Centrale du Larivot : suspension de l’autorisation environnementale pour méconnaissance de la trajectoire climatique

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le juge administratif nous a habitués ces 24 derniers mois à des décisions spectaculaires, rendue au nom de l’urgence climatique. Ainsi après avoir, en 2017, enjoint au Gouvernement d’élaborer des plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines sous les valeurs limites, le Conseil d’État a constaté que celui-ci n’avait pas pris des mesures permettant d’assurer l’exécution complète de cette injonction pour les zones dans lesquelles un dépassement persistant demeurait observé et a prononcé à son encontre une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard jusqu’à la pleine exécution de son injonction (CE, Ass., 10 juillet 2020, Association Les amis de la Terre, n° 428409). Le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur une affaire portant sur le respect des engagements pris par l’État en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’accord de Paris (CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe et autre, n° 427301). Mais c’est encore le Tribunal administratif de Paris qui le 2 juillet dernier rend deux décisions spectaculaires (instances n°1920927 / 1921120 et n°2004241) en prononçant l’annulation « sèche » des permis d’un ensemble immobilier au-dessus du périphérique parisien sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et en considérant que l’ensemble immobilier en exposant ses occupants à une pollution atmosphérique porte atteinte à la salubrité publique. La même juridiction a également sanctionné l’insuffisance des politiques publiques en matière de lutte contre la pollution de l’air en reconnaissant la carence fautive de l’Etat en la matière (TA Paris, 4 juillet 2019, n°1709933, n°1810251, n°1814405). Le juge des référés du Tribunal administratif de la Guyane avait certainement à l’esprit ce courant jurisprudentiel lorsqu’il décidé de suspendre l’autorisation environnementale de la société EDF pour le projet de construction et d’exploitation d’une centrale électrique sur le territoire de la commune de Matoury au lieu-dit le Larivot. Cette nouvelle centrale est destinée à remplacer l’ancienne centrale électrique de Dégrad-des-Cannes qui, du fait de sa vétusté et de sa future non-conformité aux normes règlementaires, doit être mise à l’arrêt au plus tard le 31 décembre 2023. Par un arrêté du 22 octobre 2020, le préfet de la Guyane a donné son accord à la réalisation du projet mais ce projet a été attaqué en référé par les associations France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement qui ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane en vertu de l’article Article L554-12 du code de justice administrative. Il s’agit d’une procédure de référé dit semi-automatique où l’urgence à suspendre est présumée du fait d’un avis défavorable exprimé par le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête, à l’issue de la procédure d’enquête publique. Reste que le conseil d’Etat a interprété cette disposition législative comme réservant l’hypothèse où une considération d’intérêt public pourrait justifier malgré l’avis défavorable le maintien en vigueur de la décision attaquée (CE Sect. 16 avril 2012 Commune de Conflans-Sainte-Honorine et autres, req. n° 355792, Lebon 153). Or justement en l’espèce et en défense, l’Etat et EDF-PEI invoquaient l’intérêt général du projet qui s’inscrit dans le cadre d’une opération d’intérêt national ainsi qu’il est prévu par le décret n° 2016-1736 du 14 décembre 2016 et la sécurité d’approvisionnement électrique de la Guyane alors que l’ancienne centrale thermique ne pourra fonctionner au-delà du 31 décembre 2023. Mais pour le juge des référés du TA de Guyane (TA Guyane, ord. 27 juillet 2021, n°2100957), “alors que l’arrêté en cause prévoit en l’état que soient autorisées des émissions de gaz à effet de serre, l’intérêt général attaché à la sécurité d’approvisionnement électrique de la Guyane doit être mis en balance avec l’urgence écologique et climatique au nom de laquelle la politique énergétique nationale se donne pour objectifs, ainsi qu’il a été fixé par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 “. Et le juge d’en conclure : ” Par suite et eu égard à l’intérêt général global en lien avec l’urgence écologique et climatique, les défendeurs ne sont pas fondés à soutenir que la suspension de l’exécution de l’arrêté porterait à l’intérêt général propre à la sécurité d’approvisionnement électrique de la Guyane une atteinte d’une particulière gravité “ La présomption d’urgence confirmée, le juge retient un premier moyen en guise de doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée qui se réclame encore de la politique climatique, en relevant : « d’une part, l’Etat et l’opérateur font valoir le besoin qu’il y a de construire sans délai la nouvelle centrale pour assurer la suite de celle en service à Dégrad des Cannes, obsolète et fortement émettrice de gaz à effet de serre, qui sera arrêtée le 31 décembre 2023. Sur ce point, si le projet de la nouvelle centrale a été entériné en 2017 par la programmation prévisionnelle en électricité (PPE), il y a lieu cependant de relever que la vétusté de la centrale de Dégrad des Cannes connue de l’autorité et de l’énergéticien, aurait dû conduire à une anticipation plus en amont. D’autre part, le litige ne peut être examiné sans que soit évoquée l’urgence climatique globale dont la France a pris la mesure en fixant, par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, des objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre à – 40% en 2030 par rapport à l’année 1990 et de neutralité carbone en 2050. C’est ainsi que par une décision du 1er juillet 2021, Commune de Grande Synthe, le Conseil d’Etat a annulé le refus implicite du pouvoir réglementaire de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4…

Le contrat de rattachement au périmètre d’équilibre n’est pas un contrat administratif

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Par une décision du 11 février 2019, le Tribunal des Conflits refuse de qualifier d’administratif le contrat de rattachement au périmètre d’équilibre et donne ainsi compétence à la juridiction judiciaire pour connaître des litiges y afférents (TC, 11 février 2019, n°C4148). Le contrat de rattachement à un périmètre d’équilibre est conclu entre le producteur d’électricité et le responsable d’équilibre chargé de veiller à l’équilibre du réseau dans le périmètre prévu dans le contrat. En effet dans ce cadre contractuel, les écarts constatés entre l’électricité injectée dans le périmètre et celle consommée doivent être compensés financièrement auprès de la société Réseau Transport Electricité (RTE). Ainsi en vertu de l’article L.321-15 du code de l’énergie : « Chaque producteur d’électricité raccordé aux réseaux publics de transport ou de distribution et chaque consommateur d’électricité, pour les sites pour lesquels il a exercé son droit prévu à l’article L. 331-1, est responsable des écarts entre les injections et les soutirages d’électricité auxquels il procède. Il peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau public de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts ou demander à l’un de ses fournisseurs de le faire. Toute personne intervenant sur les marchés de l’électricité est responsable de ses écarts. Elle peut soit définir les modalités selon lesquelles lui sont financièrement imputés ces écarts par contrat avec le gestionnaire du réseau de transport, soit contracter à cette fin avec un responsable d’équilibre qui prend en charge les écarts.  Lorsque les écarts pris en charge par un responsable d’équilibre compromettent l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, le gestionnaire du réseau public de transport peut le mettre en demeure de réduire ces écarts dans les huit jours.  Au terme de ce délai, si la mise en demeure est restée infructueuse, le gestionnaire du réseau public de transport peut dénoncer le contrat le liant au responsable d’équilibre.  Il revient alors au fournisseur ayant conclu avec ce responsable d’équilibre un contrat relatif à l’imputation financière des écarts de désigner un nouveau responsable d’équilibre pour chaque site en cause. A défaut, les consommateurs bénéficient pour chacun de ces sites d’une fourniture de secours dans les conditions prévues à l’article L. 333-3. » RTE en tant que gestionnaire du réseau public de transport d’électricité assure l’équilibre général du réseau d’électricité français : « Le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau ainsi que la sécurité, la sûreté et l’efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci. Il veille également au respect des règles relatives à l’interconnexion des différents réseaux nationaux de transport d’électricité (…) » (art. 321-10 du Code de l’énergie) C’est dans ce cadre juridique que la société T2S s’est vue opposer le refus de rattachement au périmètre d’équilibre dédié aux obligations d’achats d’EDF (EDF OA) conduisant le Tribunal des conflits à se prononcer sur la nature du contrat de rattachement au périmètre d’équilibre. Sans grande surprise le juge des conflits fonde son raisonnement sur le principe constant selon lequel un contrat conclu entre deux personnes privées est un contrat de droit privé, sauf : Dispositions législatives contraires ; Lorsqu’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ; Lorsque le contrat constitue un accessoire d’un contrat public. Il s’avère qu’aucune de ces hypothèses ne s’applique au cas d’espèce, de telle sorte que la qualification de contrat de droit privé l’emporte et la compétence subséquente du juge judiciaire. 1. Le responsable d’équilibre n’agit pas pour le compte d’une personne publique En premier lieu, les juges considèrent que « le responsable d’équilibre n’exerce aucune mission pour le compte d’une personne publique ». En effet, les responsables d’équilibre s’engagent auprès de RTE à prendre en charge financièrement les écarts entre l’électricité injectée et consommée au sein d’un périmètre d’équilibre. Il est à noter que RTE créée en 2000, est devenue une société anonyme, filiale du groupe EDF par application de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Si cette personne morale de droit privé exerce une mission de service public, elle n’agit pas pour autant pour le compte de l’Etat ; pas plus d’ailleurs qu’EDF, en tant que responsable d’équilibre. Cette solution s’inscrit fait écho à l’arrêt CE, 1er juillet 2010, Société Bionerg, n°333275 selon lequel :  « Considérant, en premier lieu, qu’un contrat conclu entre personnes privées est en principe un contrat de droit privé ; qu’il en va toutefois autrement dans le cas où l’une des parties au contrat agit pour le compte d’une personne publique ; que, si en vertu des dispositions précitées de l’article 8 de la loi du 10 février 2000 relatives aux contrats conclus entre Electricité de France et les producteurs d’électricité retenus à la suite d’un appel d’offres, Electricité de France et les producteurs concernés contribuent au service public de l’électricité, et plus particulièrement à l’objectif de réalisation de la programmation pluriannuelle des investissements de production arrêtée par le ministre chargé de l’énergie, les contrats en cause ne peuvent être regardés comme conclus pour le compte d’une personne publique, alors que la production d’électricité ne relève de l’Etat ou d’une autre personne publique, ni par nature ni par détermination de la loi, et est au contraire une activité économique exercée par des entreprises privées ; qu’Electricité de France n’exerce donc dans ce domaine aucune mission pour le compte d’une personne publique et n’est pas placée, pour la mission de service public à laquelle elle contribue, sous l’autorité de l’Etat ou d’une autre personne publique ; qu’au surplus, à supposer que le contrat soit soumis à un régime exorbitant du droit commun, ce qui ne peut résulter des seules conditions relatives à sa passation, cette circonstance serait en tout état de cause sans incidence, s’agissant d’un contrat entre deux personnes privées ; qu’il résulte de ce qui précède…