Têtes de bois et pieds dans le bêton !

Par une décision DC n°2013-317 QPC du 24 mai 2013, le Conseil Constitutionnel a déclaré la disposition législative permettant au pouvoir réglementaire de fixer la quantité minimale de matériaux en bois que doivent contenir les nouvelles constructions, contraire à la constitution.   En effet, par l’article 21, paragraphe V de la loi n°96-1236 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, aujourd’hui codifié à l’article L. 224-1, V du code de l’environnement, le législateur a introduit en droit français la disposition selon laquelle :   « Pour répondre aux objectifs du présent titre, un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions dans lesquelles certaines constructions nouvelles doivent comporter une quantité minimale de matériaux en bois ».   Pour autant, il faut attendre près de dix ans pour voir le pouvoir réglementaire faire usage de cette disposition. C’est le décret n°2005-1647 du 26 décembre 2005 qui fixe le premier cette quantité minimale de matériaux en bois devant être utilisés pour l’édification des constructions neuves. Depuis lors, le décret a été remplacé par celui du 15 mars 2010 (D. n°2010-273) afin de relever considérablement cette quantité minimale, tout en la faisant varier en fonction de la destination des constructions.   Complétant le dispositif, l’arrêté du 13 septembre 2010 remplace celui du 26 décembre 2005 et fixe des règles pour calculer cette quantité minimale du volume de bois devant être incorporé dans les nouvelles constructions.   En imposant une part obligatoire de matériaux en bois dans les constructions, le législateur a nécessairement entendu réduire celle du béton (dont on oublie souvent qu’elle constitue le premier matériau mis en œuvre dans le monde).   C’est donc tout naturellement que le Syndicat français de l’industrie cimentière et la Fédération de l’industrie du béton, se sentant lésés par ce dispositif, ont introduit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation du décret du 15 mars 2010 pour excès de pouvoir.   A l’occasion de ce recours, les requérants ont demandé au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de savoir si la disposition législative permettant au pouvoir réglementaire de fixer la quantité minimale de matériaux en bois à contenir pour les nouvelles constructions est conforme ou non à l’article 7 de la charte de l’environnement et à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.   Le Conseil d’Etat  accepté de transmettre cette QPC.       –         Concernant l’article 7 de la charte de l’environnement   L’article 7 de la charte de l’environnement prévoit que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».   Ainsi, pour être conformes aux droits et libertés que la constitution garantit,  les dispositions d’une loi renvoyant à des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement doivent nécessairement prévoir que l’élaboration de ces décisions est soumise à une procédure  permettant la participation du public.   Cependant, en l’espèce, le Conseil Constitutionnel décide que la décision à laquelle renvoie l’article L. 224-1, V du code de l’environnement est seulement susceptible d’avoir une incidence indirecte sur l’environnement et qu’elle ne figure donc pas au nombre des décisions devant être soumises au principe de participation du public :   « Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre l’adoption de normes techniques dans le bâtiment destinées à imposer l’utilisation de bois dans les constructions nouvelles, afin de favoriser une augmentation de la production de bois dont il est attendu une amélioration de la lutte contre la pollution atmosphérique ; que l’exigence de telles normes techniques n’est, en elle-même, susceptible de n’avoir qu’une incidence indirecte sur l’environnement ; que, par suite, le législateur n’était pas tenu de soumettre la décision de fixation de ces normes au principe de participation du public ;   Cette position est pour le moins critiquable. Si la disposition  a effectivement pour but de favoriser une augmentation de la production de bois, elle a également nécessairement pour effet la diminution de la consommation du béton et du ciment dans les constructions réduisant par là-même l’emprunte carbone très forte de ces dernières. Or, cette disposition a pour but de répondre aux objectifs du titre II du livre II du code de l’environnement, lesquels objectifs se trouvent être définis à l’article L. 220-1 du même code :   « L’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie ».   Ainsi, se retrouve parmi ces objectifs la lutte contre les pollutions atmosphériques, ce qui inclut nécessairement la lutte contre les émissions de carbone. D’ailleurs, cela a été récemment précisé par le législateur qui a ajouté en 2010 à l’article L. 220-1, la phrase suivante : « La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ».   La lettre de ces objectifs relègue la production du ciment ou du béton à la médiocrité de son bilan carbone, évidemment bien plus négatif que la production de bois. La disposition querellée avait donc bien une incidence directe et certaine sur la lutte contre la pollution atmosphérique en ce qu’elle permettait de réduire l’emprunte carbone des constructions.  Est-ce à dire que nos sages et les rédacteurs de la décision commentée ne connaissent que la complexité de l’environnement que la doctrine a pu qualifier de « caméléon » ou plus dramatiquement de « poulpe » ? Rue de Montpensier, nos « sages » n’auraient-ils jamais entendu parler de l’approche intégrée de l’environnement qui implique une perception globale des…