Irrégularités de l’enquête publique locale : l’Etat non-responsable
Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par un arrêt du 13 mars 2019 qui sera mentionné aux Tables du recueil Lebon (CE, 13 mars 2019, n°418170), le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée du fait des irrégularités du commissaire enquêteur dans le cadre d’une enquête publique relative à l’élaboration d’un plan local d’urbanisme (PLU). En l’espèce, en raison d’irrégularités établies par le commissaire enquêteur, le Tribunal administratif de Melun avait dans un jugement rendu le 27 novembre 2013 annulé la délibération du conseil municipal de la commune de Villeneuve-le-Comte approuvant le PLU. En l’occurrence, le Tribunal administratif avait considéré qu’en ne répondant pas lui-même aux observations du public et en se bornant, pour justifier son avis favorable au projet de PLU, à viser les observations du public, sans y répondre et les avis des personnes publiques associées, sans les analyser, le commissaire enquêteur n’avait satisfait ni à l’exigence d’examen des observations recueillies, ni à celle de motivation personnelle de ses conclusions, contrairement à ce qu’exigeait l’article R. 123-22 du code de l’environnement dans sa version alors applicable. Au vu de ces irrégularités, le juge de première instance a estimé que la délibération du conseil municipal approuvant le PLU a été prise à l’issue d’une procédure entachée d’un vice substantiel et devait par conséquent être annulée. La commune de Villeneuve-le-Comte avait par la suite saisi le préfet d’une demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice que lui aurait causé l’Etat du fait des irrégularités commises par le commissaire enquêteur. A la suite du rejet de la demande du Tribunal administratif (TA Melun, 4 février 2016, n°1401470) puis de la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 14 décembre 2017, n°16PA00853), la commune s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Dans sa décision, la Haute juridiction va d’abord établir un rappel des dispositions pertinentes du code de l’urbanisme et du code de l’environnement relatives à l’enquête publique en matière d’élaboration de PLU. La Haute Assemblée va déduire de ces normes que le PLU soumis à enquête publique est élaboré à l’initiative et sous la responsabilité de la commune. Il est d’abord rappelé que la mission du commissaire enquêteur consiste à établir un rapport qui est adressé au maire, relatant le déroulement de l’enquête et examinant les observations recueillies, puis à consigner dans un document séparé, ses conclusions motivées. Le Conseil d’Etat estime que le commissaire enquêteur conduit donc une enquête à caractère local, destinée à permettre aux habitants de la commune de prendre une connaissance complète du projet et de présenter leurs observations, mais aussi à l’autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à son informations et de l’éclairer dans ses choix. Le Conseil d’Etat en déduit ainsi que le commissaire enquêteur exerce sa mission au titre d’une procédure conduite par la commune. Dans un second temps du raisonnement, la Haute Assemblée ajoute qu’il ne peut être déduit que le commissaire enquêteur exercerait sa mission au nom et pour le compte de l’Etat du simple fait qu’il est susceptible, dans le cadre de l’enquête, de prendre en compte des éléments ne concernant pas directement la commune. En outre, le Conseil d’Etat retient dans un troisième temps du raisonnement que si les modalités de désignation et de rémunération du commissaire enquêteur échappent à la commune, ces règles visent avant tout à garantir l’indépendance et l’impartialité du commissaire, étant précisé que les frais occasionnés restent assumés par la commune. Par ailleurs, le Conseil d’Etat confirme également la Cour administrative d’appel de Paris en ce qu’elle a jugé que la circonstance que l’adoption du PLU de Villeneuve-le-Comte serait une condition préalable à la réalisation du projet de Village-Nature, classé par l’Etat « opération d’intérêt national » et « projet d’intérêt général » ne permettait pas davantage d’engager la responsabilité de l’Etat en raison des fautes commises par le commissaire enquêteur. Par cette décision, le juge du Palais Royal s’inspire d’une interprétation déjà ancienne dégagée par la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 31 mai 2011, (CAA Lyon, 31 mai 2011, Min. écologie c/ Commune de Péron, n°09LY02412). Mais l’apport de l’arrêt commenté réside également dans la définition du modus operandi qui aurait dû être appliqué par le maire de Villeneuve-le-Comte après avoir constaté les fautes commises par le commissaire enquêteur, alors qu’à cette date aucune procédure ne lui permettait de saisir le président du Tribunal administratif compétent comme le prévoit aujourd’hui l’article R. 123-20 du code de l’environnement. Selon le Conseil d’Etat, il appartenait ainsi au maire de « ne pas donner suite à une procédure entachée d’irrégularités et d’en tirer les conséquences en demandant soit au commissaire enquêteur de corriger ces irrégularités soit de mettre en œuvre une nouvelle procédure en saisissant à nouveau le président du tribunal administratif pour qu’il procède à la désignation d’un nouveau commissaire enquêteur ».