Serres agrivoltaïques : leur simple couverture ne remet pas en cause la destination agrirole

Par Maître Sébastien BECUE, avocat of counsel (Green Law Avocats) Un arrêt récent du Conseil d’Etat en matière de erres agrivoltaïques doit retenir l’attention (CE, 12 juil. 2019, n°422542) La question semblait déjà réglée pour la plupart des juridictions du fond : la pose de panneaux photovoltaïques en toiture de serres, dès lors qu’il est démontré que ces serres servent réellement un projet agricole, ne remet pas en cause le caractère agricole des serres. C’est le cas même lorsque l’électricité produite par la couverture solaire est destinée à l’injection sur le réseau public de distribution (voir pour exemples : CAA Bordeaux, 14 nov. 2013, n°12BX00465 ; CAA Lyon, 25 mars 2014, n°11LY23465 ; CAA Marseille, 6 juin 2017, n°16MA00267 ; CAA Lyon, 21 mai 2019, n°18LY01639). On sait qu’il est devenu aujourd’hui très difficile de réaliser un projet de centrale solaire au sol sur des terres agricoles, depuis que l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme prévoit que mêmes les constructions d’intérêt collectif/général – catégorie à laquelle appartiennent les centrales solaires – doivent être compatibles avec l’exercice d’une activité agricole sur le terrain d’implantation. La réalisation de serres agrivoltaïques permet de respecter l’objectif de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles, puisque le sol se trouvant sous serre reste utilisé à des fins strictement agricoles. Néanmoins, certains projets créent parfois un doute chez l’autorité compétente : est-ce que le pétitionnaire ne se sert pas de son projet agricole comme d’un prétexte pour en réalité réaliser un projet de production d’électricité solaire en zone agricole ? Dans l’espèce soumise au Conseil d’Etat, le PLU limitait comme souvent l’implantabilité en zone agricole aux seules « constructions ou installations nécessaires à l’exploitation agricole ». La Cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir retenu que le pétitionnaire a bien démontré dans son dossier, expertise agronomique à l’appui, que les serres permettent à la fois d’améliorer sa production maraichère et de lui fournir un revenu complémentaire « profitable au développement économique de l’exploitation agricole », décide néanmoins d’annuler le permis de construire, « eu égard [aux] dimensions » de la serre (CAA Bordeaux, 25 mai 2018, n°16BX00192). On devine que la Cour a estimé en creux qu’en l’espèce l’ampleur des serres pourrait avoir été motivée par une volonté autre qu’agronomique. D’une part il s’agit d’un projet d’importance : 2 hectares de serres d’une hauteur de 5 mètres ; d’autre part la Cour relève que le coût de réalisation des serres est entièrement pris en charge par une société qui percevra le revenu tiré de la vente d’électricité. Peu importe, répond le Conseil d’Etat avant d’annuler l’arrêt d’appel : la Cour ne pouvait reconnaître le caractère « nécessaire à l’exploitation agricole » des serres puis simplement considérer que les serres perdraient ce caractère par la seule présence de panneaux en toiture (CE, 12 juil. 2019, n°422542). L’objectif de la règle est bien de préserver l’utilisation agricole du terrain et non d’empêcher la réalisation d’autres activités sur ces constructions ; le considérant clair retenu par le Conseil d’Etat ne s’applique pas qu’aux activités de production d’énergie, et que d’autres types d’activités peuvent être envisagées au sein de constructions nécessaires à l’exploitation agricole : « La circonstance que des constructions et installations à usage agricole puissent aussi servir à d’autres activités, notamment de production d’énergie, n’est pas de nature à leur retirer le caractère de constructions ou installations nécessaires à l’exploitation agricole au sens des dispositions précédemment citées, dès lors que ces autres activités ne remettent pas en cause la destination agricole avérée des constructions et installations en cause » Le débat est donc recentré sur le seul fait que la construction ait ou non un usage agricole avéré. Pour minimiser les risques de refus, la solution généralement recommandée aux porteurs de projet est l’intégration dans le dossier de demande de permis de construire d’une démonstration précise de l’intérêt agronomique des serres pour les cultures qu’elles abritent. Rappelons enfin qu’il ne faut pas oublier que d’autres règles urbanistiques (notamment d’esthétique ou d’intégration paysagère) sont susceptibles d’être opposées aux projets de serres solaires…

Installations photovoltaïques/ contrat de crédit affecté : une interdépendance confirmée et non sans conséquences.

Par Maître Aurélien BOUDEWEEL (Green Law Avocat) Par un arrêt en date du 12 mars 2015 (Cour d’appel de LIMOGES, 12 mars 2015, RG n°14/00068), la Cour d’appel de LIMOGES censure un jugement de première instance et prononce l’annulation du contrat de crédit signé par les particuliers pour financer leur installation photovoltaïque dès lors que l’annulation du contrat principal est constatée. Cet arrêt de la Cour d’appel confirme donc un courant jurisprudentiel dont nous nous étions fait l’écho dans un précédent article (cf. notre article du 14 avril 2014 sur l’arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES du 24 janvier 2014 : RG n°12/01358), En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société se revendiquant spécialisée dans la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque. L’acquisition s’est opérée au moyen d’un contrat de crédit affecté. Sur le plan juridique, les particuliers ont fait valoir que l’ensemble des travaux n’avaient pas été exécutés et qu’il existait des irrégularités du bon de commande au visa des dispositions du code de la consommation. Saisi du litige, la juridiction de premier degré avait débouté les particuliers de leurs demandes d’annulation et les avait condamnés à rembourser le contrat de crédit auprès de l’établissement bancaire. La Cour d’appel de LIMOGES censure cette appréciation en jugeant : « Il est produit un bon de commande aux noms de ERG, M. X… et Mme A…, une ” attestation de mandat ” X…- ERG (apparaissant signée aussi A…) et un contrat de prêt SA Z-M. X… et Mme A…. Ces documents sont en date du 25 août 2010. Le bon de commande mentionne : fait à Eyburie, le contrat de prêt indique : date d’acceptation 25/ 08/ 2010 à Eyburie. Eyburie est la commune du domicile de M. X…. Le bon de commande se réfère expressément aux articles L 121-23/ 24/ 25/ 26 du code de la consommation. Il s’en déduit que M. X… a fait l’objet d’un démarchage à domicile. Si le mandat conclu en l’occurrence accessoirement au contrat principal n’est pas lui-même soumis directement aux règles des articles L 121-23 à 26 du code de la consommation, celles-ci s’appliquent en revanche au bon de commande constituant le contrat principal. Il est produit uniquement (par l’appelant comme par la SA Z) le recto du bon de commande. Ce recto fait état d’un verso. Il est certes pré-imprimé que le signataire reconnait avoir pris connaissance des dispositions des articles L 121-23, L121-24, L 121-25, L 121-26 du code de la consommation et des conditions générales de vente figurant au verso, mais l’absence de production du verso ne permet pas à la juridiction de vérifier elle-même comme il lui appartient de le faire si le contrat mentionne bien, de façon apparente, le texte intégral de ces dispositions. Et cette mention ne justifie pas non plus elle-même suffisamment de la reproduction desdits articles. Il y a donc là une cause de nullité, vu le début de l’article L 121-23 du code de la consommation. Le prêt était un crédit affecté à la prestation objet du bon de commande précité. En application de l’article L 311-32 du code de la consommation, ce crédit est donc lui-même de plein droit annulé. En raison de la faute du prêteur de n’avoir pas vérifié la conformité du contrat principal de son partenaire, M. Y…, à la législation sur le démarchage à domicile puisqu’il apparaît qu’il n’a eu à sa disposition que le recto du bon de commande et donc un document incomplet, la SA Z sera déboutée de sa demande en paiement et il ne sera pas ordonné de restitution à la charge de M. X… consécutivement à l’annulation du prêt». Cet arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES rappelle l’interdépendance du contrat principal et du contrat de crédit affecté et l’annulation automatique du contrat de crédit lorsque l’annulation du contrat principal est prononcée. A noter que la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 a réformé plusieurs dispositions du code de la consommation intéressant les opérations de démarchage. On retiendra que le nouvel article L111-1 I du code de la consommation impose même des obligations plus étendues à la charge du professionnel puisque ce dernier doit informer le consommateur les informations suivantes : • Les caractéristiques essentielles du bien ou du service. Il est précisé que cette information doit être faite en fonction du support de communication utilisé : on ne donne pas autant de détail sur les caractéristiques du bien si celui-ci est exposé en vitrine ou si la commande se fait par téléphone ; • Le prix du bien ou du service selon les modalités de l’article L. 113-3 qui n’a pas été modifié ; • La date ou le délai dans lequel le professionnel livrera le bien ou exécutera le service ; • L’identification du professionnel, un décret en Conseil d’État fixe les éléments de cette identification. Ces informations doivent être données au consommateur avant la conclusion du contrat. On rappellera qu’aux termes de l’article L212-21 du Code de la consommation le consommateur dispose dorénavant d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision. L’arrêt de la Cour d’appel de LIMOGES confirme une jurisprudence de plus en plus ferme et tendant à sanctionner les organismes de crédit (professionnels) peu scrupuleux dans la vérification, pourtant obligatoire, de la régularité et conformité du contrat principal (contrat de vente) duquel il dépend. Le consommateur qui est confronté à la disparition de la société auprès de laquelle il a contracté (liquidation ou redressement judiciaire) ne doit donc pas oublier qu’une porte de sortie existe dans le règlement de son litige en cas de conclusion d’un contrat de crédit affecté.