Quels recours contre les mesures COVID 19 ?

Par Maître Lucas DERMENGHEM avocat Of counsel (GREEN LAW AVOCATS) A la suite des annonces datées du 23 septembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé, de nombreux arrêtés préfectoraux ont été édictés afin de renforcer les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19. A titre d’illustration, le préfet du Nord a publié, dans le recueil des actes administratifs n° 248 du 25 septembre 2020, trois arrêtés aux fins : de réduire le nombre maximum de personnes pouvant se réunir ou se rassembler sur la voie ou l’espace public, d’interdire le sport dans les établissements sportifs clos et couverts, de fermer les débits de boissons de 22h00 à 6h00.   Les arrêtés préfectoraux fixant des mesures destinées à la lutte contre le virus peuvent évidemment faire l’objet d’un recours juridictionnel dit « recours pour excès » de pouvoir devant le Tribunal administratif compétent. Reste que ce type de recours est dépourvu d’effet suspensif : en d’autres termes, l’acte continuera à être exécuté et à produire des effets juridiques tant que le juge ne prononcera pas son annulation. Or les délais moyens de traitement de ces recours sont en moyenne d’un an et demi. En réalité, une contestation efficace de ces arrêtés ne pourra intervenir que par la demande de suspension de ces actes. Il s’agit là de la seule possibilité d’interrompre les effets juridiques (et économiques) des mesures prises. A cet égard, deux types de procédures peuvent être envisagés : le référé « suspension » et le référé « liberté ». S’agissant du référé suspension, ce dernier est régi par les dispositions de l’article L521-1 du code de justice administrative (CJA). Cette procédure permet à l’auteur d’un recours au fond contre un acte de solliciter, en parallèle, la suspension de son exécution. Il est donc ici indispensable que le requérant ait formulé initialement une demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. La suspension d’un acte en vertu de l’article L521-1 du CJA suppose de démontrer, d’une part, l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte administratif, et d’autre part, un caractère urgent justifiant que le juge fasse droit à la demande de suspension. En l’espèce, la condition tenant à l’urgence de suspendre un arrêté préfectoral fermant notamment les salles de sport et les bars après 22h00 paraît relativement aisée à démontrer : en effet, le juge administratif considère traditionnellement que l’urgence s’attachant à la suspension d’un acte s’apprécie notamment compte tenu des effets préjudiciables que cet acte revêt pour le requérant. Au regard des conséquences économiques qu’emportent les mesures destinées à enrayer l’épidémie sur les restaurants, bars et salles de sport, il paraît ainsi vraisemblable que le juge des référés saisi reconnaisse l’existence d’une urgence. C’est davantage la condition du doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral contesté qui s’avérera certainement plus complexe à démontrer.  S’agissant du référé liberté, procédure prévue à l’article L521-2 du CJA, notons tout d’abord qu’il s’agit ici d’une procédure « autonome », contrairement au référé-suspension. En effet, sous l’angle de cette procédure, il ne sera pas exigé du requérant qu’il ait préalablement formé une demande d’annulation de l’acte contre lequel il forme un référé-liberté. Ensuite, le succès de cette procédure nécessite de remplir deux conditions cumulatives : la démonstration de l’urgence s’attachant à la demande, ainsi qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale causée par l’acte en litige. Cette procédure d’urgence, destinée à permettre au juge administratif d’assurer la protection des libertés fondamentales lorsque celles-ci sont bafouées par l’administration ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, impose que le magistrat se prononce dans les 48 heures suivant sa saisine. Bien que, dans le cadre du référé liberté, l’urgence soit appréciée de façon plus stricte par rapport au référé suspension, il est vraisemblable que cette condition soit aisément démontrable dans le cas d’une contestation de l’un des arrêtés préfectoraux précités. Plus ardue sera la démonstration de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. L’appréciation de cette condition s’effectue en effet en deux temps : le juge vérifie tout d’abord l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale, puis du caractère grave et manifestement illégal de cette atteinte. S’agissant des arrêtés préfectoraux précités, l’atteinte à une liberté fondamentale paraît caractérisée. En effet, la liberté de commerce et d’industrie, reconnue par le juge administratif comme étant une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du CJA (voir par exemple : CE, ord., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840), est ici impactée pour les bars et les salles de sport. Pour prouver le caractère grave et manifestement illégal de l’atteinte à cette liberté, le requérant devra notamment faire la démonstration que la mesure apparaît disproportionnée compte tenu de ses conséquences sur les personnes concernées et au regard du but d’intérêt général poursuivi. Récemment, le Tribunal administratif de Rennes a ainsi suspendu l’exécution d’un arrêté préfectoral imposant la fermeture des salles de sport de la ville, notant que « La liste exhaustive des foyers de contamination recensés en Bretagne au 11 septembre 2020, en cours d’investigation ou maîtrisés, ne comporte aucun établissement de cette catégorie », et soulignant que l’interdiction porte « une atteinte grave et immédiate » à la situation économique et financière de ces établissements, déjà impactée par la fermeture imposée durant le confinement. Enfin, l’édiction de nombreux arrêtés de restrictions s’accompagnera nécessairement d’une multitude de manquements de la part des établissements visés, passibles de sanctions. En particulier, le non-respect des mesures de lutte contre l’épidémie par les établissements visés peut conduire l’administration à prononcer à leur encontre une sanction radicale : la fermeture administrative. Rappelons tout d’abord que les deux procédures de référés présentées plus haut peuvent également être mises en œuvre à l’encontre d’une sanction administrative. On notera que le juge administratif exerce sur ce type d’acte un contrôle plein et entier, et exige qu’une sanction administrative soit justifiée d’après les faits reprochés et proportionnée au but poursuivi. Au demeurant, l’administration doit avoir respecté au préalable un certain nombre de formalités procédurales : – ainsi la fermeture administrative doit obligatoirement être précédée d’un avertissement…

Compteurs LINKY: mais que peuvent encore faire les communes? (CE, 11 juillet 2019)

Par Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats Par une décision du 11 juillet 2019 (n°426060), le Conseil d’Etat s’est prononcé une deuxième fois en l’espace d’un mois au sujet des controversés compteurs électriques de type « Linky ». L’arrêt, qui sera mentionné dans les Tables du recueil Lebon, rappelle de nouveau qui est le propriétaire des appareils. Et anesthésie également les compétences du maire au titre de ses pouvoirs de police générale.     Depuis le début de leur déploiement en 2015, les installations de comptage ont mauvaise presse. Selon leurs détracteurs, de nombreuses zones d’ombre existent en ce qui concerne la collecte des données personnelles, le risque d’incendie, la propagation d’ondes électromagnétiques pouvant potentiellement impacter la santé, etc. Le sénateur de La République En Marche (LREM) Robert NAVARRO avait déjà relayé cette inquiétude par une question écrite adressée au ministre de la transition écologique et solidaire au sujet de l’impact des compteurs Linky sur la santé. Tout en mentionnant le fait que les champs électromagnétiques-radioélectriques ont été classés par l’OMS dans la catégorie cancérigène 2B, tout comme l’amiante ou le plomb. Plus récemment, une quinzaine de députés ont déposé auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences du programme d’installation des compteurs communicants Linky. Et la controverse se traduit également devant les tribunaux, puisque de nombreuses actions sont menées par des citoyens mais également par des communes désireuses d’interdire le déploiement des dispositifs sur leur territoire, comme ce fut le cas de la commune de Cast (Finistère) qui est à l’origine de l’affaire ici commentée. Par une délibération du 16 juin 2016, le conseil municipal de Cast a ainsi demandé la mise en place d’un moratoire relatif au déploiement des compteurs intelligents en attendant les conclusions de l’étude réalisée sous l’autorité du ministère de la santé relative aux expositions liées au déploiement des compteurs numériques et à leurs conséquences éventuelles en termes de santé publique. Les jours suivants, le maire de la commune a décidé de suspendre sur l’installation des dispositifs sur le territoire. Par un jugement du 9 mars 2017, le Tribunal administratif de Rennes a annulé les délibérations et la décision du maire. La Cour administrative d’appel de Nantes a approuvé la solution des juges du premier degré et débouté la municipalité le 5 octobre 2018. Qui est propriétaire des compteurs Linky: Saisi du pourvoi de la commune, la Haute Assemblée se prononce tout d’abord sur la question de la propriété des compteurs « Linky », en reprenant la solution dégagée deux semaines plus tôt dans l’affaire de la commune de Bovel (CE, 28 juin 2019, n°425975, aux Tables), elle aussi opposée au dispositif de comptage. Sur ce point, le Conseil d’Etat considère que sur le fondement des dispositions combinées des articles L.322-4 du Code de l’énergie et L.1321-1 du Code général des collectivités territoriales, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune, et par voie de conséquence propriétaire des ouvrages des réseaux. En l’espèce, la commune de Cast a transféré sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité au syndicat départemental d’électricité du Finistère, lequel est donc l’autorité organisatrice sur le territoire communal. Dès lors, la commune ne pouvait se voir attribuer la qualité de propriétaire des installations de comptage et ne disposait donc pas de la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs sur ce fondement. Dans la mesure où la très grande majorité des communes ont transféré leur compétence en la matière à un établissement public, celles-ci se voient désormais privées d’un moyen de s’opposer au déploiement des compteurs sur leur territoire. Compteur Linky et pouvoirs du Maire: Mais l’arrêt retiendra également l’attention du lecteur concernant la possibilité pour le maire de s’opposer au déploiement des compteurs au titre de ses pouvoirs de police générale, qu’il se doit d’utiliser afin de veiller au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques sur le territoire communal. En l’occurrence, le maire de Cast avait décidé de suspendre l’implantation des compteurs sur le territoire communal pour des motifs liés à l’utilisation des données et à l’impact des dispositifs sur la santé humaine. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a procédé à l’interprétation suivante de la réglementation applicable : D’une part, il appartient au Premier ministre de fixer par décret les modalités de mise à disposition des données devant être recueillies par les compteurs électriques communicants ; D’autre part, l’article R. 323-28 du code de l’énergie prévoit que les dispositions techniques adoptées pour les ouvrages de réseaux publics d’électricité doivent satisfaire aux prescriptions techniques fixées par un arrêté pris conjointement par le ministre chargé de l’énergie et le ministre chargé de la santé ; les prescriptions de cet arrêté visant notamment à éviter que ces ouvrages compromettent la sécurité des personnes et des biens et qu’ils excèdent les normes en vigueur en matière d’exposition des personnes à un rayonnement électromagnétique. De plus, les compteurs sont soumis aux dispositions du décret du 27 août 2015 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques. La Haute Assemblée en déduit ainsi que le Maire ne peut intervenir via des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises  : « 9. Il appartient ainsi aux autorités de l’Etat de veiller, pour l’ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d’interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d’expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la…

Déchets verts: l’interdiction de brûlage à l’air libre rappelée par circulaire

Une circulaire interministérielle (Circulaire_brulage_a_l_air_libre_des_dechets_verts[1] NOR : DEVR1115467C) en date du 18 novembre 2011 relative à l’interdiction du brûlage à l’air libre des déchets verts adressée aux préfets de départements et autres autorités administratives rappelle les dispositions législatives et réglementaires s’opposant au brûlage des déchets verts (par assimilation aux déchets ménagers) ainsi que l’obligation d’en assurer la valorisation, à compter du 1er janvier 2012, pour les producteurs d’une quantité importante de biodéchets (Loi ENE). Elle fait écho à la réponse du ministre de l’écologie publiée au JO du 31 mai 2011 à la question parlementaire n°100536 du député Frédéric Reiss suivant laquelle  « le brûlage à l’air libre des déchets verts est une pratique qui ne répond pas aux exigences liées à l’élimination des déchets telles que définies par l’article L. 541-2 du code de l’environnement et elle pose en outre des problèmes notables d’ordre sanitaire, ce qui justifie qu’elle se trouve interdite dans le cas général. La valorisation des déchets verts des particuliers a été réaffirmée dans les engagements du Grenelle de l’environnement, et leur valorisation sur place par compostage ou leur collecte en déchèterie doivent donc être privilégiées ». La circulaire précise « dès lors que les déchets verts, qu’ils soient produits par les ménages ou par les collectivités territoriales, peuvent relever de la catégorie des déchets ménagers et assimilés, le brûlage en est interdit en vertu des dispositions de l’article 84 du règlement sanitaire départemental type. » La circulaire distingue les interdictions de principe des hypothèses où une dérogation peut être obtenue. L’interdiction de principe vaut, par exemple, en cas de pic de pollution, dans les périmètres des plans de protection de l’atmosphère, en zone urbaine ou en zone périurbaine et rurale dès lors qu’il existe un système de collecte et/ou de déchetteries.  A défaut de mise en place d’un système de collecte, dans les zones périurbaines ou rurales, des dérogations ne peuvent être envisagées qu’à la condition que des objectifs et modalités de développement des déchetteries ou structures de compostage soient précisés. De même, dans les terrains situés dans un plan de prévention des risques incendies de forêt, les éventuelles autorisations de débroussaillement devront être strictement définies par l’autorité préfectorale.  Cette circulaire présente les règles de droit en vigueur mais elle pourrait bien également contenir des dispositions impératives, ce qui en rend la qualification juridique incertaine. Rappelons qu’abandonnant la distinction qu’il avait opéré dans sa  décision d’Assemblée du 29 janvier 1954, « Institution Notre-Dame du Kreisker » (rec. P. 64) entre les circulaires réglementaires et les circulaires interprétatives, le Conseil d’Etat a modifié sa jurisprudence relative aux circulaires administratives dans sa décision « Mme Duvignères » (CE, Sect., 18 déc. 2002, RFDA 2003, p. 280, concl. P. Fombeur) pour y substituer la distinction entre les circulaires impératives et celles simplement indicatives. Depuis l’invocabilité d’une circulaire à l’appui d’un recours en excès de pouvoir dépend non pas du caractère réglementaire de la circulaire mais de son impérativité. La qualification juridique d’une circulaire n’est cependant pas chose aisée d’autant que certaines circulaires mélangent tout à la fois des dispositions indicatives et des dispositions impératives.  Notamment, les conditions – posées dans la circulaire-  entourant le brûlage de dehors de tout épisode de pollution et les dérogations éventuellement admises sont déclinées sous la forme d’instructions strictes données à l’autorité administrative susceptibles d’être appréhendées comme des dispositions réglementaires. Pour autant, l’illégalité de telles dispositions ne présente pas de caractère d’automaticité puisque la jurisprudence la conditionne au vice d’incompétence ou à d’autres motifs, tel que la prescription d’une interprétation à suivre méconnaissant le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entend expliciter.  Patricia Demaye-Simoni Maître de conférences en droit public