Nouvelle CAA de Toulouse au 1er janvier 2022

Par Maître Marie KERDILES (Green Law Avocat) En projet depuis 2018, la création d’une neuvième Cour Administrative d’Appel (CAA) à Toulouse sera une réalité le 1er janvier 2022. Prévue pour désengorger ses homologues Bordelaise et Marseillaise, la nouvelle Cour traitera des appels des jugements rendus devant les tribunaux de Toulouse, Nîmes et Montpellier. Le décret n°2021-1583 du 7 décembre 2021 portant création de la CAA de Toulouse précise le calendrier de sa compétence (article 3 du décret) : La CAA sera compétente pour connaître des requêtes enregistrées à compter du 1er mars 2022. Cependant, pour les affaires qui lui sont transférées avant cette date pour une bonne administration de la justice, la CAA de Toulouse pourra également accomplir tout acte de procédure. Les requêtes enregistrées devant les CAA de Bordeaux ou Marseille à compter du 1er mai 2021 (et les requêtes connexes) et qui n’auront pas été inscrites à un rôle de ces cours avant le 1er mars 2022 seront transmises à la CAA de Toulouse. Cette transmission sera réalisée par le Président de la Cour. Elle ne sera pas motivée, et sera notifiée aux parties et au président de la CAA de Toulouse En revanche, les CAA de de Bordeaux et Marseille demeurent saisies des requêtes qui, ne relevant plus de leur compétence territoriale, n’ont pas été transmises à la CAA de Toulouse en vertu des alinéas précédents, sans préjudice des considérations de bonne administration de la justice (article R. 351-8 du code de justice administrative). Les actes de procédure accomplis régulièrement devant les CAA de Bordeaux et de Marseille resteront valables devant la CAA de Toulouse. Le tableau des experts de la CAA de Toulouse sera constitué, pour 2022, des experts inscrits auprès des CAA de Bordeaux et Marseille et ayant un établissement professionnel ou une résidence dans le ressort de la CAA de Toulouse (article 4 du décret). Les demandes d’Aide Juridictionnelle (AJ) présentées avant le 1er mars 2022 formées auprès des CAA de Bordeaux et Marseille pour un appel devant la CAA de Bordeaux lui seront transmises si aucune décision n’a encore été prise sur l’AJ (article 5 du décret). Quant aux demandes d’exécution d’un jugement présentée avant le 1er mars 2022 devant une CAA de Bordeaux ou Marseille, si ce jugement a fait l’objet d’un appel lui-même transmis à la CAA de Toulouse, alors la demande d’exécution sera transmise en même temps (article 6 du décret). Finalement, il sera sans doute nécessaire d’attendre la mise à jour de Télérecours (et de s’assurer de la bonne transmission des informations) avant de considérer que la Cour est fonctionnelle. Une fois la Cour intégrée au site, il sera utile de prendre acte du changement sans délai pour éviter les erreurs de compétence et les transmissions, et de saisir la CAA de Toulouse directement des appels formés au 1er janvier 2022.

Stocamine : l’Etat piégé par le défaut des capacités techniques et financières !

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La Cour administrative d’appel de Nancy par la décision du 15 octobre 2021 (CAA Nancy, 15 octobre 2021, Collectivité européenne d’Alsace, Association Alsace nature, Association consommation, logement et cadre de vie – Union départementale du Haut-Rhin, n° 19NC02483, 19NC02516, 19NC02517) a annulé l’arrêté du 23 mars 2017 autorisant la société des mines de potasse d’Alsace (MDPA) à maintenir pour une durée illimitée un stockage souterrain de déchets dangereux dans le sous-sol de la commune de Wittelsheim. Un  retour sur cette décision qui a fait l’objet d’un pourvoi de l’Etat s’impose. La société Stocamine a été créée pour exploiter un stockage souterrain de déchets dangereux, non-radioactifs à environ 600 mètres sous terre, dans une couche de sel gemme, sous les couches de potasse qui avaient été anciennement utilisées par la société MDPA. Ce stockage, destiné à accueillir jusqu’à 320 000 tonnes de déchets dans le sous-sol du territoire de la commune de Wittelsheim, avait été autorisé pour une durée de 30 ans par le préfet du Haut-Rhin le 3 février 1997. 44 000 tonnes de déchets étaient stockées lorsqu’un incendie s’est produit en 2002 dans l’un des blocs de la structure de stockage, obligeant à interrompre le stockage de nouveaux déchets. Par un arrêté du 23 mars 2017, le préfet du Haut-Rhin a autorisé la société MDPA, qui avait repris la société Stocamine, à maintenir pour une durée illimitée le stockage déjà effectué, après retrait d’une part importante des déchets contenant du mercure (désormais réalisé à 95%) et d’une partie des déchets phytosanitaires contenant du zirame. Le département du Haut-Rhin, la région Grand Est, l’association Alsace Nature et la commune de Wittenheim ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler cet arrêté. Par un jugement du 5 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes. Le département du Haut‑Rhin, auquel s’est substituée depuis lors la collectivité européenne d’Alsace, l’association Alsace Nature et l’association Consommation, logement et cadre de vie – union départementale du Haut‑Rhin ont fait appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy. L’Etat dans cette affaire a été victime d’une stratégie contentieuse qui fait bien des dégâts lorsqu’elle est intelligemment convoquée par les requérants : elle consiste à critiquer tout autant l’étude d’impact d’un projet industriel que les capacités techniques pour le mener. En fait il faut bien le concéder, très souvent les juristes confrontés à la complexité des moyens se réclamant de la suffisance des études d’impact et des prescriptions imposées par les préfets à un projet industriel se sentent plus alaise avec le débat sur les capacités financières à le mener. Le droit de l’environnement a systématisé dans les autorisations ICPE (et aujourd’hui dans le régime de l’autorisation environnementale) la présence dans les demandes d’autorisation des capacités techniques et financières de l’exploitant, avec un régime aggravé pour certaines installations ;  une telle exigence étant renforcée pendant la durée d’exploitation pour un certains nombres d’installations (Carrières, installations de stockage de déchets, Seveso et stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux). Ainsi comme le rappelle la Cour, en application des articles L. 541-26 et l’article L. 552-1 du code de l’environnement  « la prolongation illimitée d’une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux ne peut être délivrée, sous le contrôle du juge de plein contentieux, si l’exploitant ne dispose pas de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien ce projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du prolongement de l’autorisation au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que des garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin ». Or sans doute parce qu’elle avait l’Etat pour actionnaire unique, la société MDPA n’a pas, à l’appui de sa demande ayant débouché sur l’arrêté préfectoral attaqué, justifié de « l’existence d’un engagement ferme de l’Etat à assumer les coûts du projet ». On retrouve ici la jurisprudence Hambrégie (CE, 22 fév. 2016, n°384821) qui a fait tant de dégâts en contentieux éoliens … La Cour constate encore en l’espèce  que « La dissolution de la société exploitante et le maintien de sa personnalité morale uniquement pour les besoins de la finalisation de la liquidation s’opposent ainsi à ce qu’elle puisse être reconnue comme disposant des capacités financières suffisantes pour assurer une exploitation dont la particularité est d’être illimitée dans le temps ». Enfin la Cour considère au surplus que le « préfet du Haut-Rhin, en ne procédant pas à une nouvelle évaluation des garanties financières précédemment constituées par l’exploitant, a méconnu les dispositions de l’article L. 515-7 du code de l’environnement ». Certes  l’Etat en qualité d’exploitant en est en principe dispensé. Mais la Cour juge que « Le seul fait que l’Etat soit l’unique actionnaire de la société MDPA ne saurait permettre d’apprécier cette société comme transparente dès lors, notamment, que, du fait de son placement en liquidation, la société exploitante ne peut plus être représentée que par son liquidateur. L’Etat, en dépit de sa qualité d’unique actionnaire, est sans droit, ni qualité pour se substituer au liquidateur et ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme assurant la direction effective de la société ». Immanquablement et alors que l’Etat n’a semble-t-il cherché à tenter une régularisation de ce vice, le juge conclut au défaut des capacités techniques et financières et considère qu’ “une telle insuffisance a été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public” Cette annulation a sans doute sa raison d’être mais elle escamote le vrai sujet : la suffisante évaluation scientifique au moyen de l’étude d’impact de l’innocuité en l’espèce du stockage en couche profonde des déchets …

La QPC prometteuse qui accouche d’une souris…

Par Maître David DEHARBE (GREEN LAW AVOCATS) Dans une décision n° 2021-953 QPC, le Conseil constitutionnel a finalement admis la conformité au « du principe de nécessité des délits et des peines » du cumul d’une amende administrative forfaitaire et d’une sanction pénale prévu par le droit des polices environnementales (cf. L.173-1, II et L. 171-8 du code de l’environnement). C’est une demi surprise mais on était en droit d’espérer que les sages de la rue de Montpensier reconnaissant une autre portée au principe non bis in idem, invoqué contre le cumul de sanctions administrative et pénale devenu la règle en matière d’environnement . Quelques explications s’imposent pour comprendre notre déception. Selon l’article L. 171-8 du code de l’environnement, en cas de méconnaissance des prescriptions applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement, l’autorité administrative compétente met en demeure l’exploitant de l’installation ou de l’ouvrage classé d’y satisfaire dans un délai qu’elle détermine. Les dispositions du même article prévoient que l’exploitant qui ne s’est pas conformé à cette mise en demeure à l’expiration du délai imparti peut se voir infliger une amende administrative d’un montant maximum de 15 000 euros. Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 173-1 du même code prévoient qu’une personne physique reconnue coupable du délit d’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement en violation de cette mise en demeure encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. Lorsqu’il s’applique à une personne morale, ce même délit est, selon l’article L. 173-8 du même code, puni d’une amende de 500 000 euros qui peut s’accompagner, notamment, des peines de dissolution de la personne morale, de placement sous surveillance judiciaire, de fermeture temporaire ou définitive ou d’exclusion des marchés publics à titre temporaire ou définitif L’exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement avait contesté via une QPC la constitutionnalité ce cadre légal en ce qu’il permet l’intervention d’une amende forfaitaire administrative infligée pour non-respect d’une mise en demeure qui l’exposait encore à une sanction pénale. Le principe non bis in idem, selon lequel on ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits est effectivement implicitement consacré à l’article à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Selon le Conseil constitutionnel « Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (Cons. const. 28 juillet 1989, n°89-260DC, § 22). Dans sa décision du 3 décembre 2021 le Conseil constitutionnel rappelle que « Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Ainsi le Conseil admet que le cumul de sanctions administratives et pénales doit respecter les principes de légalité, de proportionnalité et de  la nécessité des peines. Mais le juge constitutionnel limite la portée pratique du non bis in idem en précisant : « Il découle du principe de nécessité des délits et des peines qu’une même personne ne peut faire l’objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux. Or bien évidemment en l’espèce le juge constitutionnel considère que le cumul n’intéresse pas des sanctions de même nature : « 10. Ainsi, à la différence de l’article L. 171-8 qui prévoit uniquement une sanction de nature pécuniaire, l’article L. 173-1 prévoit une peine d’amende et une peine d’emprisonnement pour les personnes physiques ou, pour les personnes morales, une peine de dissolution, ainsi que les autres peines précédemment mentionnées. 11. Dès lors, les faits prévus et réprimés par les dispositions contestées doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature différente. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doit être écarté ». Cette solution est fort discutable dès lors que le principe non bis in idem ne justifie en rien de distinguer selon la nature des peines lorsque, pour partie au moins ou même en totalité, elles peuvent être identiques quand le juge entre en condamnation : l’exploitant ICPE qui ne respecte pas une mise en demeure s’expose au versement d’une somme d’argent tant au titre de l’amende administrative que de la peine contraventionnelle,  au-delà du risque de la peine privative de liberté. Et au demeurant l’amende administrative comme la contravention ont en commun de constituer des mesures à proprement parler répressives qui tendent tout autant à sanctionner, à obtenir l’obéissance et ont une portée prophylactique. Il est d’autant plus regrettable de voir le Conseil opter pour cette solution qu’elle ignore la grande portée en pratique de l’amende administrative : faute de pouvoir en obtenir aisément la suspension par le juge administratif, elle rend le privilège du préalable redoutable en confiant non à un juge mais aux administrations le pouvoir de sanctionner … Mais fait-il le rappeler ? Un tel scenario expose à l’arbitraire. Or c’est pourtant le rôle du Conseil constitutionnel de nous en protéger. Ces QPC prometteuses qui accouchent d’une souris et de renvois qui tournent à vide sont décidément une grande déception pour les avocats aux barreau qui attendent d’une justice constitutionnelle qu’elle soit un peu moins encline à faciliter l’action administrative et un peu plus dévouée à la protection des libertés publiques.

Le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC à l’encontre de l’article 541-30-2 du code de l’environnement

Par Maître DAvid DEHARBE (Green Law Avocats) La FNADE (la Fédération Nationale des Activités de Dépollution) a saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret n° 2021-838 du 29 juin 2021 qui crée l’article R. 541-48-2 du code de l’environnement prévoyant les modalités de justification du respect des critères de performance de tri par un tiers accrédité en application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement. A cette occasion la FNADE a posé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de cette disposition de cette disposition législative issue de l’article 91 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi dite Agec). L’article L. 541-30-2 du code de l’environnement prévoit que les installations de stockage de déchets non dangereux non inertes doivent prioriser la réception de résidus de tri des activités de valorisation, lorsqu’elles traitent des déchets issus d’une collecte séparée et satisfont à des critères de performance. Ces critères de performance ont été fixés par le décret précité et son arrêté d’application (arrêté du 29/06/21 pris pour l’application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement relatif aux critères de performances d’une opération de tri des déchets non dangereux non inertes : JO n° 157 du 8 juillet 2021)). Ainsi les exploitants d’installation de stockage de déchets non-dangereux non inertes sont tenus de réceptionner les déchets produits par les activités de préparation en vue de la réutilisation, de recyclage et de valorisation ainsi que les résidus de tri qui en sont issus lorsqu’ils justifient qu’ils satisfont aux critères de performance selon les modalités prévues par l’arrêté précité. La FNADE reproche à l’article L541-30-2 du code de l’environnement de méconnaître la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, toutes deux garanties par la constitution. Le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel… affaire à suivre.

De l’anxiété d’être exposé à une substance toxique à l’anxiété de ne pas être indemnisé…

Par Maître Marie-Coline GIORNO (Green Law Avocats) Aux termes de cinq décisions du 13 octobre 2021, deux publiées au bulletin (Cass. soc., 13 octobre 2021, nos 20-16.585 20-16.586 20-16.587 20-16.588 20-16.589 20-16.590 20-16.591 20-16.592 20-16.594 20-16.595 20-16.596 20-16.597 20-16.600 20-16.601 20-16.602 20-16.603 20-16.604 20-16.605 20-16.606 20-16, publié au bulletin et Cass. soc., 13 octobre 2021, n os 20-16.584 20-16.598 20-16.599, publié au bulletin) et trois inédites (Cass. soc., 13 octobre 2021, n° 20-16.593,  Cass. soc., 13 octobre 2021, 20-16.617 et Cass. soc., 13 octobre 2021, 20-16.583), la chambre sociale de la Cour de cassation a affiné sa jurisprudence concernant la caractérisation du trouble d’anxiété suite à l’exposition de travailleurs à de l’amiante ou à des substances nocives ou toxiques telles que le benzène. Ces décisions viennent compléter la jurisprudence applicable en la matière. A cet égard, il convient de rappeler que l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA). Par un arrêt du 11 mai 2010 (Cass. Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, publié au bulletin), la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d’obtenir réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante. Ce droit a ensuite été ouvert par la Cour de cassation aux salariés n’ayant pas travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi précitée par une décision du 5 avril 2019 (Cass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17.442, publié au bulletin). Aux termes de cette décision de 2019, la Cour de cassation a estimé « en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée » ; Elle en déduit qu’il est nécessaire « caractériser le préjudice d’anxiété personnellement subi par M. K… et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave » et censure la Cour d’appel de Paris qui n’avait pas suffisamment caractérisé ce préjudice lorsqu’elle avait considéré que « le préjudice résultant de l’inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l’une des maladies mortelles liées à l’inhalation de fibres d’amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif ». La Cour de cassation exigeait donc, dès 2019, une véritable caractérisation personnelle du préjudice d’anxiété subi par un salarié du fait de son exposition à l’amiante. Les cinq décisions de la Cour de cassation du 13 octobre 2021 s’inscrivent dans la droite ligne de cette décision. Aux termes de ces cinq décisions, la Cour de cassation rappelle tout d’abord le principe posé par sa décision du 5 avril 2019 selon lequel, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante ou, le cas échéant, à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.  Ensuite, la Haute juridiction ajoute que « Le salarié doit justifier d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’un tel risque. », reprenant ainsi l’exigence d’un préjudice d’anxiété personnel posée par sa décision du 5 avril 2019 précitée. Elle précise enfin, et c’est là le véritable apport de ces cinq décisions, que « Le préjudice d’anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance de ce risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés. » Ce faisant, elle explique ce qu’elle attend dans la démonstration du préjudice d’anxiété subi par des salariés exposés à une substance nocive ou toxique : il faut que le préjudice soit personnellement subi et que la connaissance du risque élevé de développer une maladie grave engendre des « troubles psychologiques » chez le salarié. La seule exposition au risque ne suffit pas. Elle en déduit alors que ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d’appel qui, pour allouer aux salariés une indemnité en réparation de leur préjudice d’anxiété, se détermine par des motifs généraux, insuffisants à caractériser le préjudice personnellement subi par les salariés, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave en se fondant, par exemple, sur une attestation d’exposition au risque (cf. les deux décisions publiées au bulletin  du 13 octobre 2021 précitées). En revanche, si ce préjudice d’anxiété est établi personnellement par chaque salarié concerné, par exemple en faisant état de véritables problèmes médicaux, il peut être indemnisé (cf. les trois décisions inédites du 13 octobre 2021 précitées). En conséquence, ces décisions précisent exactement ce qui est attendu pour la démonstration du préjudice d’anxiété et insistent sur le caractère personnel de ce préjudice. De ce fait, elles restreignent l’indemnisation des salariés exposés : ces derniers ne peuvent uniquement se prévaloir d’une exposition au risque pour démontrer l’existence d’un tel préjudice et doivent justifier qu’ils subissent des troubles psychologiques du fait de la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave à la suite de leur exposition à une substance nocive ou toxique.