La circulaire Castaner suspendue par le Conseil d’Etat !
Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats) Par une ordonnance en date du 31 janvier 2020 (n°437675), le juge des référés du Conseil d’État a prononcé la suspension de l’exécution de la circulaire du 10 décembre 2019 du Ministre de l’Intérieur, dite « circulaire Castaner », relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars prochains (n°INTA1931378J). Cette décision, largement relayée par la presse, rappelle d’une manière bienvenue les impératifs d’égalité de traitement entre les partis politiques, mais également d’exactitude de l’information délivrée aux pouvoirs publics et aux citoyens afin que ces derniers puissent suivre les tendances politiques locales et nationales lors d’opérations électorales. Tout d’abord, rappelons que cette circulaire du Ministre de l’Intérieur avait pour objet d’établir une « grille des nuances politiques » destinée à placer les candidats, élus ou listes, sur une grille des courants politiques afin de présenter les résultats électoraux de la manière la plus précise possible et d’offrir une représentation des tendances politiques locales et nationales. Pour ce faire, la circulaire prévoyait l’attribution d’une nuance pour les candidats et listes des seules communes d’au moins 9 000 habitants ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement. En annexe de cette circulaire figurait une grille de 24 nuances politiques pour les candidats, contre 22 pour les listes, recoupées en six blocs de clivages afin d’agréger plus lisiblement les résultats (extrême gauche, gauche, autre, centre, droite, extrême droite). C’est précisément ce seuil de communes d’au moins 9 000 habitants ainsi que certaines conditions d’attribution de ces nuances qui se voyaient particulièrement contestés au titre des cinq référés-suspension et du référé-liberté introduits devant le Conseil d’État par plusieurs élus et partis politiques : A titre liminaire, précisons qu’en principe, une circulaire étant un acte interne à l’administration, tout recours juridictionnel introduit à son encontre est irrecevable, cette dernière n’étant pas un acte faisant grief. Toutefois, par exception, les circulaires dites « impératives », c’est-à-dire imposant un comportement déterminé à leurs destinataires sont susceptibles de recours juridictionnel (CE, 18 décembre 2002, Mme Duvignères, n°233618). En outre, pour qu’une circulaire soit opposable ou invocable, l’article L. 312-2 du CRPA impose que cette dernière ait fait l’objet d’une publication, permettant alors à toute personne de s’en prévaloir pour son application à une situation n’affectant pas des tiers (art. L. 312-3 CRPA). Les supports et la périodicité de publication dépendent de la qualité de l’auteur de la circulaire et sont précisés aux articles R. 312-3-1 à R. 312-6 du CRPA. Ainsi a contrario, en l’absence de publication sur l’un des supports prévus, la circulaire n’est ni opposable ni invocable et sera réputée abrogée à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de sa signature (art. R. 312-7 CRPA). Dans cette décision, c’est précisément le caractère très prochainement opposable de la circulaire que relève le Conseil d’État pour juger satisfaite la première condition d’admission d’un référé-suspension, à savoir l’urgence de la suspension demandée (cf. considérant n°7 de l’ordonnance). A cet égard, d’une part, la Haute-Juridiction relève que la circulaire est « de nature règlementaire », autrement dit qu’elle ajoute de nouvelles dispositions par rapport au texte dont elle explicite l’application, soit le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014. D’autre part, le Conseil d’État retient qu’à l’examen des indications délivrées par les représentants du Ministre de l’Intérieur, cette circulaire fera très prochainement l’objet d’une publication afin de permettre son application lors de l’enregistrement des candidatures aux élections municipales qui, à la date de la décision, devait débuter quelques plus tard. « Eu égard à cette échéance immédiate », le juge des référés a donc considéré que la condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative était remplie. Par suite, le juge des référés examine la requête à l’aune de la seconde condition, à savoir l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte dont la suspension est demandée. Sur ce point, l’ordonnance retient trois moyens : – En premier lieu, la circulaire retient un seuil d’attribution d’une nuance politique aux candidats et listes limité aux communes d’au moins 9 000 habitants et aux chefs-lieux d’arrondissement. Le Conseil d’État relève que le choix de ce seuil a pour effet ne pas attribuer de nuance politique dans plus de 95% des communes, excluant par conséquent de la présentation nationale des résultats des élections municipales les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. Le juge des référés relève en outre que le seuil de 9 000 habitants retenu par la circulaire a pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40% du corps électoral. Ce faisant, le seuil retenu compromet l’objet même de la circulaire, en ce qu’il ne permet pas de délivrer l’information la plus complète et précise possible aux pouvoirs publics ainsi qu’aux citoyens, tout en risquant de sous-estimer les principaux courants politiques du scrutin. C’est donc logiquement que le Conseil d’État considère que le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont serait entachée cette circulaire en tant qu’elle retient un tel seuil est propre à créer un doute sérieux sur la légalité de cet acte. – En deuxième lieu, à l’examen de la circulaire, en principe, l’investiture par un parti politique constituait une condition sine qua non d’attribution d’une nuance politique à une liste. Cependant, le texte ménageait une exception, permettant l’attribution de la nuance « divers centres » aux listes simplement « soutenues » par certains partis – dont LREM – ou par la « majorité présidentielle », instaurant dès lors une différence de traitement caractérisée. De façon prévisible, le moyen tiré de l’atteinte par ces dispositions au principe d’égalité est considéré par le juge des référés comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire en cause. – Enfin, en troisième et dernier lieu, le texte contesté classait la nuance « Liste Debout la France » dans le bloc de clivage « extrême-droite ». Or, cette classification déjà opérée pour les élections législatives de 2017 se fondait principalement sur des déclarations du Président du parti durant les élections présidentielles de 2017 en…