Le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC à l’encontre de l’article 541-30-2 du code de l’environnement

Par Maître DAvid DEHARBE (Green Law Avocats) La FNADE (la Fédération Nationale des Activités de Dépollution) a saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret n° 2021-838 du 29 juin 2021 qui crée l’article R. 541-48-2 du code de l’environnement prévoyant les modalités de justification du respect des critères de performance de tri par un tiers accrédité en application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement. A cette occasion la FNADE a posé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de cette disposition de cette disposition législative issue de l’article 91 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi dite Agec). L’article L. 541-30-2 du code de l’environnement prévoit que les installations de stockage de déchets non dangereux non inertes doivent prioriser la réception de résidus de tri des activités de valorisation, lorsqu’elles traitent des déchets issus d’une collecte séparée et satisfont à des critères de performance. Ces critères de performance ont été fixés par le décret précité et son arrêté d’application (arrêté du 29/06/21 pris pour l’application de l’article L. 541-30-2 du code de l’environnement relatif aux critères de performances d’une opération de tri des déchets non dangereux non inertes : JO n° 157 du 8 juillet 2021)). Ainsi les exploitants d’installation de stockage de déchets non-dangereux non inertes sont tenus de réceptionner les déchets produits par les activités de préparation en vue de la réutilisation, de recyclage et de valorisation ainsi que les résidus de tri qui en sont issus lorsqu’ils justifient qu’ils satisfont aux critères de performance selon les modalités prévues par l’arrêté précité. La FNADE reproche à l’article L541-30-2 du code de l’environnement de méconnaître la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, toutes deux garanties par la constitution. Le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel… affaire à suivre.

Le cumul des sanctions pénale et administrative en I.C.P.E. objet d’une Q.P.C.

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 28 septembre 2021 (N° X 21-90.034 F-D) a transmis au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : « 1.  La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :  « Les dispositions des articles L.173-1, II et L. 171-8  du code de l’environnement, en ce qu’elles permettent expressément  qu’une  société  soit  sanctionnée  deux  fois  pour  les  mêmes  faits  en  se   voyant  imposer  une  sanction  administrative,  d’une  part,  et  une  sanction  pénale,  d’autre  part,  pour  le  non-respect  des  dispositions  d’un  arrêté   préfectoral  de  mise  en  demeure,  sont-elles  conformes  au  principe  de   légalité des délits et des peines protégé par l’article  8  de  la    Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ». Le principe non bis in idem au fondement de la légalité et des peines que consacre l’article 8 de la DDHC souffre-t-il le cumul des sanctions administratives et pénales ? C’est le débat engagé devant le Tribunal judiciaire de Boulogne par la société Spécitubes, entreprise spécialisée dans la fabrication de tubes en acier inoxydable, qui a été renvoyée devant le Tribunal correctionnel  pour exploitation d’une installation classée en violation d’une mise en demeure. Si cette QPC aboutit c’est le droit répressif des ICPE qui sera remis en cause. En tout état de cause, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne semble pas d’emblée très favorable à un tel séisme dès lors que les garanties exigées par les sages semblent en l’espèce remplies (n° 89-260DC, 28 juillet 1989, considérants 6 à 18 – 92-307DC : RJC, Litec, p. 493 note D. Loschack). Mais il est vrai que comme nous l’avions relevé avant l’entrée en vigueur de la QPC, la loi ICPE n’a jamais été examinée par le juge constitutionnel sous cet angle et qu’en tout état de cause le principe non bis in idem devrait trouver à s’appliquer (D. Deharbe, Le droit de l’environnement industriel, LITEC, 2002, p. 31ç-320, n° 352 et 353) Affaire à suivre avec le plus grand intérêt devant le Conseil constitutionnel sous le n° 2021-953 QPC…

Bornes de recharge électrique sur les autoroutes : un décret pour accélérer leur déploiement

Par Maitre David DEHARBE (Green Law Avocats) Compte tenu des impératifs liés à la transition écologique et afin d’accélérer le déploiement des points de recharge pour véhicules électriques sur le réseau autoroutier, le Décret n° 2021-1177 du 10 septembre 2021 (JORF n°0213 du 12 septembre 2021)  prévoit, par dérogation aux articles R. 122-41 et suivants du code de la voirie routière, la possibilité pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes n’ayant pas la qualité de pouvoir adjudicateur de sélectionner les titulaires des contrats d’exploitation portant exclusivement sur l’installation et l’exploitation de points de recharge pour véhicules électriques au terme d’une procédure de publicité et mise en concurrence adaptée. Cette procédure concerne les contrats dont la valeur estimée est inférieure au seuil applicable aux contrats de concession mentionné au II de l’annexe 2 du code de la commande publique (soit 5 350 000 € HT ). Les investissements en matière de déploiement d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques portés par les titulaires des contrats sélectionnés dans le cadre de la procédure adaptée sont éligibles à l’aide prévue par la loi de finances pour 2021, dont la gestion est confiée à l’Agence de services et de paiements. Enfin, le décret étend les obligations relatives à la modération tarifaire aux sources d’énergies usuelles au sens de l’article D. 122-46-1 du code de la voirie routière et prévoit des conditions d’entrée en vigueur aménagées concernant la distribution d’énergie électrique pour la recharge des véhicules.

Le projet de confinement de Stocamine objet d’un référé suspension

Par Maître David Deharbe (Green Law Avocats) Le 10 septembre dernier la collectivité européenne d’Alsace a déposé une requête en référé-suspension contre l’enfouissement total des 42 000 tonnes de déchets dangereux déjà stockés dans la mine de Wittelsheim (communiqué de presse de la CEA) qui a été exploitée par Stocamine, la filiale des MDPA (Mines de potasse d’Alsace) La collectivité veut empêcher un confinement qu’elle considère comme étant irréversible et pour ce motif illégal. Rappelons que ce stockage de déchets ultimes industriels qui a réceptionné 44 000 tonnes entre 1999 et 2002 de déchets dangereux, après avoir été autorisé comme installation de stockage de déchet de classe 1 en février 1997 a connu un incendie en septembre 2002 stoppant l’exploitation de Stocamine. Un arrêté préfectoral du 23 mars 2017 a autorisé le confinement illimité des déchets et imposé le retrait des déchets de mercure, qui sont les plus polluants pour les eaux souterraines ; l’arrêté impose en plus la mise en place de mesures supplémentaires (galerie de contournement des eaux d’infiltration, sondage de décompression…) pour éviter toute remontée de saumure polluée  et une surveillance de la nappe et de la remontée des eaux. Sous le Ministère de Ségolène Royal environ 2200 tonnes de déchets mercuriels avaient été remontés pour être stockés en mine de sel allemande. Depuis le Ministère de l’Ecologie est confronté à l’alternative suivante : l’enfouissement des 42000 tonnes des déchets restants ou leur extraction… la décision a tardé et finalement l’enfouissement sans déstockage supplémentaire a été confirmé en janvier 2021par Barbara Pompili. Les travaux d’enfouissement dans la mine de Wittelsheim sont censé démarrer à la mi-octobre 2021, le juge des référés du Tribunal administratif de Nancy devra se prononcer sur leur éventuelle suspension. Affaire à suivre …

Le Tribunal administratif de Paris ne manque pas d’air

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, Green Law Avocats Dans le cadre de l’appel à projets « Réinventer Paris », la Mairie de Paris avait accordé deux permis de construire pour la réalisation de projets intitulés « Mille Arbres » et « Ville Multistrates » comprenant entres autres des logements, bureaux, commerces, un hôtel et des serres agricoles devant s’édifier à l’extrémité ouest de Paris, au niveau de la porte Maillot. La particularité de cet ensemble immobilier est qu’il devait prendre place sur une dalle devant elle-même être construite en surplomb du boulevard périphérique. Les permis de construire délivrés ont cependant été contestés devant le Tribunal administratif de Paris par une société propriétaire d’un terrain situé à proximité du projet et deux associations de défense de l’environnement. Le 2 juillet dernier, les premiers juges ont rendu deux décisions spectaculaires (instances n°1920927 / 1921120 et n°2004241) en prononçant l’annulation « sèche » des permis en litige sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qui prévoit que « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. ». Si cet article du code de l’urbanisme est fréquemment appliqué par les autorités compétentes en matière d’urbanisme pour refuser la délivrance d’autorisations ou par les juges saisis en cas de contentieux, les décisions des juges parisiens ont ceci de notable qu’elles retiennent (sans doute pour la première fois) l’existence d’un risque pesant sur la salubrité publiques compte-tenu de la pollution de l’air générée (et subie) par le projet immobilier. Tout d’abord, les décisions du Tribunal administratif de Paris constatent que les projets respectifs des deux permis de construire doivent prendre place dans un secteur déjà concerné par un niveau élevé de pollution de l’air. Cette pollution se caractérise par un taux élevé de particules fines et de dioxyde d’azote (NO2), au-dessus des valeurs limites fixées par le code l’environnement et des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ensuite, les premiers juges ont déduit de l’étude d’impact que le niveau de concentration du dioxyde d’azote demeurera toujours supérieur aux valeurs limites après la réalisation du projet dans son ensemble, et même en augmentation à plusieurs points de mesure situées aux alentours, du fait notamment de la construction de tunnels requise par l’ensemble immobilier. Et le tribunal de noter que des immeubles d’habitation, des bureaux et des établissements recevant du public (dont une résidence pour personnes âgées) sont situés à ces endroits. Il est également relevé que la crèche prévue par l’un des permis de construire sera située au-dessus de la future gare routière et exposée à des valeurs dépassant ou se rapprochant des valeurs seuils de référence. Les premiers juges estiment enfin que la mise en place de mesures permettant d’empêcher l’augmentation de la pollution (mur végétal notamment) sera efficace pour certains polluants mais générera une augmentation des concentrations de dioxyde d’azote à des endroits déjà très touchés. Pour les raisons précitées, le Tribunal administratif a considéré que les permis de construire querellés autorisent un ensemble immobilier portant atteinte à la salubrité publique, en méconnaissance de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. Mais les décisions intéressent encore davantage en ce qu’elles refusent toute possibilité de régularisation du projet en vertu de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme qui, on le sait, est fréquemment appliqué par les juridictions. Pour rappel, cet article permet au juge saisi d’un recours contre une autorisation d’urbanisme et constatant l’existence d’un vice entachant d’illégalité cette autorisation, de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation du vice. En l’espèce, la régularisation de chacun des deux permis de construire est rejetée par la juridiction qui considère que cette démarche serait tout simplement impossible sauf à « changer la nature même du projet ». Le Tribunal note ainsi concernant l’un des deux permis de construire qu’une régularisation impliquerait que les modifications qui y seraient apportées entraînent une « diminution globale, pérenne et suffisamment certaine des niveaux de concentration des polluants dans l’air ambiant sur le terrain d’assiette même du projet, qui a vocation à accueillir des habitations et des bureaux, et dans les rues adjacentes, dans lesquelles sont situés des immeubles d’habitation et des établissements recevant du public, dont un établissement scolaire et une résidence pour personnes âgées, afin que l’implantation de l’immeuble projeté ne conduise pas, en raison des déplacements de la pollution qu’il entraîne, à un dépassement des seuils de concentration de dioxyde d’azote et de particules fines dans l’air ambiant. » Au final, l’annulation « sèche » des permis est perçue par le Tribunal administratif de Paris comme la seule décision viable en réponse aux recours intentés par les opposants. Il s’agit là de jugements particulièrement notables en ce qu’ils procèdent à l’annulation pure et simple d’autorisations d’urbanisme en tenant compte d’un motif de risque pour la salubrité publique (la pollution atmosphérique) sans doute jamais consacré auparavant au titre de l’article R. 111-2 Difficile de ne pas percevoir également entre les lignes de ces décisions une nouvelle condamnation, de la part des juges parisiens, de l’insuffisance des politiques publiques en matière de lutte contre la pollution de l’air, dans la continuité des décisions rendues le 4 juillet 2019 et reconnaissant la carence fautive de l’Etat en la matière (TA Paris, 4 juillet 2019, n°1709933, n°1810251, n°1814405).