Les sites pollués auront enfin une autre « ALUR » … si les décrets sortent des tuyaux !

La loi ALUR (L. n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) est entrée en vigueur le 27 mars 2014. Cette loi, visant à favoriser l’accès au logement, vient réformer le droit des sites et sols pollués afin d’encourager la reconversion des friches industrielles. Cette réforme est le volet le moins médiatique de la loi mais d’une importance majeure. Rappelons tout d’abord que le gouvernement avait hésité à insérer dans le projet de loi ALUR initial, présenté en première lecture à l’Assemblée nationale, ces dispositions sur les sols pollués. Finalement, ces dispositions sont réapparues dans le texte grâce à l’amendement du sénateur M. Vanderendonck qui insère un article 84 bis au sein du projet de texte. L’article 173 de cette loi présente donc un certains nombres d’innovations destinées à clarifier le devenir des friches industrielles. Une localisation précise des sols pollués Le législateur, afin d’améliorer l’information des citoyens en matière environnementale, qui depuis l’adoption de la charte de l’environnement en 2005 est une obligation constitutionnelle, impose à l’Etat de délimiter précisément la localisation des sites pollués. A cette fin, sont créés des secteurs d’information sur les sols « qui comprennent les terrains où la connaissance de la pollution justifie (…) la réalisation d’études des sols et de mesures de gestion de la pollution ». La vocation de ces secteurs est donc de permettre la localisation des terrains sur lesquels une étude sol et l’adoption de mesures de gestion de la pollution sont requises. Ils sont arrêtés par le représentant de l’Etat dans le département après avoir recueilli l’avis des maires des communes ou des présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ayant compétence en matière d’urbanisme, sur le territoire desquels sont situés les projets de secteur. Les propriétaires des terrains sont informés des projets. Concrètement, ces secteurs se matérialisent par des documents graphiques annexés aux documents d’urbanisme (PLU, carte communale…). Au-delà de cette obligation, l’Etat doit cartographier les anciens « sites industriels et activités de services ». Dans le cadre de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, celui-ci doit mentionner si le terrain est répertorié sur ces cartes. Cette localisation des sols pollués donne lieu à une extension de l’obligation d’information précontractuelle. Il est logique, voir même normal, de voir cette obligation, bien connue en matière de vente, étendue à la cession des sites pollués afin d’avertir l’acquéreur de certains dangers découlant des pollutions. Lors d’une vente ou de la mise en location d’un terrain se situant au sein d’un secteur d’information, le vendeur ou le bailleur est tenu d’informer par écrit l’acquéreur ou le locataire de cette localisation. C’est l’acte de vente ou de location qui atteste de l’accomplissement de cette formalité. Le législateur transpose le régime de droit commun de l’obligation précontractuelle pesant sur le vendeur à la cession des sites pollués puisque si cette formalité n’a pas été accomplie et qu’une pollution est constatée rendant le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, l’acquéreur ou le locataire peut, dans un délai de 2 ans à compter de la découverte de la pollution demander, soit la résolution du contrat, soit la restitution d’une partie du prix, soit la réduction du loyer. L’acquéreur peut aussi demander la réhabilitation du terrain aux frais du vendeur si le coût n’est pas disproportionné au prix de vente ! La même obligation d’information pèse sur le vendeur en matière d’installation classée pour la protection de l’environnement (Cf. la nouvelle rédaction du dernier alinéa de l’article 514-20 Code de l’environnement). Consécration du tiers payeur ? La loi ALUR rompt avec l’interprétation stricte du principe du pollueur payeur. Ce principe, à l’origine économique (issu de la théorie des externalités de l’économiste Arthur Cecil Pigou), consiste en la prise en charge du dommage écologique par le pollueur. Or, cette loi insère un nouvel article L 512-21 du code de l’environnement qui permet à un tiers intéressé de se substituer à l’exploitant pour réaliser les travaux de réhabilitation du terrain lors de la cessation d’activité d’une ICPE. Jusqu’à cette réforme, l’exploitant propriétaire pouvait céder son terrain à un tiers acceptant de prendre à sa charge les frais de dépollution. Or, cette convention n’était pas opposable à l’administration. Cette disposition rend opposable à l’administration le contrat conclu entre le l’exploitant et le tiers intéressé puisque celui-ci est placé sous le contrôle de l’administration. Le représentant de l’Etat dans le département doit donner son accord pour que le tiers puisse se substituer à l’exploitant. Le tiers doit définir l’usage envisagé sur le terrain et présenter un mémoire de réhabilitation afin d’assurer la compatibilité entre l’usage futur envisagé et l’état des sols. L’Etat se prononce sur l’usage et peut prescrire des mesures. La loi impose que le tiers doit disposer de capacités techniques et de garanties financières suffisantes pour réaliser les travaux. Cependant, en cas de défaillance du tiers, l’exploitant reste débiteur de l’obligation de remise en état du site. L’avènement d’un véritable droit des sites et sols pollués Le nouvel article L 556-3 du Code de l’environnement vient clarifier l’articulation entre la police des ICPE et la police des sites et sols pollués en instaurant une hiérarchie des responsables de la réhabilitation d’un site pollué. Pour les sols dont la pollution a pour origine une activité mentionnée à l’article L 165-2 du code de l’environnement, une ICPE ou une installation nucléaire de base, les débiteurs de premier rang de la réhabilitation du site sont : le dernier exploitant ou, le tiers intéressé ou le maître d’ouvrage. En revanche, pour les sols pollués par une autre origine que celles citées précédemment, c’est le producteur des déchets qui est le débiteur de premier rang de l’obligation de réhabilitation du site. En l’absence du débiteur de premier rang, c’est le propriétaire du terrain qui est responsable de la réhabilitation à condition que celui-ci ait fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution. Le législateur étend ici à tous les sites pollués la jurisprudence du Conseil d’état en matière de déchets[1]. Cette solution rompt avec la jurisprudence traditionnelle…

L’article L 514-20 du Code de l’environnement : une obligation objective d’information

Dans un arrêt du 11 mars 2014 (C.cass, 3ème civ, n°12-29556), la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui reconnait la responsabilité d’une société au titre de l’article L514-20 du Code de l’environnement qui, lors d’une vente omet de déclarer à l’acheteur que l’immeuble vendu avait supporté une exploitation ICPE soumise à autorisation.   Rappelons que le Code de l’environnement en son article L 514-20 prévoit une obligation d’information en matière de cession d’immeuble ayant abrité une installation classée soumise à autorisation :   « Lorsqu’une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d’en informer par écrit l’acheteur ; il l’informe également, pour autant qu’il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l’exploitation. Si le vendeur est l’exploitant de l’installation, il indique également par écrit à l’acheteur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives. L’acte de vente atteste de l’accomplissement de cette formalité. A défaut, l’acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la remise en état du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente ».   Conformément à cette disposition, le vendeur est tenu :   A une information écrite de l’acquéreur, d’une part, sur l’existence passée de l’exploitation d’une installation classée soumise à autorisation ou à enregistrement et, d’autre part, sur les dangers ou inconvénients importants liés à l’exploitation, pour autant qu’il les connaisse ;  Dans le cas où il a la qualité d’exploitant, d’indiquer à l’acquéreur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives.   Une jurisprudence abondante reconnaît le caractère impératif et absolu de cette obligation d’information par écrit (Cf en ce sens : Cass. 3e civ., 12 janv. 2005, n° 03-18.055, Commune de Dardilly contre Sté des Anciennes briqueteries de Limonest ; Cass. 3ème civ., 12 janv. 2005, n° 03-18.055, Commune DARDILLY ; Cass. 3ème civ., 7 mars 1990, n° 88-18.714).   La sanction de la violation de cette information est grave :   résolution de la vente, restitution du prix, remise en état aux frais du vendeur lorsque ce coût ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente   Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation confirme la jurisprudence précitée et relève:   « Mais attendu qu’ayant constaté que la société Prodeco n’avait pas informé la société Perspective avenir lors de la vente de la parcelle de terrain cadastrée BV n° 83 qu’une installation soumise à autorisation y avait été exploitée, relevé que la parcelle BV n° 83 était issue de la division de la parcelle cadastrée BV n° 49 sur laquelle la société Etablissement Lefèvre frères avait exploité sur l’intégralité du terrain une installation soumise à autorisation, que les éléments fournis étaient suffisants pour situer topographiquement la partie de parcelle concernée, que le rapport d’investigation établi par la société Ginger environnement confortait cette position puisqu’il mettait en évidence une pollution sur la parcelle BV n° 83 et que seuls les bâtiments situés sur cette parcelle étaient à même de répondre aux conditions posées par l’arrêté préfectoral pour le stockage des produits inflammables, la cour d’appel, qui a retenu, à bon droit, qu’il importait peu que les dirigeants de la société Prodeco en aient eu connaissance dès lors que l’article L. 514-20 du code de l’environnement crée une obligation d’information, et qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu déduire de ces seuls motifs que la parcelle vendue était bien le siège de l’installation, qu’elle était soumise aux dispositions de l’article L. 514-20 du code de l’environnement et que la société Prodeco avait manqué à son obligation d’information; ».   La Cour de cassation tire les conséquences de son analyse et condamne la venderesse à payer à l’acheteur les opérations de dépollution :   « Mais attendu que la cour d’appel, devant laquelle la société Prodeco n’avait pas sollicité le rejet de la demande d’indemnisation de la SCI Le Clos des artistes au motif d’une disproportion entre le coût de la remise en état et le prix de vente de la parcelle a pu, sans dénaturation, condamner la société Prodeco à payer à la SCI Le Clos des artistes la somme de 292 659, 01 euros à titre de dommages-intérêts ».   Relevons que la Cour de cassation entérine en l’espèce l’interprétation stricte de l’obligation d’information du vendeur : peu importe que ce dernier avait ou non connaissance de l’existence d’une exploitation ICPE antérieurement sur les parcelles litigieuses (comme en l’espèce) et peu importe que l’acheteur n’ignorait pas les risques encourus (Cass. 3e civ., 12 janv. 2005, n° 03-18.055,précitée)   A noter que la jurisprudence de la Cour de cassation dispose d’une résonnance  particulière puisque les nouvelles dispositions applicables en matière de déclaration d’intention d’aliéner lui imposent impérativement de contenir l’obligation d’information au sens de l’article L514-20 du Code de l’environnement (Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, JORF n°0072 du 26 mars 2014 page 5809).   L’article L. 213-2 est ainsi modifié : « a) La seconde phrase du premier alinéa est remplacée par quatre phrases ainsi rédigées : « Cette déclaration comporte obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée ou, en cas d’adjudication, l’estimation du bien ou sa mise à prix, ainsi que les informations dues au titre de l’article L. 514-20 du code de l’environnement. Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. La liste des documents susceptibles d’être demandés est fixée limitativement par décret en Conseil d’État. La déclaration d’intention d’aliéner peut être dématérialisée. »   …