La suspension des loyers commerciaux en plein confinement

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) A la suite du confinement annoncé le 16 mars dernier, de nombreuses entreprises ont dû fermer leurs portes. Les conséquences économiques et financières seront à la mesure de la durée du confinement. La loi d’urgence contre le coronavirus a été adopté. Son article 11 relatif à la suspension des loyers commerciaux permet au Gouvernement de prendre des mesures afin « de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ». L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 est parue au Journal officiel de ce jour (JORF n°0074 du 26 mars 2020 – texte n° 37). Aux termes de l’article 4 de l’ordonnance suspendent en ces termes les obligations de paiement de certains loyers et chargés afférentes à ces contrats :  «  Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ». Si le mécanisme est étendu aux charges locatives (art. 4 de l’ordonnance n°2020-317), on doit encore souligner que le dispositif ne semble pas couvrir expressément les redevances d‘occupation dues en vertu de conventions d’occupation du domaine public Le texte se contente par ailleurs d’indiquer que le non-paiement des échéances de loyers commerciaux, par les personnes éligibles au fonds de solidarité, durant l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à deux mois après le terme de celui-ci, n’est pas susceptible de sanction financière. Mais une incertitude demeure : les échéances sont-elles annulées ou reportées et dans ce cas ? A tout le moins on peut considérer que le règlement des échéances est suspendu dès lors que l’obligation de paiement n’est plus juridiquement sanctionnée. En revanche si les entreprises ne sont sans doute pas dispensées du paiement de leurs loyers, elles sont assurément protégées des effets d’une clause résolutoire et/ou de pénalités courus durant la période de confinement : “Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er” (art. 4 ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020). C’est l’article 1er de la même ordonnance qui fixe son champ d’application personae :  « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. Les critères d’éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire ». Le champ d’application nécessite un décret d’application, finalement intervenu : c’est le décret du 31 mars 2020 dont il convient de faire une lecture combinée avec celui qui fixe les conditions d’éligibilité des entreprises, à savoir le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Finalement aux termes des décrets des 30 et 31 mars 2020, sont éligibles au fonds de solidarité créé par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, toutes les petites entreprises, en ce compris les indépendants et les professions libérales qui remplissent les conditions cumulatives suivantes : -Ont moins de 10 salariés, -Réalisent un chiffre d’affaire inférieur à un million d’euros et présente un bénéfice imposable inférieur à 60.000 euros -Subissent une fermeture administrative ou qui auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019. Plus clairement que pour les loyers et les charges l’article 3 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, statuant sur l’exigibilité des factures d’eau, de gaz et d’électricité durant la même période, prévoit expressément que : « Le paiement des créances dues à ces échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances…