvrage public. Il est cependant nécessaire de distinguer suivant que les dommages de travaux publics sont causés à un tiers ou à un usager de l’ouvrage public : En ce qui concerne les tiers, il s’agit d’une responsabilité sans faute de l’administration ; En ce qui concerne les usagers, il s’agit d’une responsabilité pour faute de l’administration. Cependant, la faute se trouve présumée. C’est-à-dire que l’administration ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en apportant elle-même la preuve de l’absence de faute, de l’entretien normal de l’ouvrage public ; l’usager victime n’ayant pas à démontrer l’existence d’une faute. Force majeure de l’orage + Défaut d’entretien de l’ouvrage = encore un dommage de travaux publics ! Le tiers se distingue de l’usager en ce qu’il est la personne étrangère aux travaux, à l’ouvrage public qui, passive, ne retire aucun avantage de ce dernier. La distinction entre tiers et usager est parfois délicate, mais dans les deux cas, le régime se veut très favorable aux victimes comme le démontrent les décisions de la CAA de Nantes. En effet, dans ces arrêts du 27 Janvier 2017, en présence de dommages résultant d’inondations suite à des pluies exceptionnellement violentes durant un orage, la Cour administrative d’appel tout d’abord reproduit , dans ces circonstances, le considérant de principe initié par le Conseil d’Etat du  (10 mai 1989 n° 38611) : « Considérant que le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; qu’il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure; » Ainsi, en cas de dommage subit par un tiers du fait d’inondations résultant d’un défaut d’entretien des ouvrages publics, l’administration engage sa responsabilité, et ce même en l’absence de toute faute. Toutefois, la faute de la victime ayant contribué à son dommage ou la survenue d’un évènement de force majeure peut être de nature à réduire l’indemnisation, deux circonstances que l’administration devra  dans tous les cas démontrer elle-même, posant dès lors un régime très favorable aux victimes. Dans nos cas d’espèce, qu’il s’agisse des arrêts de 1988, 1989 ou de 2017, les situations et solutions dégagées sont strictement les mêmes : Dans un premier temps, la Cour administrative d’appel constate que ces pluies brutales constituent un évènement revêtant les caractères de la force majeure (cela se dit d’un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible). Elle conclut alors à une exonération de toute responsabilité mais émet une réserve : « dès lors, la responsabilité de Brest Métropole à l’occasion de cette inondation ne peut être retenue que pour autant que les conséquences dommageables de cet événement ont été aggravées par un ouvrage public lui appartenant par rapport à ce qu’elles auraient été en son absence ; » Par la suite, les juges relèvent justement l’existence d’un défaut d’entretien, à savoir une insuffisance des capacités du système d’évacuation des eaux pluviales ayant eu pour effet d’aggraver les dommages subis par les tiers. Et, alors même…