L’autorité environnementale est morte, vive l’autorité environnementale !

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par un arrêt France Nature Environnement en date du 6 décembre 2017 qui sera mentionné aux tables du recueil Lebon (CE 6 déc. 2017, n° n° 400559, FNE), le Conseil d’Etat a annulé une disposition du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale. Cette disposition avait désigné le préfet de région en qualité « d’autorité environnementale » pour tout projet situé dans la région concernée et pour lequel l’article R 122-6 du code de l’environnement n’avait désigné, en cette qualité, ni le ministre de l’environnement, ni la formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (C.G.E.D.D), ni la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) du C.G.E.D.D. La Haute Juridiction a jugé, en application de la théorie de l’acte clair, que cette disposition méconnaît les exigences découlant de l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Selon le Conseil d’Etat, il résulte clairement de ces dispositions que « si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné » (cf. considérant n° 5). Or selon le Conseil d’Etat, ni le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n’avait prévu de dispositif propre à garantir que, dans les cas où le préfet de région est en charge de l’élaboration ou de la conduite d’un projet au niveau local ou encore, dans les cas où l’autorité préfectorale est compétente pour autoriser un projet, la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à son égard (cf. considérant n° 7). En d’autres termes, dans les cas où le préfet de région assure la maîtrise d’ouvrage d’un projet et dans les cas où il est compétent pour autoriser un projet, « notamment lorsqu’il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région », les textes ne garantissent pas que la compétence d’autorité environnementale soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à son égard. Cette solution découle de l’application par le Conseil d’Etat de l’arrêt que la Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 20 octobre 2011 (cf. C-474/10) à propos des garanties d’indépendance des autorités qu’il faut consulter dans le cadre de l’adoption d’un plan ou d’un programme susceptible d’avoir des incidences environnementales, en application de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001. A cet égard, le Conseil d’Etat a jugé qu’il pouvait statuer sans qu’il soit tenu de saisir préalablement la Cour d’une demande de décision préjudicielle aux fins d’interprétation de la directive du 13 décembre 2011. Il a raisonné en considérant que l’application de l’arrêt de la Cour à la disposition en cause s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable et ce, alors même que cette disposition concerne la désignation de l’autorité environnementale d’un « projet » et non, d’un « plan ou programme ». Le Conseil d’Etat a ainsi considéré que « la directive du 27 juin 2001 comme celle du 13 décembre 2011 ont pour finalité commune de garantir qu’une autorité compétente et objective en matière d’environnement soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l’étude d’impact des projets, publics ou privés, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences ». Il également insisté sur la « finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle des autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raisons de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement » (cf. considérant n° 5). Suivant ce raisonnement, il n’était pas tenu de déférer à son obligation de saisine de la Cour (cf. CJCE 6 octobre 1982, aff. 283/81, Srl CILFIT et a. : Rec. CJCE, p.  3415). Reste que cette solution ne va pas de soi, tout particulièrement en ce qu’elle vise les cas dans lesquels le préfet de région est compétent pour autoriser un projet. En effet, plusieurs juridictions de première instance comme d’appel ont considéré que lorsqu’un projet est porté par une personne privée, rien ne s’oppose à ce qu’une administration d’Etat soit chargée d’évaluer l’impact du projet en cause sur l’environnement (cf. notamment : CAA Nantes,  20 mars 2017, n°16NT03962 ; CAA Nantes 14 novembre 2016, req. n° 17NT02860, 15NT02487 et 15NT02851 ; TA Limoges, 11 avril 2017, n°1401846 et 1401848 ; TA Paris 2 février 2017, req. n° 1518822 ; TA Dijon 1er juillet 2016, req. n° 1403275). Surtout il convient désormais à apprécier la portée du motif de l’annulation prononcée par l’arrêt. Les requérants frappés du syndrome NIMBY seront évidemment tentés de soutenir que la jurisprudence FNE emporte automatiquement annulation des procédures d’autorisation délivrées sur la base d’un avis de l’autorité environnementale signé par le préfet de région qui serait encore signataire de l’arrêté ICPE, d’une autorisation ou d’une autorisation environnementale. Mais se serait se méprendre sur la portée de l’arrêt du Conseil d’Etat : les magistrats du Palais Royal se sont bornés à juger que le préfet de région ne peut être tout à la fois l’autorité décisionnaire d’un projet et l’autorité compétente pour procéder à l’évaluation environnementale de ce projet. En revanche, il serait erroné de déduire de cet arrêt qu’un service du préfet de région ne pourrait pas exercer la mission de consultation environnementale, dès lors que ce service dispose de moyens administratifs et humains qui lui soient propres pour exercer cette mission et qu’il soit ainsi en mesure de remplir la mission et de donner un avis objectif…

Les enjeux environnementaux de l’étude d’impact des parcs éoliens marins

Par Sébastien Bécue – Green Law Avocats Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) est l’autorité environnementale nationale compétente pour délivrer les avis sur l’évaluation environnementale des projets de parcs marins. Durant l’année 2015, les études d’impact de trois parcs ont été scrutés : Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Fécamp. Dans son rapport annuel, le CGEDD a réalisé une synthèse critique des grandes problématiques qu’il a pu identifier lors de ses analyses (pages 17 à 21 du rapport), un document passionnant qui met en lumière les obstacles que la filière va devoir surmonter pour se développer. En premier lieu, le CGEDD rappelle que l’étude doit porter sur : l’ensemble des composantes du parc: fondations et éoliennes, mais aussi ouvrages de connexion jusqu’au poste de transformation électrique situé à terre et le réseau qui doit accueillir la production ; et sur les phases de construction et de maintenance – négligées par les maîtres d’ouvrage selon le CGEDD. En second lieu, le CGEDD présente les trois grands enjeux communs à tous les parcs éoliens, mais ici adaptés au milieu marin : l’enjeu paysager, pour lequel sont citées, dans le cas du projet de Fécamp, les falaises d’Etretat et de la Côte d’Albâtre ; l’enjeu avifaune, le traditionnel risque de collision et de perte d’habitats, mais aussi le potentiel effet « barrière » au déplacement des oiseaux ; l’enjeu faune sous-marine avec les perturbations sonores importantes que devrait engendrer le chantier de battage des pieux de trente mètres servant aux fondations des éoliennes. A côté de ces enjeux majeurs, trois autres sont identifiés : la conservation des sols sous-marins, la qualité des eaux marines et la pêche professionnelle. En troisième lieu, le CGEDD invite l’Etat a donné un plus grand poids, dans la procédure d’appel d’offres, aux mesures d’évitement, de réduction, de compensation et de suivi des impacts proposées par les candidats. En quatrième et dernier lieu, le CGEDD rappelle le rôle de pilote de ces trois projets et analyse les questions méthodologiques qu’ils ont posées. Le milieu marin étant moins bien connu que le milieu terrestre, la qualité des analyses y est pour le moment inférieure. Les maîtres d’ouvrage sont donc encouragés à tenir compte de ces incertitudes en les présentant dans leurs études d’impact et en privilégiant le scénario du pire ; et l’Etat à s’impliquer dans cette recherche d’une meilleure connaissance du milieu marin. Le CGEDD salue le choix du maître d’ouvrage du projet de Saint Nazaire d’avoir étudié de manière approfondie les perceptions visuelles du parc et procédé à une contre-expertise de l’impact paysager du parc. Au contraire, les insuffisances du projet de Fécamp sur ce thème, notamment au regard du site d’Etretat,  sont rappelées. L’insuffisante prise en compte des impacts sur la qualité de l’eau causés par la corrosion des fondations est pointée. Le CGEDD recommande enfin un suivi des impacts de ces parcs pour le futur et encourage l’Etat à mettre en œuvre une évaluation environnementale globale des impacts cumulés des différents parcs dans des documents de planification.